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A Vaima, l'armée de pierres de Sanka


Ces statues de pierres, impressionnantes, vous donnent l’impression d’être observé. Elles représentent la foule, on y voit des familles, des mères et leurs enfants, des hommes, on y sent des âmes.
Ces statues de pierres, impressionnantes, vous donnent l’impression d’être observé. Elles représentent la foule, on y voit des familles, des mères et leurs enfants, des hommes, on y sent des âmes.
MATAIEA, le 3 mai 2016. Il y a trois semaines de cela, des agents de la police municipale de la commune de Mataiea sont restés pantois devant un homme qui parlait aux pierres, les aspergeait d’eau et les montaient en statues. Ils l’ont regardé, hésitants : Devaient-ils le verbaliser ? Et puis non ! Ce qu’il faisait était tellement impressionnant.

Sanka était en train de construire une armée de pierre, les gardiens de Vaima, cette rivière millénaire qui souffrait de la négligence de ses usagers. Jour après jour, Sanka est allé à Vaima, concentré, souriant, heureux, et toute une foule de pierres a grandi le long du muret de Vaima. Les agents de la police municipale ont pris des photos ; des touristes chinois, puis espagnols, puis français, des Tahitiens, se sont arrêtés, les uns après les autres, et l’ont observé, en train de monter ses statues.

Le résultat est remarquable. Une œuvre artistique environnementale, puissante et pleine de "mana" puisque, depuis que Sanka a levé son armée de gardiens de pierre, les gens ne sont plus allés salir les lieux : Ces statues de pierres, impressionnantes, vous donnent l’impression d’être observé. Elles représentent la foule, on y voit des familles, des mères et leurs enfants, des hommes, on y sent des âmes.

Mais Sanka ne s’arrête pas à ça : Il nettoie Vaima. Il passe tôt le matin, pour vérifier qu’elles sont là. Puis, il ramasse les détritus s’il en trouve, il aime Vaima, il chante même Vaima et sa voix résonne du petit bassin où une grosse anguille tigrée le laisse l’approcher. "Vaima est vivante ! Des femmes âgées sont venues de Hiti’a et m’ont dit, "C’est magnifique ! C’est propre !" ... "Vaima est sacrée ! Cette eau là soigne…"

"À Vaima, le matin, une brume survole la rivière jusqu’au bassin" me dit Sanka, puis il me montre "Regarde ! Elle vient du pont, elle se déplace vers nous ! Tu vois, elle est légèrement au-dessus de la rivière". En effet, nous sommes à l’aube et un léger voile de brume, à 50 cm de l’eau se déplace. L’endroit est tout simplement merveilleux. Sanka et moi, et les gardiens de pierre, nous sommes nombreux, nous savourons un instant la beauté de ce lieu qu’il a humblement nettoyé et orné de fleurs. Il n’y a pas si longtemps, une femme est venue se baigner la nuit : elle a confié à Sanka "Quand j’étais dans ma voiture, j’ai cru voir des gens se baigner, mais non c’était des cailloux ! Tes pierres levées !… Je me sentais observée, comme si elles étaient en vie !"

Ça lui a pris comme une envie soudaine, de lever les pierres. Il n’avait pas prévu de le faire. Mais il était là, et comme un appel, la pierre semblait vouloir se lever. Alors c’est comme ça qu’il a commencé, il a levé une pierre, l’a mise debout, l’a regardée puis il a construit, au fur et à mesure, instinctivement. Puis des gens sont arrivés, ils ont rallongé la pierre : "Pourquoi tu fais ça ! Ça va pas !" Alors les mots sont sortis de la bouche de Sanka le plus naturellement du monde, il leur a répondu : "Vous faites tomber ce caillou, vous ne dormirez plus et vous ne reviendrez plus à Vaima" ; ils l’ont regardé, inquiets puis tout le monde a ri : "Eh toi, tu es un peu sorcier ou quoi ?"

Depuis, plus personne n’a touché aux pierres en sa présence. D’autres l’ont regardé monter son armée de pierre et lui ont crié "Eh toi ! Fais tomber tes cailloux !" Et Sanka leur a répondu : "Non, ce sont eux les gardiens de Vaima ! Ce sont eux qui vont garder la rivière propre ! Et quand les étrangers viendront, ils trouveront ça beau !" Sanka ne s’était pas trompé : Les gens d’ici et d’ailleurs, de partout, s’arrêtent à Vaima, émerveillés par ce peuple de pierres sacrées. Déjà, sur les réseaux sociaux, les photos ont fait le buzz. Tout le monde veut connaître l’homme qui a fait lever les pierres.

Un homme le met au défi : "La grosse pierre là, tu ne peux la lever et la mettre en équilibre sur celle-là ! " Sanka lui répond : "Il suffit que je lui demande, regarde !" Et puis Sanka s’agenouille à côté de la pierre et parle tout doucement ; j’entends "haere, haere, allez, allez…" Et puis il la prend, la bouge un peu, l’asperge d’eau de Vaima, puis, il la place, debout, de façon improbable : elle tient en équilibre. Et rien ne le perturbe, pas plus le bruit des voitures qui passent sur le pont, que celui d’un jeune qui a sa radio en sourdine. "Eh man ! T’es puissant !" Lui lance un jeune homme surpris par l’agilité avec laquelle Sanka manie les pierres. Un touriste qui prenait des photos, a touché à l’une des statues qu’il a fait tomber : Il a essayé en vain de les remettre en place, il n’y arrivait pas. Selon Sanka, c’est normal : Il faut d’abord demander à la pierre si elle est d’accord.

Tout ceci peut paraître burlesque, mais au fond, l’acte de Sanka a une portée pleine de significations : Ce qu’il a crée à Vaima est impulsif et comme de nombreuses personnes qui aiment ce lieu, il ne supportait plus de voir la rivière salie par l’insouciance des baigneurs ; son art porte le message du respect de l’environnement et nous rappelle que Vaima n’est pas une rivière comme les autres. Enfin Sanka semble avoir trouvé la solution, même si elle est momentanée, pour réhabiliter Vaima comme un lieu d’attraction touristique, artistique, inscrite à la fois dans le passé et dans le présent. Et depuis que ces gardiens de pierres sont là, les usagers de Vaima semblent respecter le lieu, impressionnés par les statues qui les observent ! Ce qui vaut tous les spots publicitaires du monde.

C’est une magnifique œuvre d’art autochtone contemporaine que nous offre la commune de Mataiea : Elle l’a doit à un homme, qui jusque là, anonyme, mérite certainement une véritable reconnaissance, il s’appelle Sanka.


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Qui est Sanka "l'homme qui bouge les pierres" ?

Bruno Make, dit Sanka, est né à Tahiti en 1978, il a grandi à Manihi aux Tuamotu et ses parents sont de Rapa. Son père, celui qui l’a élevé et qui l’a reconnu, s’appelle Make, et son autre père, celui qui l’a fait naître au monde, s’appelle Francis Teriitau, il est de Taha’a. Sanka insiste sur cette double paternité, il parle de ses deux pères, avec l’insistance des racines qui s’accrochent au rocher de Vaima. Après avoir grandi à Manihi, il revient à Tahiti pour son service militaire. Il travaille ensuite comme ouvrier sur des chantiers de constructions, avec son deuxième père Teriitau. Après que ses deux pères décèdent, Sanka poursuit sa vie, il essaie de s’en sortir, seul, dans la construction, mais c’est difficile pour un fils des Tuamotu qui n’a pas suivi d’études. Alors en attendant de trouver un emploi dans sa commune, il prend bénévolement soin de Vaima. Nous lui souhaitons le meilleur à venir.

Rédigé par Ariirau Richard-Vivi le Mardi 3 Mai 2016 à 14:42 | Lu 6369 fois