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Affaire Orofara : Le shérif de Mahina et le "roi de Tahiti" devant la justice


Emile Vernaudon à gauche et Joinville Pomare, les deux protagonistes principaux de cette affaire de détournement de fonds publics vieille de 11 ans, débattue ce mardi après-midi au tribunal correctionnel de Papeete.
Emile Vernaudon à gauche et Joinville Pomare, les deux protagonistes principaux de cette affaire de détournement de fonds publics vieille de 11 ans, débattue ce mardi après-midi au tribunal correctionnel de Papeete.
PAPEETE, le 5 mai 2015. Émile Vernaudon et Joinville Pomare comparaissaient ce mardi après-midi, avec d'autres prévenus, devant le tribunal correctionnel pour l'affaire du cimetière Orofara de Mahina en 2003. Le procureur de la République a requis 18 mois de prison ferme à l’encontre de l’ancien maire de Mahina.

Il se présente comme légitime membre de la famille royale tahitienne, mais aussi comme un activiste des revendications foncières. "Depuis 40 ans, je suis le seul Pomare qui s'est levé pour faire arrêter les spoliations dont est victime ma famille". Mais pour Joinville Pomare, la famille s'entend au sens strict, en l'occurrence à sa descendance uniquement. Les autres Pomare n'ont jamais rien dit contre les expropriations des terres légitimes de la famille royale devenues propriétés domaniales au fil du temps, "ils avaient la trouille".

Voilà comment Joinville Pomare justifie les conventions passées en 2003, avec la mairie de Mahina et le tavana de l'époque, Émile Vernaudon. Des conventions qui autorisaient la mairie à signer la location-vente de parcelles du domaine Orofara auprès de Joinville Pomare et de son fils Pascal. Si les conventions avaient été exécutées dans leur totalité, elles auraient conduit à un transfert des parcelles en question (presque 10 hectares) pour un montant de près de 600 millions de Fcfp. Mais en 2005, le trésorier payeur s'étonne des premiers transferts de fonds pour des terres non pas privées, mais appartenant au domaine public territorial. Cette somme a atteint 15,9 millions de Fcfp pour quelques mois de location-vente à peine. Le trésorier payeur est sceptique sur la validité des titres de propriété de Pomare. Et pour cause, les documents fournis se réduisent à une simple lettre de revendication signée de la main de Joinville Pomare. C'est ainsi que cinq personnes se sont retrouvées ce mardi après-midi devant le tribunal correctionnel.

Ces terrains étaient indispensables à la municipalité de Mahina pour une extension de son cimetière municipal qui arrivait à saturation, une promesse électorale du tavana de Mahina, Emile Vernaudon qui a présidé aux commandes de sa commune de 1976 à 2009. Mais dans sa hâte de voir cette situation intenable être solutionnée, la mairie de Mahina avait signé ces onéreuses conventions alors même qu'elle avait obtenu cinq ans plus tôt un transfert de ces parcelles du domaine public du Pays ! "Vous avez un arrêté du territoire de 1998 qui vous affecte ce terrain pour le cimetière et sur une simple revendication d'un Tomite Pomare de 1848, sur cette base seule, sans vérification, la commune passe une convention de location-vente avec Joinville Pomare ?", questionne le président du tribunal. Aucune investigation n'ont effectivement été menées par les services de la commune de Mahina pour vérifier les revendications de Joinville Pomare. Ce qui n'empêchera pas Gilles Tefaatau, secrétaire général de la mairie de Mahina de devenir en 2004 ministre du logement et des affaires foncières.

Ce dernier s'interroge alors sur les relations qui unissent l'ancien maire de Mahina et son obligé de sang royal, descendant de la grande famille royale tahitienne. Ils sont amis et ne s'en cachent pas. Joinville Pomare explique avoir conclu ce contrat au nom de son fils Pascal "pour faire vivre ma famille. Je suis descendant de la famille royale, mais je suis pauvre, on m'a appauvri". De fait le destinataire est son fils parce que lui-même est criblé de dettes, il craint que l'argent versé pour les loyers ne soit capté par ses créanciers, selon l'avocate de la mairie de Mahina, partie civile dans cette affaire. Celui qui se présente comme représentant des affaires de terre de la famille royale de Tahiti ne travaille en fait que pour lui-même et fait fi des autres indivisaires Pomare. "Ils m'ont ri au nez pendant 30 ans mais quand ils ont vu que j'avais signé ces conventions, ils se sont réveillés parce qu'il y avait une cagnotte".

C'est bien d'argent uniquement dont il est question finalement dans ce dossier et de gros sous. Au total 15,9 millions de Fcfp sont versés sur le compte de Pascal Pomare qui n'en fait pas d'usage personnel. L'argent est ensuite reventilé à son père ou à la compagne de ce dernier. Joinville Pomare s'étonne de comparaître devant un tribunal correctionnel pour détournement de fonds quand il ne s'agit pour lui que d'une affaire foncière et rien d'autre.

Le procureur de la République a requis 18 mois de prison ferme sans mandat de dépôt, eu égard à sa son état de santé, à l’encontre d’Emile Vernaudon, une amende de 5 millions de Fcfp et une privation des droits civiques et de famille pour 5 ans. Concernant Joinville Pomare, il a requis 18 mois de prison dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, une amende de cinq millions de Fcfp, une privation des droits civiques et de famille pendant trois ans ainsi qu’une obligation de rembourser. Le représentant du ministère public a requis une amende d’un million de Fcfp pour Pascal Pomare, le fils, et la compagne de Joinville Pomare, qui était poursuivie pour recel. Enfin, à l'encontre de Gilles Tefaatau qui était alors secrétaire général de la mairie de Mahina, le procureur a requis deux millions de Fcfp d’amende et deux ans de privation des droits civiques et de famille, un homme que le procureur a décrit comme "l'âme damnée d'Emile Vernaudon. Il a fait le sale boulot d'Emile Vernaudon pendant des années". Le jugement a été mis en délibéré.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 5 Mai 2015 à 17:43 | Lu 3032 fois