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Affaire Radio Tefana : les motifs du pourvoi


Tahiti, le 25 juillet – Deux mois après la relaxe d'Oscar Temaru par la cour d'appel dans le cadre de l'affaire Radio Tefana et alors qu'un pourvoi en cassation a été formé, Tahiti Infos revient sur les différences d'analyse entre la juridiction et le parquet général. 
 
Le 25 mai dernier, la cour d'appel de Papeete a relaxé le leader indépendantiste et maire de Faa'a, Oscar Temaru, ainsi que Vito Maamaatuaiahutapu, Heinui Le Caill et l’association Te Reo o Tefana des accusations de prise illégale d'intérêts pour lesquelles ils avaient été condamnés par le tribunal de première instance dans le cadre de l'affaire Radio Tefana. Suite à cette décision, le parquet général a formé un pourvoi devant la Cour de cassation sur lequel Tahiti Infos revient pour aborder les différences d'analyse du dossier entre le parquet général et la cour d'appel. 
 
Alors qu'il était reproché à Oscar Temaru de s'être servi de la radio pour promouvoir l'idéologie politique de son parti, la cour d'appel a estimé qu'il résultait de l'ensemble des éléments recueillis durant l'enquête qu'il n'y a pas de preuves qu'Oscar Temaru “aurait eu un intérêt quelconque dans l'opération de mise à disposition de matériel et de personnel et de subvention de Te Reo o Tefana” et que rien ne pouvait “laisser suspecter la prise d'un tel intérêt remettant en cause son impartialité”, de sorte que le délit n'est pas constitué. Cette conclusion se base sur l'analyse de quatre types d'intérêts moraux sur lesquels le parquet général revient point par point dans son mémoire. 
 
  • Sur un intérêt résultant d'un lien d'affection entre Oscar Temaru et l'association :
Sur ce point, la cour d'appel a estimé que si la radio avait, entre autres, été créée pour “sensibiliser” la population à des “idées à l'époque censurées sur le territoire”, elle a relevé qu'Oscar Temaru s'en était “détaché au point de mettre fin à sa présence en 2008” et alors même que “plusieurs témoins proches de lui au quotidien ont expliqué qu'il ne s'en occupait plus du tout à compter de 2004”. Le parquet général estime, quant à lui, que “la rémanence de l’importance de cette association pour Oscar Temaru, à la période de la prévention, se caractérise par le montant des subventions qui constituaient la majorité du financement de la radio, aides auxquelles il convient d’additionner les mises à dispositions de locaux de personnel et de matériel”. Il considère qu'Oscar Temaru avait un “intérêt moral à continuer de subventionner l’association qui est son ‘bébé’ qu’il a porté sur les fonts baptismaux et qui continue à incarner les combats de sa vie”.
 
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  • Sur un intérêt résultant des liens entre lui et les présidents successifs de l’association :
Si le parquet et le tribunal de première instance ont estimé que le maire de Faa'a avait entretenu des liens amicaux avec les différents présidents de l'association et que ces derniers pouvaient constituer un intérêt moral constitutif d'une prise illégale d'intérêts, la cour d'appel en a conclu autrement. Elle note que ces “liens n'ont jamais été mis en exergue par aucun témoin ni aucune des autorités de contrôle, comme une circonstance rendant douteux l'octroi des subventions” et qu'il faut tenir compte du fait que la Polynésie est un territoire comportant “peu d'habitants” de sorte qu'il existe nécessairement des “liens familiaux”. Une proximité “accentuée par la pratique du fa’a’amu”. La cour d'appel a donc analysé que l'ensemble de ces circonstances particulières rendent “très fréquents” les liens affectifs entre deux personnes. Selon le parquet général, le raisonnement de la cour apparaît “paradoxal” puisque “le risque de prise illégale d’intérêt semble plus important dans les ‘isolats’ et notamment sur les îles et selon elle, il faudrait faire fi des liens d’amitié sur ces territoires”. 
  •      Sur un intérêt résultant de l'utilisation de Radio Tefana pour la mise en valeur de ses combats :
Pour la cour d'appel, la preuve que la programmation de la radio était basée sur l'idéologie indépendantiste n'a pas été rapportée car les témoignages à ce sujet manquaient de précision. Elle estime que l'on ne peut pas savoir que ces témoignages sont relatifs à la période de prévention. Sur ce point, le parquet général affirme que la cour d'appel, “en s'abstenant de rechercher et de qualifier les éléments constitutifs de l'infraction”, a méconnu la loi. 
 
  • Sur un intérêt résultant de l’utilisation de Radio Tefana pour la propagande politique du Tavini : 
Selon la cour d'appel, Oscar Temaru n'a pas promu l'idéologie de son parti via la radio car “les rares déclarations de témoins précisant ‘Radio Tefana est la radio du Tavini’ ne sont pas plus étayées que les arguments consistant à faire une comparaison sommaire des affaires d'apparence similaire ayant concerné Édouard Fritch, pour radio Maohi, et Émile Vernaudon, pour Radio bleue, pour justifier la condamnation d'Oscar Temaru”. Pour le parquet général, si la cour “prend en considération les témoignages des personnes citées par la défense qui exposent la situation de la radio actuellement et non sur la période des faits poursuivis, elle exclut les éléments du dossier qu’elle estime non suffisamment précis sur la période rapportée, en prenant elle-même des déclarations encore plus imprécises pour nier le caractère de vecteur de propagande de la radio, alors qu’il faudrait plutôt vérifier si elle cherche à influer les mentalités du public”. 
 
Le parquet général conclut donc que la cour d'appel a “étudié séparément et indépendamment les différents intérêts moraux qu’a pu tirer Oscar Temaru des aides données à l’association exploitant Radio Tefana, sans mettre en perspective les différents intérêts, établis par la procédure et caractérisés par le jugement de première instance, qui auraient permis de démontrer l’existence d’un faisceau d’indices mettant en évidence son intérêt à subventionner l’association”.
 

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 25 Juillet 2023 à 22:16 | Lu 3702 fois