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Alain Barrere-Monserisier fait “grandir le regard sur le handicap”


Crédit : Grégory Boissy.
Crédit : Grégory Boissy.
TAHITI, le 26 octobre 2022 - Il est le directeur de la Fédération polynésienne des sports adaptés et handisport, le président de l’association Handi Pro Mecatech, le trésorier de la fédération Te Niu o te Huma et, depuis juillet, le président du Rotary. Alain Barrere-Monserisier donne sa vie aux autres en général et aux personnes en situation de handicap en particulier.

Le départ de la Hawaiki Nui Va’a 2022 a été donné ce mercredi. Les coureurs s’affrontent sur le traditionnel parcours qui se déroule dans les îles Sous-le-Vent : Huahine, Raiatea, Taha'a et Bora Bora. Pour clore ce marathon en haute mer, la Hawaiki Nui Parava’a 2022 sera organisée samedi à Bora Bora. Au total,19 équipages sont engagés, trois en catégorie Élite et 16 en catégorie amateur. Cela représente 114 rameurs. Il y aura notamment deux clubs de Tahiti, Ihilani et Tahiti Toa, ainsi que l’association des sports adaptés et handisport Havaiki de Raiatea. En 2019, pour la première édition, ils étaient neuf équipages.

En coulisse, les organisateurs n’ont pas ménagé leurs efforts. Alain Barrere-Monserisier, directeur de la Fédération polynésienne des sports adaptés et handisport, lève le voile. Par exemple, au niveau de la logistique, “il a fallu trouver des logements adaptés, envoyer sur place nos véhicules adaptés pour le transport, organiser les vols”. En effet, les avions ne peuvent accepter que deux personnes à mobilité réduite par trajet. Les athlètes ont donc voyagé par groupe de deux tout au long de la semaine dernière. Sachant que les coureurs ne sont pas seuls à se déplacer, ils sont accompagnés. Ce n’est donc pas 114, mais 171 personnes qui sont engagées.


Crédit : Grégory Boissy.
Crédit : Grégory Boissy.
Il a fallu également gérer la partie médicamenteuse en lien avec les paramédicaux”, ajoute Alain Barrere-Monserisier. “Nous avons aussi, pendant tout le mois d’août, fait passer des tests aux coureurs, ils ont tous dessalé au moins une fois et dû réaliser un parcours à la nage.” Pour que le spectacle soit total, la sécurité est une priorité. Tout cela se fait dans l’ombre.

Une vie de sport et de services

Né à Toulouse, Alain Barrere-Monserisier est passionné de sport depuis toujours : football, judo, rugby, voile, sports de combat… “Je suis un ancien du stade toulousain”, plaisante-t-il. “J’ai grandi sur un terrain de rugby.” Il a également passé beaucoup de temps en mer, “mes grands-parents étaient mariniers à Bordeaux”.

Après l'obtention de son baccalauréat, il se lance dans des études de droit et intègre l’École nationale de droit et de procédure. Il est pendant trois ans, entre 1994 et 1997, premier clerc d’huissier à Toulouse. Mais en 1996, un événement bouleverse sa vie. Lors d’une randonnée, il se blesse au genou. L’accident révèle une usure prématurée des articulations de ses jambes due à une pratique intensive du sport depuis l’enfance. “Je suis moi-même une personne en situation de handicap”, convient-il. Il lui faudra une longue rééducation pour pouvoir marcher à nouveau. C’est alors qu’il change de cap.


Crédit : Alain Mercadieu.
Crédit : Alain Mercadieu.
En 1997, il obtient son brevet d’État d’éducateur sportif, ainsi que le diplôme de monitorat de personnes handicapées. Il devient responsable d’une école de voile à Toulouse, dans laquelle il met sur pied un pôle handi-voile pour accueillir des personnes atteintes de handicap et désireuses de découvrir les activités nautiques. Son crédo ? À force de persévérance, les personnes atteintes de handicap sont capables de surmonter leurs difficultés et de faire de la voile comme les autres. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Certaines d’entre elles ont participé au championnat de France de voile handisport en catégorie “Mini J”.

Une rencontre décisive

En 1999-2000, il débarque à Tahiti. C'est la période hivernale en métropole. Rapidement, il rencontre Henriette Kamia, professeure de braille, présidente de l’association Huma Mero, de la fédération Te niu o te Huma et de la Fédération polynésienne des sports adaptés et handisport. “Depuis, on ne s’est pas quitté.” Le duo peut se vanter d’avoir une vie professionnelle commune de 22 ans.

Alain Barrere-Monserisier pose ses valises à Tahiti pour de bon, s’implique et s'engage dans diverses fédérations et associations. Il entame un dialogue avec les institutions, des partenaires privés et des clubs sportifs afin de leur faire prendre conscience de l’importance de donner aux plus vulnérables les mêmes chances qu’aux personnes valides, dans la pratique du sport. La Fédération polynésienne des sports adaptés et handisport, qui ne comptait à ses débuts que 20 licenciés, en dénombre plus d’un millier aujourd’hui. “Je voulais faire découvrir et montrer toute la complexité de la pratique et les problématiques d’accessibilité.” Il a pu faire évoluer les équipements, les mentalités, les envies également.


Alain avec Nefi, entraîneur fédéral. Crédit : Alain Mercadieu.
Alain avec Nefi, entraîneur fédéral. Crédit : Alain Mercadieu.
En 2019, “nous avons obtenu le label Maison sport santé”, indique Alain Barrere-Monserisier toujours à propos de la Fédération polynésienne des sports adaptés et handisport. Ce label favorise la pratique d’activités physiques et sportives des personnes fragiles avec pour objectif l’amélioration de la santé physique et mentale. Il a pour projet actuellement de fonder la maison Apa pour accueillir des personnes en situation de handicap souhaitant faire du sport ou de l’activité physique. “Attention, ce ne sera pas un ghetto, mais un espace adapté, ouvert le soir après le travail, où il sera possible de pratiquer une activité, où il sera également question de diététique et de pathologies chroniques.”

Membre-trésorier de l’association 6e sens, Alain Barrere-Monserisier a appris le langage des signes et s’est initié au braille, ainsi qu’à la langue tahitienne. En 2006, il est chargé de mission du handicap au ministère de la Solidarité. Il participe aux commissions du handicap en qualité d’expert dans le cadre de la mise en place de nouvelles actions en faveur des personnes handicapées. Des enfants atteints d’autisme ont pu faire de la plongée, par exemple. Et ce, grâce à l’élaboration d’un langage spécifique sous l’eau, créé à leur attention.

Un infaillible soutien

Alain Barrere-Monserisier forme par ailleurs des éducateurs et des instituteurs pour que les enfants handicapés et scolarisés puissent pratiquer une activité sportive aussi bien à l’école que dans des associations sportives. Il crée des événements, organise des challenges et des sorties, motive et accompagne sans relâche les plus persévérants. Par exemple, le rameur Patrick Viriamu est dépourvu de ses jambes. Il est multiple champion du monde de para va’a. Il continue tout cela.

Au centre de rééducation Te Tiare, Alain Barrere-Monserisier a permis la pratique du tennis de table et du tir à l’arc. Il a été de l’organisation de l’opération Rame avec Pascal rencontré justement au centre Te Tiare. En février 2018, Pascal Tuiho, qui a perdu l’usage de ses bras et de ses jambes, fait une première sortie avec Matthieu Forges, coach, kinésithérapeute et ami de Pascal. En juin de la même année, le duo ouvre le Trophée de l’amiral. Tout cela est le fruit d’un long combat individuel, mais aussi collectif.

En 2012, pour son dévouement inconditionnel en faveur des personnes atteintes de handicap et pour les actions qu’il mène afin que celles-ci aient accès aux mêmes droits et aux mêmes privilèges que les personnes bien portantes, Alain Barrere-Monserisier est nommé au grade de chevalier de l’Ordre national du mérite.

En 2016, il crée l’association Handi pro Mecatech. Cette association de personnes en situation de handicap propose de la conception de pièces et fabrication 3D (ABS, PLA …), de la découpe laser et des formations numériques. “Je veux désacraliser les nouvelles technologies et l’innovation et les rendre accessibles aux personnes en situation de handicap.”

En 2019, il démarre une thèse sur le handicap et la gouvernance. Sa soutenance était prévue en 2023, mais il s’octroie une année de pause pour se consacrer à ses diverses activités. “L’idée est de faire un postulat avec des recommandations aux politiques en tenant compte de la culture”, explique le doctorant. Il insiste sur l’aspect sociologique et anthropologique de ses recherches. Il ne tient pas à poursuivre ensuite, enseigner ou chercher, il veut transmettre “pour faire grandir le regard sur le handicap”.

Depuis juillet 2022, il est en plus le président du Rotary club Papeete Tahiti. Ses premiers contacts avec le club remontent à 2018. Il entre dans le club en 2019 et en devient le trésorier en 2020 et 2021. Avec le bureau et les membres, il va reprendre les missions internationales du bassin Pacifique Sud dont le club dépend. End Polio est un exemple de missions internationales. Elle consiste à récolter des fonds pour en finir avec la poliomyélite. Localement, d’autres actions sont menées. Le Rotary Club va organiser le Noël pour tous le 26 novembre. Il s’agit d’une initiative lancée à l’origine par René Malmezac. Le club va, en outre, pérenniser des actions avec Vik’ura Tahiti, ainsi que l’association des diabétiques et des obèses de Polynésie. “On ne fait pas beaucoup de choses en soit dans l’année”, déclare-t-il, “mais si on peut faire un peu, c’est déjà ça”. En réalité, Alain Barrere-Monserisier et toutes les équipes avec lesquelles il travaille, font amplement. Et c’est toujours sans compter.


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 26 Octobre 2022 à 20:41 | Lu 1354 fois