Une vue de l’hôpital militaire de Limoges en 1918 ; la grippe décima l’Europe avant de tuer plus d’un demi-million d’Américains. Ce n’est que fin 1918 qu’elle arriva à Tahiti.
Tahiti, le 20 mars 2020 - En 1918, la France et son empire colonial avaient besoin de reprendre leur souffle après quatre années d’une terrible guerre, si terrible qu’elle fut baptisée “la Grande Guerre”. Las, en novembre 1918, un virus introduit par maladresse à Papeete, celui de la grippe espagnole, allait faire des ravages dans la population : les EFO, Etablissements français de l’Océanie, comptaient alors environ 30 000 habitants. 3 000 d’entre eux moururent en à peine quelques semaines...
L’administration coloniale française avait beaucoup de défauts, mais se souvenait tout de même du danger que représentaient les grandes épidémies. Ainsi à Tahiti existait-il un lazaret, lieu de quarantaine installé à Motu Uta, loin du port et de la petite ville de Papeete.
Les lazarets, depuis des siècles, servaient à isoler les lépreux et surtout les pestiférés, la peste ayant laissé d’épouvantables souvenirs dans les populations. Tahiti, sur le papier au moins, était donc parée ; en cas de navire à placer en quarantaine, son équipage pouvait être isolé à Motu Uta dans le fameux lazaret.
L’administration coloniale française avait beaucoup de défauts, mais se souvenait tout de même du danger que représentaient les grandes épidémies. Ainsi à Tahiti existait-il un lazaret, lieu de quarantaine installé à Motu Uta, loin du port et de la petite ville de Papeete.
Les lazarets, depuis des siècles, servaient à isoler les lépreux et surtout les pestiférés, la peste ayant laissé d’épouvantables souvenirs dans les populations. Tahiti, sur le papier au moins, était donc parée ; en cas de navire à placer en quarantaine, son équipage pouvait être isolé à Motu Uta dans le fameux lazaret.
Une incroyable imprudence
C’est bien ce qui se passa le 16 novembre 1918, premier jour de ce qui fut la pire tragédie que Tahiti et ses îles connurent. Ce jour-là, le “Navua”, bateau de commerce parti de San Francisco, arrive à Papeete en hissant le pavillon signalant qu’une épidémie sévit à son bord. Le docteur Allard, qui dirige le service de Santé, se rend sur le navire pour une inspection et dès le 17 novembre, il fait débarquer dix-huit malades expédiés à Motu Uta. Ils souffrent d’une violente grippe, qui deviendra la “grippe espagnole” dans le langage commun (alors que la maladie et son virus mortel étaient originaires d’ailleurs ; cf. encadré)...).
A terre, sur les quais, on s’inquiète bien sûr, mais pas plus que cela, la quarantaine au lazaret devant permettre de laisser aux malades le temps de guérir... ou de mourir.
Oui mais voilà, une incroyable imprudence est commise. Le docteur Allard avait recensé dix-huit malades. Or il en manque un au lazaret. On s’interroge, on s’affole, on cherche et on finit par le trouver : contrairement au reste de l’équipage, l’individu, le patient zéro, est un Tahitien. On ne sait trop qui a décidé, sans doute pour le rapprocher de sa famille, de l’installer non pas au lazaret, mais en plein cœur de la cité, à l’hôpital Vaiami où il décède dès le 19 novembre, non sans avoir contaminé ceux qui le soignaient et d’autres malades ! Trop tard pour agir, pour réagir, pour faire quoi que ce soit : le virus est à terre et il peut commencer son effroyable œuvre, tuer, tuer, tuer...
A terre, sur les quais, on s’inquiète bien sûr, mais pas plus que cela, la quarantaine au lazaret devant permettre de laisser aux malades le temps de guérir... ou de mourir.
Oui mais voilà, une incroyable imprudence est commise. Le docteur Allard avait recensé dix-huit malades. Or il en manque un au lazaret. On s’interroge, on s’affole, on cherche et on finit par le trouver : contrairement au reste de l’équipage, l’individu, le patient zéro, est un Tahitien. On ne sait trop qui a décidé, sans doute pour le rapprocher de sa famille, de l’installer non pas au lazaret, mais en plein cœur de la cité, à l’hôpital Vaiami où il décède dès le 19 novembre, non sans avoir contaminé ceux qui le soignaient et d’autres malades ! Trop tard pour agir, pour réagir, pour faire quoi que ce soit : le virus est à terre et il peut commencer son effroyable œuvre, tuer, tuer, tuer...
Le maire contre le gouverneur
Un portrait du gouverneur Gustave Julien qui dut faire face à la grippe espagnole à Tahiti et dans les îles.
Face au coronavirus actuel, l’entente Etat-Pays est parfaite aujourd’hui. A l’époque, entre le gouverneur Gustave Julien et le maire de Papeete, maître Lucien Sigogne, c’est tout le contraire, ce dernier accusant les autorités d’avoir introduit la maladie par leur laxisme. Début d’un ping-pong par courriers interposés entre le docteur Allard et le maire de Papeete, match évidemment parfaitement inutile et stérile alors que le virus, lui, ne perd pas de temps.
Le 21 novembre, Apia prévient par radio que les Samoa connaissent une terrible épidémie de grippe. (“Tout le monde est malade. Personne pour ensevelir le morts”). Le 23 novembre se tient le “banquet de la Victoire”, manifestation prévue pour marquer la fin de la guerre (l’Armistice tout récent avait été signé le 11 novembre) ; un banquet qu’il ne fut pas possible d’annuler (mais qui ne dut rien arranger puisque cette manifestation fut tout le contraire de ce qu’il eut été nécessaire de faire, à savoir un confinement de la population).
Dès lors, le virus, qui a pris ses marques, donne toute sa puissance ; la “petite grippe” devient une mortelle affection et les onze mille habitants de l’île de Tahiti apprennent très vite à vivre dans la peur la plus absolue. Un Conseil exécutif d’hygiène et de santé publique est mis sur pied par le gouverneur Julien et tient sa première réunion le 2 décembre.
Le 21 novembre, Apia prévient par radio que les Samoa connaissent une terrible épidémie de grippe. (“Tout le monde est malade. Personne pour ensevelir le morts”). Le 23 novembre se tient le “banquet de la Victoire”, manifestation prévue pour marquer la fin de la guerre (l’Armistice tout récent avait été signé le 11 novembre) ; un banquet qu’il ne fut pas possible d’annuler (mais qui ne dut rien arranger puisque cette manifestation fut tout le contraire de ce qu’il eut été nécessaire de faire, à savoir un confinement de la population).
Dès lors, le virus, qui a pris ses marques, donne toute sa puissance ; la “petite grippe” devient une mortelle affection et les onze mille habitants de l’île de Tahiti apprennent très vite à vivre dans la peur la plus absolue. Un Conseil exécutif d’hygiène et de santé publique est mis sur pied par le gouverneur Julien et tient sa première réunion le 2 décembre.
Des morts partout !
Le maire signale que la majeure partie de la population est touchée, alitée, voire mourante. Le personnel manque pour enlever les morts des habitations et dans certains quartiers de Papeete, en pleine saison chaude, les cadavres s’empilent, attendant d’être évacués. La main d’œuvre fait défaut partout, aux Travaux publics, à la caserne et même à la prison.
Le maire s’emporte, exige que la loi martiale soit décrétée pour obliger les Chinois à faire le sale travail (s’occuper des morts), mais Gustave Julien s’y refuse.
Les morts, encore eux, non seulement encombrent les maisons mais posent bien des problèmes ; au lazaret, on en a jeté à la mer pour faire de la place. Faut-il une fosse commune, un crématoire ? L’immersion, compte tenu du risque de voir les Tahitiens refuser dans le futur de se rendre à la pêche, est abandonnée sauf cas de force majeure. Va pour la ou les fosses communes, alors que la grippe ne cesse de s’amplifier, le corps médical envisageant que le cinquième de la colonie pourrait y laisser la vie.
Si les morts créent bien des soucis, les vivants et les survivants aussi ; il faut les nourrir et les marchés sont désespérément vides. Des fonds sont débloqués en urgence (une première enveloppe de 15 000 Francs) pour distribuer des vivres ; les vivants, espère-t-on, auront alors la force d’enterrer leurs morts sur leurs terrains puisqu’ailleurs, la place manque.
Le maire s’emporte, exige que la loi martiale soit décrétée pour obliger les Chinois à faire le sale travail (s’occuper des morts), mais Gustave Julien s’y refuse.
Les morts, encore eux, non seulement encombrent les maisons mais posent bien des problèmes ; au lazaret, on en a jeté à la mer pour faire de la place. Faut-il une fosse commune, un crématoire ? L’immersion, compte tenu du risque de voir les Tahitiens refuser dans le futur de se rendre à la pêche, est abandonnée sauf cas de force majeure. Va pour la ou les fosses communes, alors que la grippe ne cesse de s’amplifier, le corps médical envisageant que le cinquième de la colonie pourrait y laisser la vie.
Si les morts créent bien des soucis, les vivants et les survivants aussi ; il faut les nourrir et les marchés sont désespérément vides. Des fonds sont débloqués en urgence (une première enveloppe de 15 000 Francs) pour distribuer des vivres ; les vivants, espère-t-on, auront alors la force d’enterrer leurs morts sur leurs terrains puisqu’ailleurs, la place manque.
Pas de remède...
Effrayés par le risque de loi martiale, les Chinois ont fermé boutique et cessé le travail. Il faut les rassurer et les convaincre de rouvrir leurs échoppes de manière à pouvoir nourrir la population.
Le 4 décembre, Gustave Julien envoie un télégramme demandant à la France, touchée depuis longtemps déjà par cette grippe, s’il existe un remède. Un appel a même été lancé à la Société des secours des Etats-Unis, demandant médecins, infirmiers et médicaments. Les réponses à divers courriers seront toujours les mêmes : pas de médicament miracle à attendre...
Le 4 décembre, Gustave Julien envoie un télégramme demandant à la France, touchée depuis longtemps déjà par cette grippe, s’il existe un remède. Un appel a même été lancé à la Société des secours des Etats-Unis, demandant médecins, infirmiers et médicaments. Les réponses à divers courriers seront toujours les mêmes : pas de médicament miracle à attendre...
Des orphelins affamés dans les rues
Dans la population tahitienne, démunie face à ce péril jusqu’alors inconnu, une seule thérapie est appliquée : dès que la fièvre génère de la transpiration, on se rue à la rivière où l’on attrape froid évidemment, la grippe devenant alors une pneumonie fatale.
Malgré l’hécatombe provoquée par ce comportement, rien n’arrête les Tahitiens et c’est par charrettes entières que leurs corps sont sortis de la ville, où traînent en quête de secours et de nourriture des dizaines et des dizaines de petits orphelins affamés. La Société des missions évangéliques de Paris prendra soin de ces enfants, le gouverneur Gustave Julien débloquant 2 000 Francs pour financer leur prise en charge. Le ministère des Colonies va plus loin et débloque 100 000 Francs, une très forte somme à l’époque.
Pharmaciens, médecins, infirmiers, aides soignants, volontaires, tous sont épuisés ou malades quand ils ne sont pas eux-mêmes morts.
Le 16 décembre, le gouverneur informe Paris que sur 3 000 personnes habitant à Papeete, 600 sont déjà mortes. A Tahiti, partout autour de l’île, à Moorea aussi, la mortalité est de sept à douze pour cent de la population.
Malgré l’hécatombe provoquée par ce comportement, rien n’arrête les Tahitiens et c’est par charrettes entières que leurs corps sont sortis de la ville, où traînent en quête de secours et de nourriture des dizaines et des dizaines de petits orphelins affamés. La Société des missions évangéliques de Paris prendra soin de ces enfants, le gouverneur Gustave Julien débloquant 2 000 Francs pour financer leur prise en charge. Le ministère des Colonies va plus loin et débloque 100 000 Francs, une très forte somme à l’époque.
Pharmaciens, médecins, infirmiers, aides soignants, volontaires, tous sont épuisés ou malades quand ils ne sont pas eux-mêmes morts.
Le 16 décembre, le gouverneur informe Paris que sur 3 000 personnes habitant à Papeete, 600 sont déjà mortes. A Tahiti, partout autour de l’île, à Moorea aussi, la mortalité est de sept à douze pour cent de la population.
Fin de l’épidémie le 10 janvier
L’épidémie s’est étendue aux îles Sous-le-Vent et à Makatea où est exploité le gisement de phosphate. L’administration est paralysée et si les Tahitiens payent un très lourd tribut à la maladie, au niveau des fonctionnaires, y compris ceux occupant des postes élevés, la mortalité est elle aussi effrayante.
Les fêtes de fin d’année passent évidemment à la trappe, personne n’ayant le cœur de souhaiter à ses proches et amis, à ceux qui restent, une bonne année 1919. Et pourtant après le flux mortel, le reflux s’amorce. Le 10 janvier 1919, le gouverneur constate dans un télégramme que “l’épidémie de grippe peut être considérée terminée. Mesures prises pour préserver Tuamotu, îles Australes et Marquises paraissent avoir réussi. Nombre global décès voisin trois mille”. Soit environ 10% de la population.
Ce chiffre de décès, ramené à la population actuelle des îles de la Société équivaudrait sans doute à environ 25 000 morts aujourd’hui !
Les fêtes de fin d’année passent évidemment à la trappe, personne n’ayant le cœur de souhaiter à ses proches et amis, à ceux qui restent, une bonne année 1919. Et pourtant après le flux mortel, le reflux s’amorce. Le 10 janvier 1919, le gouverneur constate dans un télégramme que “l’épidémie de grippe peut être considérée terminée. Mesures prises pour préserver Tuamotu, îles Australes et Marquises paraissent avoir réussi. Nombre global décès voisin trois mille”. Soit environ 10% de la population.
Ce chiffre de décès, ramené à la population actuelle des îles de la Société équivaudrait sans doute à environ 25 000 morts aujourd’hui !
Sources
- Le mémorial polynésien, tome V
- Tahitiens, de Patrick O’Reilly
- Courrier international , no 1528
- National Library, New Zealand
- Tahitiens, de Patrick O’Reilly
- Courrier international , no 1528
- National Library, New Zealand
L’alcool grand responsable
Après le pic de l’épidémie, une fois les morts enterrés, on en vint aux questions : pourquoi une telle hécatombe ? Et surtout pourquoi autant de victimes parmi les Tahitiens eux-mêmes... Certes les bains en rivière pour faire tomber la fièvre furent responsables d’un très grand nombre de décès, la grippe se transformant en fatale pneumonie, mais cela n’expliquait pas tout. Les autorités en conclurent que si les Tahitiens mourraient si facilement, c’était à cause de leur consommation excessive d’alcool.
Du coup, le gouverneur Gustave Julien décida de fermer définitivement tous les débits de boissons, décision qu’il fit connaître par un arrêté daté du 11 février 1919. Voici les termes de l’article premier de l’arrêté : “Les débits de boissons sont supprimés à Papeete au fur et à mesure que leurs tenanciers arriveront au terme de la concession dont ils sont titulaires et sans que pour aucun d’eux l’exercice de leur profession puisse s’étendre au delà du 11 octobre 1920.”
On s’en doute, d’autres gouverneurs succédèrent à Julien après son départ pour raison de santé le 16 avril 1919. Et l’arrêté fit long feu !
Du coup, le gouverneur Gustave Julien décida de fermer définitivement tous les débits de boissons, décision qu’il fit connaître par un arrêté daté du 11 février 1919. Voici les termes de l’article premier de l’arrêté : “Les débits de boissons sont supprimés à Papeete au fur et à mesure que leurs tenanciers arriveront au terme de la concession dont ils sont titulaires et sans que pour aucun d’eux l’exercice de leur profession puisse s’étendre au delà du 11 octobre 1920.”
On s’en doute, d’autres gouverneurs succédèrent à Julien après son départ pour raison de santé le 16 avril 1919. Et l’arrêté fit long feu !
Raiatea dans la tourmente
Dans le Journal des missions évangéliques, le pasteur Charles Vernier laissa un témoignage émouvant de ce que fut la grippe espagnole à Raiatea.
La grippe a provoqué un désastre pendant la première quinzaine de décembre 1918. En deux semaines, un millier au moins d’habitants trouvèrent la mort. Le drame fut d’autant plus cruellement ressenti que l’île venait d’apprendre que les Alliés avaient vaincu les Allemands et que partout on pavoisait.
Les premières fièvres apparurent le 26 novembre 1918, mais personne ne prit au sérieux ce qui fut jugé comme une grippe sans importance. Fin novembre, les 27, 28 et 29, la situation devenait beaucoup plus tendue car la maladie toucha également l’administration qui dut se résoudre à fermer tous les services publics, compte tenu des malades et des décès.
Le 1er décembre, les temples étaient presque vides, la majorité de la population étant malade. La mort du pasteur de Opoa fit prendre conscience aux responsables religieux que la situation allait s’aggraver et Vergnier a cette phrase terrible : “Ce fut, en effet, le commencement de la grande débâcle”. En fin de semaine, on comptait dix à douze enterrements par jour à Uturoa, alors petite bourgade. Dans toutes le maisons, des malades anéantis et souvent un cadavre que l’on veillait en attendant qu’il soit emporté. “Seules les voiturettes chargées de planches pour les cercueils donnaient quelque animation à la ville”...
Pour le pasteur, le manque d’hygiène de la population contribua très largement à l’hécatombe : “Alors qu’ils avaient 40 degrés de fièvre et qu’ils faisaient de la bronco-pneumonie, ils buvaient froid, se trempaient dans les ruisseaux ou se couchaient à moitié découverts, sur les galeries, au vent frais de la nuit ! Les complications étaient instantanées et la mort aussi.”
Une femme, Melle Debrie, se battit pour voler au secours des malades et réussit à faire bâtir à la hâte un hôpital de campagne. Polynésiens et Européens étaient touchés et chez les Européens également, la mort emporta nombre de personnes, dont Georges Hart. Le bilan de mille morts n’est pas exagéré, le pasteur Vergnier ayant comptabilisé 112 décès à Ututoa, et 120 à Tevaitoa...
La grippe a provoqué un désastre pendant la première quinzaine de décembre 1918. En deux semaines, un millier au moins d’habitants trouvèrent la mort. Le drame fut d’autant plus cruellement ressenti que l’île venait d’apprendre que les Alliés avaient vaincu les Allemands et que partout on pavoisait.
Les premières fièvres apparurent le 26 novembre 1918, mais personne ne prit au sérieux ce qui fut jugé comme une grippe sans importance. Fin novembre, les 27, 28 et 29, la situation devenait beaucoup plus tendue car la maladie toucha également l’administration qui dut se résoudre à fermer tous les services publics, compte tenu des malades et des décès.
Le 1er décembre, les temples étaient presque vides, la majorité de la population étant malade. La mort du pasteur de Opoa fit prendre conscience aux responsables religieux que la situation allait s’aggraver et Vergnier a cette phrase terrible : “Ce fut, en effet, le commencement de la grande débâcle”. En fin de semaine, on comptait dix à douze enterrements par jour à Uturoa, alors petite bourgade. Dans toutes le maisons, des malades anéantis et souvent un cadavre que l’on veillait en attendant qu’il soit emporté. “Seules les voiturettes chargées de planches pour les cercueils donnaient quelque animation à la ville”...
Pour le pasteur, le manque d’hygiène de la population contribua très largement à l’hécatombe : “Alors qu’ils avaient 40 degrés de fièvre et qu’ils faisaient de la bronco-pneumonie, ils buvaient froid, se trempaient dans les ruisseaux ou se couchaient à moitié découverts, sur les galeries, au vent frais de la nuit ! Les complications étaient instantanées et la mort aussi.”
Une femme, Melle Debrie, se battit pour voler au secours des malades et réussit à faire bâtir à la hâte un hôpital de campagne. Polynésiens et Européens étaient touchés et chez les Européens également, la mort emporta nombre de personnes, dont Georges Hart. Le bilan de mille morts n’est pas exagéré, le pasteur Vergnier ayant comptabilisé 112 décès à Ututoa, et 120 à Tevaitoa...
Une grippe pas du tout espagnole
Un foyer de fièvre apparut au Kansas le 4 mars 1918. On a longtemps cru que c’était de là que provenait la grippe espagnole. Elle était en fait “française”...
La grippe espagnole n’avait d’espagnol que le nom. On a longtemps cru que les premiers cas avérés étaient apparus aux Etats-Unis, le 4 mars 1918 dans le camp militaire de Fort Riley au Kansas. Un demi-millier de soldats devant être envoyés en France pour se battre contre les Allemands auraient été infectés et hospitalisés en quelques jours seulement. En réalité, le virus s’est manifesté pour la première fois en Europe en 1917. Cette année-là, des militaires français sont victimes d’une forte fièvre à Etaples-sur-Mer où ils s’entraînent. Ce sont sans doute des oiseaux migrateurs venus d’Asie qui ont amené le virus, car le camp était proche de la baie de Somme où nichaient les volatiles. En avril 1918, la grippe qui provoque des complications pulmonaires mortelles s’installe dans les tranchées de Villers-sur- Coudun. A partir de là, la maladie, très contagieuse, va se répandre, d’abord dans les tranchées, sur le front, où ces soldats ont été envoyés puis partout en France, en Europe et aux Etats-Unis.
Mais alors pourquoi cette appellation de “grippe espagnole” ? Tout simplement parce qu’à l’époque, le continent européen était en guerre. Aucun belligérant ne souhaitait communiquer sur ses difficultés. Il n’était pas question pour les militaires, de quelque bord qu’ils soient, de faire savoir à l’adversaire que leurs troupes étaient affaiblies. Or l’Espagne ne faisait pas partie des pays entrés en guerre. Elle publia donc très sereinement les statistiques de l’évolution de la maladie sur son territoire, maladie qui devint la “grippe espagnole”…
En Espagne, on l'a appelée grippe française, en Allemagne grippe des Flandres, au Sénégal grippe brésilienne, au Brésil grippe allemande, en Pologne grippe bolchévique et en Perse, grippe britannique..
Mais alors pourquoi cette appellation de “grippe espagnole” ? Tout simplement parce qu’à l’époque, le continent européen était en guerre. Aucun belligérant ne souhaitait communiquer sur ses difficultés. Il n’était pas question pour les militaires, de quelque bord qu’ils soient, de faire savoir à l’adversaire que leurs troupes étaient affaiblies. Or l’Espagne ne faisait pas partie des pays entrés en guerre. Elle publia donc très sereinement les statistiques de l’évolution de la maladie sur son territoire, maladie qui devint la “grippe espagnole”…
En Espagne, on l'a appelée grippe française, en Allemagne grippe des Flandres, au Sénégal grippe brésilienne, au Brésil grippe allemande, en Pologne grippe bolchévique et en Perse, grippe britannique..
Le “Navua”, qui amena le virus
Construit en 1904, le “Navua” était un cargo mixte de 2 930 tonneaux (220 passagers en première classe, 136 passagers en seconde classe). Il appartenait à la Union Steam Ship Company qui l’utilisa pour naviguer dans les îles du Pacifique. Durant la Première Guerre mondiale, il fut utilisé à cinq reprises pour effectuer des transports de troupes vers le front européen ou dans l’autre sens, pour ramener des blessés.
Le navire cessa ses activités en 1924 et fut mis en vente à Port Chalmers (Dunedin, NZ). La Khedivial Mail Steam Ship & Graving Dock Co. de Londres le racheta en 1926. Il fut rebaptisé “Roda”. Il a été mis définitivement au rebut en septembre 1932, en Egypte et “désossé” en 1933.
C’est lui qui, le 16 novembre 1918, amena la grippe espagnole à Tahiti.
Le navire cessa ses activités en 1924 et fut mis en vente à Port Chalmers (Dunedin, NZ). La Khedivial Mail Steam Ship & Graving Dock Co. de Londres le racheta en 1926. Il fut rebaptisé “Roda”. Il a été mis définitivement au rebut en septembre 1932, en Egypte et “désossé” en 1933.
C’est lui qui, le 16 novembre 1918, amena la grippe espagnole à Tahiti.