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A La Réunion, tensions et préjugés autour de la communauté mahoraise


Photo d'illustration. Crédit JULIEN DE ROSA / AFP
Photo d'illustration. Crédit JULIEN DE ROSA / AFP
Saint-Benoît, France | AFP | mercredi 27/03/2024 - "Pourquoi on nous fait ça? Nous nous entendons bien avec tout le monde !", Marie, 38 ans, se désole devant le pare-brise fracassé de sa voiture. Dans son quartier réunionnais de Saint-Benoît, une trentaine de véhicules ont été dégradés après une bagarre entre bandes le week-end dernier.

Pour les riverains, les coupables sont tout désignés : des jeunes originaires de Mayotte, l'autre département français de l'océan Indien.

"Moi, je ne sais pas d'où ils viennent : je vois seulement que ma voiture est cassée", ajoute Marie, qui refuse de donner son nom par "peur des représailles".

A La Réunion, une île qui aime mettre en avant son modèle de "vivre ensemble" entre communautés, le climat s'est tendu entre une partie de la population et les Mahorais.

Ces tensions ne sont pas nouvelles, mais plusieurs événements récents - rixes entre bandes, jeunes paradant avec des machettes... - les ont accentuées, sur fond de difficultés économiques et sociales.

Selon l'Insee, 36% des Réunionnais vivent en dessous du seuil de pauvreté et le chômage frappe plus de 115.000 des 900.000 habitants de l'île. La Réunion est aussi en proie à une crise aiguë de l'habitat, plus de 40.000 personnes étant en attente d'un logement social.

Pourtant, l'île est synonyme d'eldorado pour beaucoup de Mahorais. Touché par une violence endémique, Mayotte est le département le plus pauvre de France et les prestations sociales y sont inférieures à celles versées dans le reste de la France, poussant nombre de familles à déménager. Aucune statistique n'existe, mais ils sont "plusieurs milliers", selon des élus.

- "Comoriens" -
"Ces gens sont à la recherche d'un +mieux vivre+ mais en attendant, ils prennent le peu qu'on a, ils sont logés avant nous", glisse un jeune de Saint-Benoît qui, comme beaucoup, souhaite garder l'anonymat et affirme s'être "déjà fait agresser par des Mahorais".

Sur les réseaux sociaux, beaucoup accusent les jeunes Mahorais, appelés péjorativement "Comoriens", d'être les auteurs des épisodes de violences urbaines de ces dernières semaines. Il est aussi reproché aux familles mahoraises de ne pas s'intégrer au mode de vie réunionnais.

Publiée en ligne le 17 mars, une pétition intitulée "Stop à la délinquance importée de Mayotte à La Réunion" rassemblait mercredi plus de 2.000 signataires.

Elle liste une vingtaine de propositions pour la plupart inapplicables, comme l'instauration d'un visa pour voyager entre les deux îles ou l'interdiction de prendre un aller simple pour La Réunion sans projet professionnel.

"Les gens ont peur de signer, mais je suis d'accord avec la pétition", assure à l'AFP un père de famille habitant Saint-André, commune voisine de Saint-Benoît également touchée par des violences. "Franchement, il faut que les Mahorais rentrent chez eux. Ils ne pourront jamais s'adapter chez nous".

La classe politique a emboîté le pas. Le maire de Saint-Benoît Patrick Selly a ainsi appelé à résoudre "les problèmes d'intégration de la communauté mahoraise sans hypocrisie et sans tabou".

Dans son viseur, les mineurs isolés, des jeunes envoyés par leurs parents chez des connaissances à La Réunion, où ils sont livrés à eux-mêmes. 

"On ne peut pas laisser La Réunion devenir le Mayotte bis en matière de violence", a renchéri le député LFI de La Réunion Jean-Hugues Ratenon, appelant à "l'arrêt immédiat" de l'arrivée "sans contrôle" d'enfants mahorais à La Réunion.

Stigmatisations "banalisées" 

Ces propos ont provoqué une passe d'armes avec les collectifs citoyens mahorais ou le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili, qui dénonce les propos "stigmatisants" de l'élu LFI de "nature à attiser les tensions entre les communautés".

Interrogé par l'AFP, Mohamed Elanrif Bamcolo, délégué du département de Mayotte à La Réunion, déplore une "banalisation de faits de stigmatisations et de provocation à la haine raciale" sur les réseaux sociaux, et "des discours politiques qui ciblent les communautés mahoraise et comorienne".

Des discours qui ont poussé le préfet de La Réunion Jérôme Filippini à appeler à ne pas faire de "généralisation hâtive".

"Il n'y a pas de communauté qui soit responsable du comportement de quelques-uns. Il faut éviter de généraliser", a-t-il affirmé à la radio Réunion La 1ère : les Mahorais "sont Français, Mayotte c'est la France, La Réunion, c'est la France".

Rédigé par RB le Jeudi 28 Mars 2024 à 06:43 | Lu 1146 fois