Tahiti Infos

Alexander Lee : “Il faut que je mette la main à la pâte”


Alexander Lee : “Il faut que je mette la main à la pâte”
TAHITI, le 13 septembre 2023 - Son installation Te Atua Vahine Mana Ra o Pere est actuellement présentée au El Paso museum of Art, dans le Texas. Elle restera visible jusqu’au 12 novembre. En tant qu’artiste, Alexandre Lee interroge les questions environnementales en relation avec le patrimoine culturel autochtone et le modernisme de l'époque coloniale. Ce qui l’anime ? Parler de Tahiti à l’international, et vice et versa.

Exposure est une exposition d'art contemporain qui documente les réponses d'artistes autochtones internationaux sur les impacts des essais et accidents nucléaires, ainsi que de l'exploitation minière de l'uranium, sur les peuples autochtones et l'environnement. Elle se trouve au El Paso Museum of Art, dan sle Texas. Elle a ouvert ses portes le 28 juillet et va durer jusqu’au 12 novembre. Itinérante, elle donne la parole aux artistes pour aborder les effets à long terme de ces catastrophes d'origine humaine sur les communautés autochtones aux États-Unis et dans le monde. C’est une exposition d’artistes engagés et impliqués. Des artistes autochtones d'Australie, du Canada, du Groenland, du Japon, des îles du Pacifique et des États-Unis utilisent les connaissances tribales, les traditions et les formes d'art contemporain pour s’exprimer. Le travail de l’artiste Alexander Lee y a toute sa place.

Te Atua Vahine Mana Ra O Pere - L’Aube où les Fauves viennent se désaltérer.
Te Atua Vahine Mana Ra O Pere - L’Aube où les Fauves viennent se désaltérer.
En 2017, il avait participé à la 1ère Biennale d'Honolulu. Il y avait présenté une œuvre intitulée Te Atua Vahine Mana Ra O Pere - L’Aube où les Fauves viennent se désaltérer. Cette œuvre est une installation avec une composante sculpturale et des performances confrontant les récits de Pelé aux nombreux essais nucléaires dans le Pacifique. “J’ai la binationalité américaine et française et j’avais envie d’aborder la thématique du fait nucléaire dans le Pacifique.” Pour l’artiste, l’art contemporain doit “questionner les normes et la société”. Ses créations sont des projets de mémoire.

Te Atua Vahine Mana Ra O Pere - L’Aube où les Fauves viennent se désaltérer est en deux parties. Elle engage le visiteur, l’implique en le plongeant dans un univers. Il y a des artefacts en céramique disposés dans une vitrine en verre et des estampes affichées au mur. Elle est comme une expérience invitant à la réflexion sur un sujet resté longtemps “tabu” selon Alexander Lee. “J’ai grandi à une époque où tout cela était secret, il n’y avait pas d’image, on ne comprenait pas très bien ce qu’il se passait. Toute l’œuvre est une sorte d’aide-mémoire.” Lors du vernissage, plusieurs performances ont été filmées. La captation de ces dernières a été intégrée. “Tout cela permet de garder l’œuvre en vie.” C’est cette même œuvre qui est actuellement exposée à El Paso.


Te Maro Ura.
Te Maro Ura.
“Je m’inspirais de comics et Marvel”

Alexander Lee est né à Stockton en Californie en 1974. Il a passé toute son enfance à Mahina. Pendant sa scolarité, il a eu l’opportunité de visiter quatre ou cinq fois le Musée de Tahiti et des îles. “Les expositions n’ont jamais changé.” Alexander Lee résume : “Il y avait un désert artistique et visuel”. Selon lui, les artistes se contentent de reproduction, “certains confondent art et illustration. Ils ne parlent pas de la société.”

À l’époque, il ne savait pas qu’il deviendrait artiste. “Je dessinais en m’inspirant de comics et Marvel.” Il avait une heure de cours par semaine dédiée à l’art. “On ne faisait que du dessin, ce n’était même pas des arts plastiques. On recopiait le tableau tandis que notre professeur lisait”, regrette celui qui déplore un manque d’enseignement dans le domaine. “Nous sommes dans une société où l’intelligence artificielle gagne du terrain, les métiers d’aujourd’hui seront remplacés petit à petit par des machines, il faut donc aujourd’hui et plus que jamais avoir une grande imagination pour s’en sortir.”

Alexandre Lee n’est pas d’une famille d’artistes. Ses parents ne comprenaient pas lorsqu’il se lançait dans des créations visuelles. “Ils m’ont encouragé à faire des études, à gagner de l’argent. Ils n’étaient pas d’un milieu aisé. Moi, j’avais besoin de faire autre chose, de trouver ma propre voie.” Il se voyait chinois, français, américain, polynésien. Il était jeune et avait envie “d’ailleurs et de modernité”. Après les comics et Marvel, il a trouvé une source d’inspiration dans le milieu de la haute couture. “Cela a commencé à m’interroger.” Bachelier en 1992, alors que la mode cassait les codes, que le mouvement grunge voyait le jour, que des artistes comme Mickael Jackson et Madonna, “des forces de la création”, se trouvaient sur tous les écrans, que les clips vidéo se généralisaient, Alexander Lee a pris son envol. Il a fait un pacte avec ses parents. “Je devais obtenir mon bac pour pouvoir, ensuite, suivre la filière que je voulais.”


En 2019, durant la production de l’oeuvre intitulée Le Déluge au CAC Center of Contemporary Art, Vilnius, Lithuanie.
En 2019, durant la production de l’oeuvre intitulée Le Déluge au CAC Center of Contemporary Art, Vilnius, Lithuanie.
Il s’est installé à Paris et s’est inscrit à l’atelier Letellier. “Là, j’ai découvert mon monde.” Perspective, théorie des couleurs, niveau… “J’excellais et je voulais exceller. Je n’avais pas besoin de faire d’effort pour sortir du lit et aller en cours, je sentais ma vocation. J’ai compris que l’art, ce n’était pas la mode.” Alexander Lee a essayé d’entrer ensuite, et directement, en 2e année aux Beaux-Arts. “Je voulais rattraper le temps perdu. Je voulais aller de l’avant.” Il s’est retrouvé face à un système trop “séquentiel”. “J’étais un peu impatient.” Alexander Lee a pris la direction des États-Unis. Il s’est retrouvé à San Diego, une ville “un peu provinciale” de 4 ou 5 millions d’habitants. “Ce n’est pas une grande ville comparée à d’autres dans le pays. J’ai pu découvrir la culture aux États-Unis par la petite porte.” Il a pu prendre conscience de l’importance de la représentation des gens, du poids des clichés. “Tout cela m’a nourri et a alimenté ma propre pratique artistique.”

Alexander Lee a obtenu son Bachelor of Fine Arts de la School of Visual Arts (2000) et son master à l'Université de Columbia (2002). Il est également diplômé du programme de télécommunications interactives de l'Université de New York (2004). Il a travaillé pendant trois ans et demi pour Matthew Barney, un artiste contemporain qui compte.

Théâtre

La trilogie de Lee, The Departure of the Fish, intitulée d'après le mythe de la création de l'île de Tahiti, a été créée au Kinkead Contemporary de Los Angeles en 2006 et à la Clementine Gallery de New York en 2007. Ses projets ultérieurs, Recitations from the Great Fish Changing Skies (2008) et Expanding-Eel-Devourer (2009) poursuivent son intérêt pour la narration et le processus anthropique. The tupapau within (Te tupapau manava) a suivi, c’est une pièce de théâtre sur les bêtes intérieures en jeu dans le processus créatif, conçue avec le compositeur Keith Moore et présentée en atelier à la galerie Newman Popiashvili entre décembre 2010 et janvier 2011 avec la contribution de Gabriel Romero, Juliana Snaper et le Quatuor Prism.

Madonnes Mandorle.
Madonnes Mandorle.
En 2011, dans Drawing for Uhuru, l'artiste parcourt les 5 895 mètres jusqu'au sommet d'Uhuru, le Kilimandjaro, et déploie un dessin du drapeau tahitien qu'il a réalisé lors de son ascension. De 2012 à 2016, il a été maître de conférences invité au Centre des métiers d’arts de la Polynésie française, où il a animé Manava, un projet d’atelier et d’exposition visant à revisiter la collection ethnographique du Musée de Tahiti à travers des œuvres contemporaines. En 2014, The Botanist de Lee, un récit visuel de la légende du fruit à pain à travers les premiers efforts botaniques anglais dans le Pacifique, a été créé au Collectors Contemporary de Singapour. The Botanical Factory I & II ont été respectivement présentés par Art Production Fund au Cosmopolitan de Las Vegas et dans le cadre de l'exposition Made by… Feito por Brasileiros à Cidade Matarazzo, à São Paulo. En 2016, il a participé à 'Ōrama, la première exposition de 'Ōrama Studio (un collectif d'artistes basé à Tahiti, dont il est membre fondateur), au Musée de Tahiti et des îles.

En 2018, il a mis en scène La Collection Canopuse, lors de la Tahiti Fashion Week à l'assemblée de la Polynésie française : une performance en mémoire du 50e anniversaire de l'explosion de la bombe H française Canopus, sous forme de présentation de mode avec neuf tenues retraçant l'histoire de vêtements en Polynésie depuis le premier contact.

En 2018, No’ano’a, une installation chez Marisa Newman Projects à New York, a abordé l'histoire coloniale en Polynésie à travers le spectre de Paul Gauguin et la notion de peinture dans un paysage irradié et exotique. La même année, il a dessiné la fleur de tiare rebaptisée pour Air Tahiti Nui. En 2019, Nō taua tīruvi ra (À cause du déluge) a été réalisé sur le plus grand mur du CAC (Contemporary Art Center, à Vilnius, en Lituanie, dans le cadre de l'exposition BLOOD and SOIL. La peinture murale mesurait 5,5 x 42 mètres et tissait de manière épique, à travers des jeux de mots visuels, une histoire du modernisme de l'Occident, de l'Orient et de l'autre indigène primitif qu'elle a cannibalisé au cours de son processus.

Mettre la main à la pâte

En 2021 et 2022, Alexander Lee a installé deux sculptures totémiques dans la forêt de Meuse, réalisées par le Centre d'art contemporain rural Vent des Forêts, dans le cadre de sa série Tāpa'o. Son exposition personnelle de sculptures intitulée Ra'au a ouvert ses portes en septembre 2022 chez Marisa Newman Projects. Le nouveau corpus d'œuvres est une production de sculpture renouvelée et fusionne la pratique continue de Lee, interrogeant les questions environnementales en relation avec le patrimoine culturel autochtone et le modernisme de l'époque coloniale.

Alexander Lee s’investit toujours plus en Polynésie. Il veut “parler de la Polynésie à l’international” et vice versa. “Il faut que je mette la main à la pâte”, dit-il.

.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 13 Septembre 2023 à 19:22 | Lu 2181 fois