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A Taputapuātea, l'hypothèse du cannibalisme remise en question


Tahiti, le 29 avril 2021 - Dans un article consacré à l’étude de 964 restes humains recueillis en 1994 et 1995 à Taputapuātea, la chargée de recherche au CNRS, Frédérique Valentin, remet en question l’hypothèse de cannibalisme répandue par ses prédécesseurs dans les années 60. Des ossements d’individus qui semblent par ailleurs appartenir au même groupe social. C'est le 3e opus de notre série sur les Dossiers de l'archéologie polynésienne.

Lorsqu’en 1965, les recherches des anthropologues Sinoto et Emory débouchent sur le cannibalisme pour justifier la dispersion de restes humains à Taputapuātea, c’est aussi la conclusion la plus fréquente à l’époque, notamment en Nouvelle-Zélande. Un demi-siècle plus tard, les analyses de la chargée de recherche au CNRS, Frédérique Valentin, remettent en question cette hypothèse “qui n’est pas la seule possible”, ni “la plus plausible”. Dans un article paru la dernière édition des DAP (Dossiers de l'archéologie polynésienne) consacré à l’étude des ossements recueillis lors de la restauration effectuée par le Centre Polynésien des Sciences Humaines en 1994 et 1995, la scientifique ne relève “aucune trace de découpe”, d’impact de pression, ni de “grignotage”.

Et si des signes d’une combustion sont visibles sur la grande majorité d’entre eux, ils apparaissent après la décomposition des corps, lorsque les corps n’étaient déjà plus que des squelettes et les os déjà secs. Difficile dans ce contexte de retenir le cannibalisme qui “implique le traitement de cadavres frais”, mais plutôt des “dommages accidentels, liés à d’autres activités humaines ou animales”.

964 os humains à la loupe

Car sur les 2 179 restes osseux collectés et examinés, plus de la moitié (1213) sont des os animaux, principalement le cochon. L’inventaire et les caractéristiques observées sur les 964 restes humains en revanche, permet de conclure que plus de 14 personnes des deux sexes, dont trois enfants, avaient été déposés sur (ou inhumés dans) plusieurs des constructions composant le complexe cérémoniel.

Les datations radiocarbones pratiquées sur sept échantillons osseux et dentaires estiment leur décès entre la fin du 18e siècle et le début du 19e,“c'est-à-dire durant une période de profondes transformations des traditions culturelles et des pratiques funéraires” souligne la chercheuse. Un moment qui correspond également au développement de relations entre les Polynésiens et les colons.

Mais qui sont ces personnes et comment ont-elles été “recrutées” ? Si certaines caractéristiques (taille du bassin, du crâne, dégénérescence de l’os, éruption des dents) permettent de renseigner sur leur âge au moment du décès (périnatal, enfant, adolescent, adulte) sur leur sexe pour un adulte, ou sur une éventuelle pathologie, l'exercice demeure "délicat".

Des “sacrifiés” du même groupe social

L’analyse des prélèvements par la datation radiocarbone montrera que ces individus présentent une morphologie caractéristique aux populations de Polynésie, ce que confirmera l’ADN extrait de dents. “Il s’agit donc bien d’individus d’origine locale qui, de plus, ne présentent pas de signe de métissage avec des Européens, ceci malgré une présence occidentale dans la région au moment où les individus déposés à Taputapuātea ont vécus” commente la chargée de recherche. Les ossements collectés témoignent néanmoins “d’expériences de vie”, comme une “forte sollicitation du système musculo-squelettique (os, muscles et articulations, Ndlr)durant leurs activités quotidiennes”, comme en attestent des lésions sur les os de la colonne vertébrale, des genoux et des coudes.

Mais ces atteintes, dont le nombre augmente avec l’âge, n’ont “rien d’exceptionnelles”, nuance la chercheuse. “Elles sont généralement considérées comme étant liées ou comme étant la conséquence d’un mode de vie actif ou à la pratique d’activités qui augmentent le risque de développement de lésions osseuses”. L’analyse du tissu osseux témoigne également de la “consommation importante” de pélagiques

Les défunts de Taputapuātea n’auraient donc pas été sélectionnés sur des critères d’âge ou de sexe, “mais plutôt en raison d’une appartenance à un même groupe social, ayant partagé la même alimentation riche en poisson du large et les mêmes activités dommageables en particulier pour les articulations du bas du dos”, en déduit Frédérique Valentin. Définir ce groupe de manière plus précise reste cependant difficile à ce stade compte tenu des données disponibles.
 

Berceau des dieux

D’une importance centrale dans la cosmologie polynésienne, la religion ancienne et les valeurs humaines des îles de la Société, le complexe cérémoniel de Taputapuātea a bien justifié son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco le 9 juillet 2017. Situé à l’est du district d'Ōpoa, il s'étend sur une superficie de 5 hectares, dédié au culte de plusieurs divinités polynésiennes. De Ta'aroa Nui le créateur mythique, à 'Oro le dieu de la paix invoqué en temps de guerre. Les datations obtenues récemment sur des coquillages et des blocs de remplissage de corail, font état d’une construction aux 17et 18e siècles, la date de l’occupation initiale du site reste inconnue. Les généalogies et les traditions orales recueillies indiquent quant à elles une fondation autour des 10e et 11e siècles.
 

Pierre d’investiture et têtes humaines

Conservés à la Direction de la culture et du patrimoine (DCP), les ossements ont été ré-inhumés sur le site en 2018.
Conservés à la Direction de la culture et du patrimoine (DCP), les ossements ont été ré-inhumés sur le site en 2018.
“Les guerriers qui gisaient morts ou blessés sur le champ de bataille étaient décapités et leur tête portée au marae national de Raiatea à Taputapuatea” écrivait Teuira Henry en 1968. Un témoignage qui pourrait justifier la surreprésentation de restes crâniens (36%) notamment près de la pierre d’investiture sur le marae Hauviri. “Ces observations suggèrent une possible relation entre tête humaine et pierre d’investiture” note la chercheuse. “La pierre d’investiture ayant apparemment joué un rôle d’attracteur”.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Jeudi 29 Avril 2021 à 18:04 | Lu 3847 fois