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Appels à la prière bruyants: l'Indonésie s'attaque à un sujet hautement inflammable


BAY ISMOYO / AFP
BAY ISMOYO / AFP
Jakarta, Indonésie | AFP | jeudi 13/10/2021 - Chaque nuit vers 3H00, Rina est réveillée en sursaut par les hauts-parleurs de la mosquée de son quartier de Jakarta si bruyants qu'ils l'empêchent de dormir et lui causent des nausées. Mais elle n'ose pas se plaindre de peur de se faire attaquer ou envoyer en prison.

Les mosquées et les appels à la prière sont considérés comme sacrés en Indonésie, qui compte la plus grande population musulmane au monde. Et ceux qui les critiquent peuvent être accusés de blasphème, un crime passible de cinq ans de prison.

"Personne n'ose s'en plaindre ici", dit Rina, une femme de 31 ans, préférant utiliser un pseudonyme par crainte de représailles.

"Les hauts-parleurs ne sont pas seulement utilisés pour l'appel à la prière mais aussi pour réveiller les gens 30 à 40 minutes avant la prière du matin", explique-t-elle à l'AFP, en avouant être sur le point de craquer après six mois de ce régime sonore.

Conscient du problème, le Conseil indonésien des mosquées (DMI) envoie des équipes mobiles pour régler les sonos des mosquées à travers le pays.

L'archipel d'Asie du Sud-Est a longtemps été cité en exemple pour la coexistence pacifique entre ses différentes communautés religieuses, mais l'islam tolérant qui prévalait fait face à la pression de courants plus radicaux.

En 2018, une Indonésienne bouddhiste a été condamnée à de la prison après avoir dit que l'appel à la prière lui faisait "mal aux oreilles". 

Symbole de grandeur 

L'Indonésie compte quelque 750.000 mosquées dotés d'une dizaine de hauts-parleurs  chacun qui diffusent les appels à la prière cinq fois par jour.

Mais pour Rina, ce niveau sonore est devenu un véritable problème de santé. 

"J'ai commencé à avoir des insomnies et on m'a diagnostiqué des troubles d'anxiété à cause de ces réveils incessants. Maintenant j'essaye de me fatiguer le plus possible pour dormir malgré le bruit". 

"Il y a une tendance à régler le volume très haut pour que l'appel soit entendu par le plus de fidèles possible au loin car on considère que c'est un symbole de la grandeur de l'islam", note Azis Muslim qui coordonne le programme du Conseil pour améliorer l'acoustique.

Cette initiative veut réduire les tensions communautaires en aidant gratuitement à régler les sonos des mosquées. Près de 7.000 techniciens ont ainsi fourni ce service à plus de 70.000 mosquées.

Le responsable de la mosquée Al Ihkwan de Jakarta, Ahmad Taufik, a saisi cette opportunité.

"Le son est moins fort à présent. Comme ça, ça ne va pas gêner les gens du voisinage, d'autant plus que nous avons un hôpital derrière la mosquée", souligne-t-il.

Plainte trop risquée 

Mais cette question est souvent une source de conflits dans le monde musulman.

En juin, les autorités saoudiennes ont ordonné aux mosquées de limiter le volume des hauts-parleurs des mosquées à un tiers du maximum et de ne pas diffuser des sermons entiers, provoquant des réactions hostiles. 

En Indonésie il y a cinq ans, des centaines de manifestants ont mis le feu à une dizaine de temples bouddhistes dans la ville de Tanjung Balai au Nord de l'île de Sumatra après que Meiliana, une Indonésienne d'origine chinoise, a critiqué le volume sonore des appels à la prière. 

Cette mère de quatre enfants a été envoyée en prison pour 18 mois en 2018.

En mai de cette année, une foule furieuse a marché sur une résidence de luxe près de Jakarta après qu'un de ses habitants a demandé que des hauts-parleurs soient détournés de sa maison.

La police et l'armée ont dû intervenir et l'homme a été contraint de s'excuser.

Pour Ali Munhanif de l'université islamique publique Syarif Hidayatullah à Jakarta, les Indonésiens réagissent souvent avec fureur à ces plaintes car ils pensent, à tort, que les annonces sonores sont une obligation religieuse. 

"C'est ce qui arrive quand les progrès technologiques sont confrontés à une expression religieuse excessive. Si l'appel à la prière n'est pas organisé ou régulé, cela peut perturber l'harmonie sociale", ajoute-t-il.

Mais Rina ne veut pour rien au monde porter plainte.

"Le cas (de Meiliana) montre que porter plainte ne peut que provoquer un désastre", assure-t-elle. "Je n'ai pas d'autre choix que de m'y habituer ou de vendre ma maison".

le Jeudi 14 Octobre 2021 à 05:26 | Lu 471 fois