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1834 : Qui a tué David Douglas sur Big Island ?


L’un des rares portraits connus de David Douglas. Le jeune botaniste a laissé son nom en découvrant et décrivant le “sapin Douglas”, aujourd’hui universellement planté et utilisé.
L’un des rares portraits connus de David Douglas. Le jeune botaniste a laissé son nom en découvrant et décrivant le “sapin Douglas”, aujourd’hui universellement planté et utilisé.

Tahiti, le 20 août 2021 - Si le nom du botaniste David Douglas ne vous dit pas grand chose, lorsque nous aurons rappelé qu’il est celui qui a décrit le sapin Douglas, universellement utilisé aujourd’hui dans la construction, vous aurez compris que le bonhomme était un scientifique de renom spécialisé dans l’étude de la flore de la côte ouest des États-Unis et du Canada (d’où est originaire ce fameux sapin). Mais curieusement, c’est dans une fosse, en pleine nature à Hawaii, qu’il a été retrouvé mort, son corps ayant été jeté dans un piège où était également tombé un taureau sauvage. Le bovidé l’a-t-il tué ? A priori “oui” ont d’abord répondu ceux qui découvrirent le cadavre, mais il y a plus que de grandes chances qu’il s’agisse en réalité d’un meurtre déguisé en accident...

 

Lorsqu’il est décédé tragiquement, David Douglas n’avait que trente-cinq ans, mais il était déjà célèbre bien au-delà de sa Grande-Bretagne natale. D’origine écossaise, David connaissait bien Hawaii pour s’y être rendu déjà trois fois. Il étudiait en effet la flore de la côte ouest des États-Unis, mais, l’hiver venu et la végétation étant en sommeil ou sous un manteau de neige, il avait ouvert un autre chantier de recherches dans l’archipel hawaiien.

            

Le fameux sapin Douglas est également appelé pin d’Oregon. Il a été largement diffusé hors des États-Unis pour être planté partout en Europe.
Le fameux sapin Douglas est également appelé pin d’Oregon. Il a été largement diffusé hors des États-Unis pour être planté partout en Europe.

Le “père” du sapin Douglas

 

Sa spécialité était en effet l’étude de la flore depuis la ville de Monterey, au sud, jusqu’à la frontière entre les États de Washington et de l’Oregon. Hyper actif, passionné par son travail, David avait envoyé en Grande-Bretagne, avant sa mort, deux cents espèces de plantes nouvelles et l’une d’elles avait suffi à le faire passer à la postérité : il s’agit en effet d’un arbre aujourd’hui emblématique de la sylviculture, le sapin de Douglas, ou pin d’Oregon (Pseudotsuga douglasii), ainsi nommé en référence au jeune botaniste (l’espèce a été débaptisée et est désormais appelée Pseudotsuga menziesii). 

A Hawaii même, ses recherches ont laissé des traces puisque deux plantes au moins portent son patronyme : le pukiawe, ou maiele (Styphelia douglasii devenu Leptecophylla tameiameiae) et le hala (Pandanus douglasii). 

Si ce chercheur était célèbre déjà à son époque, en revanche, il n’avait pas pris la grosse tête et était apprécié de tous à Hawaii où ses séjours faisaient l’unanimité parmi tous ceux qui étaient amenés à le côtoyer, voire à l’aider dans ses explorations botaniques. Parmi ses alliés “naturels”, se trouvaient les missionnaires en poste sur la grande île et qui étaient toujours ravis de recevoir cet hôte au savoir si étendu. Ainsi Emma Lyons Doyle, une petite-fille du révérend Lyons de Waimea, a-t-elle écrit : “Il était aimé à Hawaii, ce Britannique amusant qui devait toujours prendre son thé. Dans la maison Lyman à Hilo, il est devenu l'un des membres de la famille. Il a ramené des fournitures ménagères à la maison, et a une fois ravi le cœur de son hôtesse missionnaire en lui offrant une robe de mousseline française”.

Bref, sur la côte ouest des États-Unis comme dans l’archipel encore indépendant de Hawaii, David Douglas était connu, reconnu et apprécié. D’où l’étrangeté de sa mort brutale...


Le Mauna Kea, énorme volcan en forme de bouclier, culmine au-dessus de 4 000 mètres (4 207 m). Lorsque Douglas en fit l’ascension, il parcouru des kilomètres dans une neige profonde. Et c’est sur ses flancs qu’il trouva la mort en 1834.
Le Mauna Kea, énorme volcan en forme de bouclier, culmine au-dessus de 4 000 mètres (4 207 m). Lorsque Douglas en fit l’ascension, il parcouru des kilomètres dans une neige profonde. Et c’est sur ses flancs qu’il trouva la mort en 1834.

Sur les pentes du Mauna Kea

 

Venons-en donc à ce qui fut son ultime voyage : Douglas arriva aux îles Sandwich –puisque c’est ainsi que les Occidentaux les appelaient encore– en décembre 1833. Il ne voyageait pas seul car il emmenait presque toujours avec lui son chien Billy, un petit terrier. Le temps de s’installer, de prendre ses marques et de définir un plan de travail et voilà Douglas partant en janvier 1834 sur les pentes du Mauna Kea avec un guide et interprète dénommé Honoli’i. La randonnée dura quelques jours et les deux hommes passèrent leurs nuits dans un refuge que s’étaient bâtis deux chasseurs de bœufs sauvages, M. Mills et Daniel Castle qui exploitaient également une petite scierie. 

En parlant de bœufs sauvages, le mot taureau conviendrait mieux pour ces animaux relâchés quelques décennies plus tôt par l’explorateur George Vancouver. Dans le journal de David Douglas, celui-ci avait noté que “les flancs herbeux de la montagne regorgent de bétail sauvage, la progéniture du stock laissé ici par le capitaine Vancouver, et qui s'avère maintenant un très grand avantage pour cette île”. Les bovidés en question permettaient effectivement, grâce à d’habiles chasseurs, de se fournir en viande fraîche de qualité, mais on va le voir plus loin, ils causeront indirectement la perte du botaniste. 

Une amie de David, Mme Lyman (femme du pasteur David Lyman, qui aidait Douglas à Hilo lorsqu’il séjournait dans cette petite ville), nota le fait dans son journal daté du 16 janvier 1834 : “M. Douglas est revenu du Mauna Kea. Sa hauteur a été estimée à pas loin de treize mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Jusqu'à présent, elle avait été calculée à dix-huit mille pieds”.


Une randonnée de 80 km à flanc de volcan

 

Cette petite escapade réalisée, Douglas explora le Kilauea puis le Mauna Loa et revint à Honolulu au mois de mars 1834 afin de s’embarquer à destination de l’Angleterre. Mais manque de chance, il ne trouva de place sur aucun bateau en partance et dut se résoudre à accepter de décaler son retour de plusieurs mois. Qu’à cela ne tienne, s’il avait du temps devant lui, ce n’était pas pour le perdre, mais au contraire pour le mettre à profit afin de poursuivre ses études botaniques sur la flore hawaiienne.

Il retourna donc sur Big Island en embarquant début juillet sur la goélette Minerva ; il arriva à Kohala le 9 juillet, décidé cette fois-ci à mener à bien une nouvelle expédition, accompagné d’un employé noir dénommé John, travaillant pour le révérend John Diell, aumônier américain de l’American Seamen’s Friend Society à Honolulu. 

Le but de cette randonnée était de se limiter à une hauteur de six mille pieds environ sur les flancs du Mauna Kea en suivant un petit sentier appelé Laumai’a Trail ; le départ était fixé au pied du volcan éteint Kohala, au nord de Big Island avec une arrivée prévue à Hilo, à plus de quatre-vingts kilomètres de là. Inutile de préciser que la balade devait s’étendre sur plusieurs jours d’autant que Douglas prenait le temps de récolter des échantillons de plantes ici et là, au fil de son avancée.


Le Mauna Kea en hiver, tel que l’avait escaladé en 1834 David Douglas, qui déplora une très difficile marche dans une neige profonde.
Le Mauna Kea en hiver, tel que l’avait escaladé en 1834 David Douglas, qui déplora une très difficile marche dans une neige profonde.

Tué avant d’être jeté dans la fosse ?

 

Ce n’est qu’à la mi-juillet que l’on sut que l’aventure avait été fatale à l’Écossais par l’intermédiaire du journal de Mme Lyman qui conta ce qu’elle apprit de la tragédie le 14 juillet 1834. Voici le récit qu’elle en fit : “M. Douglas a quitté le navire à Kawaihae pour une traversée par voie terrestre (ndlr : de Big Island), a engagé un étranger pour guide et plusieurs indigènes afin de porter ses bagages le long du chemin. Le guide l'a accompagné jusqu'à ce qu'ils aient passé toutes les fosses creusées pour piéger le bétail sauvage sur le côté nord du Mauna Kea ; il l'a ensuite laissé pour revenir. Peu de temps après, M. Douglas est retourné sur ses pas sur une courte distance pour faire quelque chose et en revenant, il a chuté dans une fosse (dans laquelle un bœuf était déjà tombé) et a été retrouvé mort peu de temps après. C'était samedi matin”.

Géographiquement, le malheureux avait été retrouvé précisément dans l'ahupua'a (division hawaiienne des terres) de Laupahoehoe. Le dimanche, son corps fut ramené au bord de la mer, enveloppé dans une toile.

Dès que ses amis pasteurs à Hilo furent prévenus, ils se dépêchèrent d’envoyer sur place quelques hommes pour ramener David Douglas afin de lui offrir une sépulture digne, mais alors que la tombe avait déjà été creusée sous un arbre à pain, en examinant la dépouille, les révérends Goodrich et Diell furent frappés par le fait que Douglas portait à la tête des blessures profondes (dix entailles), qui, à leurs yeux, n’avaient rien à voir avec celles qu’auraient pu faire les cornes ou les sabots d’un taureau. Douglas semblait certes avoir été piétiné par un bovidé, ses vêtements étaient certes déchirés, mais se pouvait-il qu’il ait été tué avant d’être précipité dans la fosse où on l’avait retrouvé, quelqu’un ayant ainsi pu maquiller un crime en faits divers ?


Le cadavre dans du gros sel

 

Ni Goodrich ni Diell n’avaient la moindre compétence en matière de médecine légale, mais ces entailles suspectes les incitèrent à annuler les obsèques du botaniste. Il leur fallut beaucoup de courage pour décider de conserver le corps en faisant comme ils auraient fait d’un animal mort, à savoir l’ouvrir et lui remplir le ventre de gros sel, avant d’emballer le cadavre dans une autre couche de gros sel. On imagine que la tache n’a pas dû être simple pour ces deux religieux et il fallait que leurs doutes sur la mort de Douglas soient forts pour qu’ils se lancent dans une telle opération. De fait, tant bien que mal, ils parvinrent à conserver la dépouille jusqu’à ce qu’un bateau l’emmène à Honolulu afin d’y être examinée. De ce qui se passa à Honolulu, rien ne vint formellement confirmer ni infirmer l’hypothèse du crime, car le cadavre avait quand même été très abîmé par ce trajet, le corps médical se contentant de confirmer que le taureau était la cause probable du décès. 

En revanche, sur place, les deux révérends, convaincus d’avoir raison, se lancèrent dans une enquête approfondie afin de savoir qui Douglas avait-il rencontré et qui aurait eu intérêt à se débarrasser de lui. 

Très vite, il apparut à ces deux Sherlock Holmes improvisés que le crime pouvait avoir eu pour motif l’argent. Les porteurs indigènes furent de suite exclus de leurs recherches puisqu’à l’époque, des Hawaiiens avec de l’argent provenant d’un Européen auraient été immédiatement repérés. Ils n’avaient donc pas de motifs pour s’en prendre à cet étranger qui leur semblait pour le moins original à passer son temps à herboriser en pleine forêt.


Big Island vue depuis l’espace. Nous avons indiqué approximativement l’itinéraire qu’avait prévu de suivre David Douglas.
Big Island vue depuis l’espace. Nous avons indiqué approximativement l’itinéraire qu’avait prévu de suivre David Douglas.

La théorie d’une chute ne tient pas

 

Oui mais alors ?... La possibilité de la chute accidentelle de Douglas dans une fosse, alors que son guide lui avait indiqué leurs emplacements, était exclue. A l’époque, les fusils n’étaient pas d’une puissance extraordinaire, les munitions coûtaient cher et les chasseurs préféraient de loin creuser de profondes fosses aux endroits où passaient les bovidés, de manière à se procurer de la viande sans aucun frais. Evidemment, il fallait creuser profond, mais les indigènes, moyennant des babioles et quelques pacotilles, un couteau ou une hache, acceptaient volontiers de prêter main forte à ces chasseurs étrangers dont ils redoutaient la brutalité. 

Cela dit, encore une fois Douglas connaissait les emplacements de ces fosses et aucun taureau ne se serait laissé piéger par une fosse dont le plafond végétal aurait déjà été crevé par un homme. A l’inverse, Douglas ne serait jamais tombé dans une fosse ouverte par un taureau, avec l’animal au fond. S’il a été retrouvé dans une telle fosse, c’est parce qu’on l’y avait mis après le taureau. C’était une évidence, la théorie d’une chute accidentelle ne tenait pas...

Se pouvait-il que le guide noir soit le responsable du meurtre ? John, puisque c’est ainsi qu’il se nommait, fut le premier suspect, après la mort de Douglas, car il disparut littéralement du paysage et on ne le revit plus !


L’argent, mobile du meurtre 

 

Mais cet énigmatique John, s’il disparut bel et bien, le fit peut-être parce que lui-même avait été tué... C’est en effet une autre hypothèse car les regards se sont vite tournés vers un suspect bien plus sérieux, Ned Edward Gurney. C’était un ancien du bagne anglais de l’Australie où il avait été envoyé en 1819. Il était arrivé sur un bateau, en 1822, le Mermaid. 

Compte tenu de son statut d’ex-bagnard, il aurait travaillé un temps au service des armées du roi Kamehameha et décida finalement de se faire oublier des autorités en s’installant dans un coin perdu de Big Island où pour survivre, il devint chasseur de bovidés sauvages. 

De l’avis d’un autre chasseur, Charles Hall, qui mena l’enquête douze ans après les faits, ce ne pouvait qu’être Ned le tueur ; Douglas en effet, dans son extrême naïveté, avait demandé à ce personnage de l’héberger pour une nuit dans sa cabane ; afin de le convaincre de ses bonnes intentions, il lui montra sa bourse contenant en argent plus qu’il ne fallait pour payer une nuit chez son hôte chez qui il prit également son petit-déjeuner au matin de sa disparition selon les porteurs indigènes ; or jamais la moindre pièce ne fut retrouvée sur le corps de Douglas ni la moindre bourse, ni rien qui eut pu contenir de l’or ou de l’argent. Avant d’être précipité dans la fosse, Douglas avait donc bien été dépouillé de son petit pécule. 

Pour Hall, l’assassinat de Douglas ne faisait pas l’ombre d’un doute tout comme la chute dans une fosse n’était qu’une mise en scène du coupable... Evidemment douze ans après les faits, le Ned en question avait eu le temps de plier bagage et de lui on n’entendit plus parler avant... longtemps. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il demeura à Hawaii jusqu’en 1839, soit cinq ans après le meurtre, sûr qu’il était de ne pas être inquiété. C’est après cette date que l’on a perdu sa trace.


Le haole avait été assassiné” 

 

Au fil du temps, bien des histoires, bien des rumeurs circulèrent sur la mort de Douglas mais on en apprit un peu plus soixante ans après les faits, par le canal du journal Hilo Tribune. En 1896, ce quotidien publia le récit d’un Hawaiien, un chasseur de plus de soixante-dix ans appelé Bolabola. Il vivait près de la cabane de Ned Gurney au moment des faits concernant Douglas. Il avait alors d’une dizaine d‘années et il se souvenait parfaitement que “le haole (l’étranger) avait été assassiné ; nous le sentions tous à l’époque mais nous avions peur de le dire et nous n’avons fait que le chuchoter entre nous”, parlant de sa communauté. 

Une nouvelle pièce fut versée au dossier en 1906 lorsqu’un géomètre, A.B. Loebenstein, raconta au journal Hawai’i Herald qu’il avait lui-même, lorsqu’il travaillait dans ce coin de Big Island, entendu des indigènes parler de cette affaire. Selon eux, Douglas avait commis la fatale imprudence de montrer de l’argent à Ned Gurney. Le chasseur avait été vu suivant le botaniste, mais les indigènes avaient tellement peur de Gurney et de sa brutalité qu’ils n’avaient pas osé en parler à d’autres Blancs. Selon ces mêmes Hawaiiens, Gurney aurait tué Douglas à coups de hache avant d’aller jeter son corps dans une fosse où se trouvait déjà un taureau.

Evidemment, au terme de ce récit vieux de plus d’un siècle, on peut considérer que le mystère planant autour du meurtre de David Douglas est désormais résolu. Il s’agit bien d’un meurtre, même si l’identité du meurtrier n’est pas totalement certaine. John ou Ned ?


200 pins Douglas plantés

 

Faute d’une expertise médico-légale exemplaire, le malheureux Douglas a été enterré près de la Mission House, à Honolulu, mais sa tombe s’est perdue parmi les autres et on ne la retrouva jamais. En revanche, en 1856, une borne fut érigée à l’extérieur du temple Kawaiaha’o en mémoire du disparu, stèle qui a ensuite été installée à l’intérieur de l’édifice religieux, la Royal Horticultural Society y ayant ajouté une plaque en bronze. 

Enfin en 1934, soit un siècle après la mort de David Douglas, un petit monument, un cairn de pierres, a été édifié à l’endroit même où il avait été tué, à Kaluakauka. On peut retrouver ce lieu de mémoire facilement aujourd’hui puisque, à l’époque de l’édification du cairn, deux cents sapins Douglas ont été plantés sur le site pour marquer la reconnaissance due à cet intrépide, infatigable mais sans doute bien naïf botaniste... 

Quant à l’exacte vérité, elle ne sera sans doute jamais connue même si la thèse du meurtre par Ned Gurney plutôt que par le dénommé John ne fait quasiment plus l’ombre d’un doute aujourd’hui...


Infatigable “alpiniste”

Big Island est composée de cinq volcans majeurs dont le Mauna Kea ; c’est en longeant ses flancs sur la côte nord de l’île, à 6 000 pieds d’altitude, que Douglas fut assassiné.
Big Island est composée de cinq volcans majeurs dont le Mauna Kea ; c’est en longeant ses flancs sur la côte nord de l’île, à 6 000 pieds d’altitude, que Douglas fut assassiné.

Peut-on encore utiliser le mot “alpinisme” quand on évoque des ascensions aux îles Hawaii ? Pour les Andes, on parle désormais d’andinisme, mais faute de terme propre aux montagnes de l’archipel hawaiien nous garderons donc le mot “alpinisme” pour qualifier les explorations de David Douglas.

 

Méticuleux jardinier

 

Celui-ci était né à Scone, en Écosse, en 1799. Son père, John Douglas, était tailleur de pierres. Le jeune garçon, au cours de ses études, se montra passionné par les sciences naturelles et d’ailleurs, dans le prolongement de celles-ci, son premier job fut celui de jardinier au château de Scone, l’actuel imposant Scone Palace. En 1823, fort de son expérience et jouissant d’une réputation de travailleur méticuleux, David fut embauché par les jardins botaniques de Glasgow. Là encore, il se fit remarquer au point, à vingt-quatre ans, d’être recruté par la Royal Horticultural Society de Londres en tant que voyageur scientifique, appelé à se déplacer pour enrichir les collections de plantes introduites en Grande-Bretagne. Il débuta ses voyages par la côte est des États-Unis et du Canada, mais très vite, il fut envoyé de l’autre côté du continent américain, sur la côte ouest des deux pays précités. A l’époque, ces régions avaient certes été explorées, mais rien de très scientifique n’avait été mené sur le plan de la faune comme de la flore. Douglas était donc, en quelque sorte, en pays inconnu et il put ainsi multiplier les découvertes et les envois de centaines de plantes et de graines à Londres (au total, on lui prête la découverte de sept mille plantes nouvelles !).

 

Kauka” Douglas...

 

David Douglas effectua son premier voyage à Hawaii en 1830. On parlait alors des îles Sandwich dont Kamehameha III était le souverain. L’Écossais était alors en route pour le nord-ouest de la côte Pacifique de l’Amérique, mais si son escale fut brève, il n’en profita pas moins pour escalader plusieurs montagnes de l’île d’Oahu. 

Une anecdote date de cette époque : après la rivière Columbia, Douglas redescendit en Californie. Un jeune garçon s’était cassé le bras à Monterey et faute de personnel médical dans la région, il fut chargé de soigner le blessé, ce qu’il fit avec succès et qui lui valut de surnom de “docteur”. A Hawai’i, cette réputation de médecin le suivit puisqu’il fut surnommé là-bas, plus tard, “kauka”, le mot hawaiien pour docteur. Lorsqu’il quitta Monterey en 1832 pour retourner sur la Columbia, il fit une nouvelle escale à Hawaii où il arriva plutôt mal en point. Mais il était coriace, opiniâtre, bien décidé à travailler quel que soit son état de santé.

 

Un couple de “nene” à Londres

 

On lui doit, au cours de ces quelques semaines de séjour, l’envoi en Angleterre du premier couple d’oies de Hawaii (les fameux “nene”) oiseaux qui arrivèrent vivants à la Zoological Society de Londres (la bernache de Hawaii, le nene –Branta sandvicencis– est un animal à peine sauvé de la disparition, grâce à des mesures drastiques de protection, sa chasse étant strictement interdite. Dans les années cinquante, il n’en restait plus qu’une trentaine d’individus. Aujourd’hui, élevage et réintroductions aidant, on en compte un peu plus de mille individus). 

Douglas effectua également des relevés astronomiques (ses documents ont été perdus) et s’organisa avec le consul britannique Richard Charlton afin de revenir pour un séjour plus long.

 

Trois ascensions de volcans

 

Le 23 décembre 1833, David Douglas était de retour à Oahu. Le 27 du même mois, il s’embarquait pour Hawaii (Big Island) qu’il atteignit le 2 janvier 1834. C’était l’hiver sur l’archipel et Douglas avait devant lui un trimestre entier pour se consacrer à ses explorations botaniques. 

Sur place, il escalada le Mauna Kea (4 207 m) et le Mauna Loa (4 169 m) ainsi que le cratère alors en pleine activité du Kilauea (1 246 m). C’est à propos de ces ascensions que l’on peut parler d’alpinisme. A cette époque, le jeune botaniste était logé à Hilo, entre deux expéditions, par deux pasteurs, Joseph Goodrich et David Lyman. On connaît avec beaucoup de précision l’emploi du temps de Douglas, car l’épouse de Lyman tenait un journal dans lequel elle nota tous ses déplacements scrupuleusement. Si Douglas escaladait les montagnes hawaiiennes, il ne le faisait pas seul ; son guide d’alors, Honoli’i, lui était fidèle, Douglas en parlant comme de son “guide, ami et interprète”. 

 

Des kilomètres dans la neige !


Pour donner une idée des efforts consentis par Douglas, voici quelques lignes extraites de l’un de ses rapports. Il était certes accompagné de nombreux porteurs hawaiiens, mais lui-même était lourdement chargé : “… car bien que la distance que j’ai parcourue depuis ce matin n’eût guère plus de sept milles, la nature laborieuse du chemin et le poids de plus de soixante livres sur mon dos, où je portais mon baromètre, mon thermomètre, mon livre et mes papiers, s’avéra si fatigant que je me sentais presque épuisé”. Heureusement, il avait un remède miracle : le thé qu’il buvait en quantité. 

Le 16 janvier 1834, il était de retour du Mauna Kea qu’il estima haut de 13 000 pieds (soit 3 962 m, alors que l’altitude réelle de la montagne est de 4 169 m et qu’elle était estimée avant la “grimpette” de David Douglas à 18 000 pieds, soit presque 5 500 m).

Après le Mauna Kea, ce fut le Kilauea puis le Mauna Loa, toujours en compagnie de Honoli’i, Mauna Loa dont il redescendit le 7 février 1834. L’expédition, à cette période de l’année, avait été périlleuse, car Douglas ne parvint au sommet du dôme volcanique qu’après avoir parcouru dix-sept milles dans la neige, une neige alors très basse sur les pentes et “qui avait cinq à six pieds de profondeur”.

Mi-février 1834, Douglas était encore à Hilo lorsque se produisit un violent tremblement de terre “qui a duré treize secondes”. Douglas ajoute : “La mer recula d’environ un mille pendant quelques minutes et une partie du volcan s’enfonça. Le sol continua à être ainsi légèrement mais sensiblement agité toute la nuit ; et dans la maison de M. Goodrich, en bois, on fut roulé comme dans un navire en pleine tempête, mais la maison ne tomba pas”.  

Douglas retourna à Honolulu au mois de mars pour apprendre qu’il n’aurait pas de bateau pour l’Angleterre avant plusieurs mois. Il résolut donc de retourner sur Big Island et la suite on la connaît : son expédition le long des flancs du Mauna Kea lui fut fatale...


Le taureau décapité

On doit au capitaine britannique Vancouver l’introduction de bétail sur Big Island, au moment de ses explorations et de son amitié avec Kamehameha I. Ce sont ces animaux (et leur descendance bien sûr) qui étaient chassés au moyen de pièges (des fosses) sur les flancs du Mauna Kea.
On doit au capitaine britannique Vancouver l’introduction de bétail sur Big Island, au moment de ses explorations et de son amitié avec Kamehameha I. Ce sont ces animaux (et leur descendance bien sûr) qui étaient chassés au moyen de pièges (des fosses) sur les flancs du Mauna Kea.

Lorsque le décès de Douglas fut connu, il fallut, bien entendu, tuer le taureau qui se trouvait avec le corps du malheureux dans la fosse. Ceci fait, Charles Hall (qui devint plus tard un pionnier du café à Kona) récupéra la tête du bovidé qu’il avait fait décapiter. C’était un vieil animal, dont les cornes étaient très émoussées et longues de près d’un pouce seulement. 

Selon Hall, il était impossible que les blessures à la tête de Douglas correspondent à celles qu’auraient pu donner le taureau, même enragé. Quant au chien de Douglas, le petit terrier baptisé Billy a été renvoyé à Honolulu puis à Londres où il parvint sain et sauf...


Autopsie trop tardive

Dès que Charlton, consul britannique à Honolulu, récupéra le corps de Douglas dans du gros sel, le 3 août 1834, “je le fis immédiatement examiner par les médecins qui donnèrent comme opinion que les diverses blessures avaient été infligées par le taureau”, indique-t-il dans un rapport. 

On sait que cet examen fut des plus rapides, la conservation du corps ayant été très partielle, les examens approfondis et précis étant impossibles.


“Ce n’est pas moi”

Un jour, bien des années après la mort de Douglas, un ancien évadé du bagne australien à l’identité incertaine, retrouvé mourant, délirait sur son lit de mort et un révérend, M. Lyons, recueillit ses derniers mots : “Je ne l’ai pas fait ! Non ! Je ne l’ai pas tué !”. Si l’identité du malade ne fut jamais connue avec certitude, la famille Lyons considère qu’il s’agissait de Ned Gurney et, malgré ses ultimes dénégations, elle estima que c’était bien lui le meurtrier de David Douglas. 

Selon feu Mme Emma Taylor, historienne bien connue à Hawaii, la raison du meurtre de Douglas par Gurney ne serait pas liée qu’à l’argent. D’après des témoignages qu’elle avait recueillis plus tardivement, la femme de Ned Gurney, qui hébergeait Douglas, n’avait d’yeux que pour le jeune botaniste. Hawaiienne d’origine, elle découvrait, en compagnie du scientifique, que les Européens n’étaient pas que des brutes frustes et l’ancien bagnard en aurait conçu une haine féroce contre son visiteur au point de le tuer par jalousie.

 

Sept ans de bagne pour vol

 

Grâce aux archives de l’ancien bagne australien et à celles de la Justice britannique, on sait que Gurney, un Anglais, avait été reconnu coupable de vol à Old Bailey (Londres) le 4 janvier 1819. Il avait, pour cela, été condamné à sept années de bagne en Australie. Avant sa condamnation, il fut semble-t-il, ouvrier, peut-être serviteur dans une auberge ou une maison. Il mesurait un mètre soixante environ. Lorsqu’il arriva à Botany Bay le 1er septembre 1819, il n’était âgé que de dix-neuf ans. Il aurait quitté l’Australie le 10 octobre 1822 à bord d’un cotre, le Mermaid. Ce bateau, sur lequel Gurney était employé comme marin avec deux autres bagnards, escortait un autre bâtiment, le Prince Regent, armé de six canons, construit à Sydney par le gouvernement britannique et destiné à être offert à Liholiho (Kamehameha II) afin d’honorer la promesse faite bien des années avant par le capitaine Vancouver à Kamehameha I. Les trois bagnards à bord du Mermaid n’auraient donc pas été des fuyards. 

 

Escale à Tahiti

 

Les deux navires firent une escale à Tahiti en février 1822 et embarquèrent à leur bord deux missionnaires de la London Missionnary Society, George Bennett et Daniel Tyerman. Ils ancrèrent à Honolulu en avril 1822 et le bateau fut livré au roi le 1er mai 1822. Le Mermaid repartit d’Honolulu quelques mois plus tard, mais sans Gurney qui demeura sur place (peut-être avait-il déserté). La suite détaillée de la vie de Gurney est mal connue : il aurait d’abord servi sous l’équivalent du Premier ministre hawaiien, William Pitt Kalanimoku, lorsque celui-ci se rendit à Kaua’i en 1824 afin d’y mater une rébellion contre Kamehameha. Par la suite, il chassa donc les bovidés sauvages sur les pentes du Mauna Kea. 

On a toutefois retrouvé une lettre de Gurney adressée au roi Kamehameha III en 1839 lui demandant une grande faveur : “Une fois, tu as eu la gentillesse de me promettre une terre ; je suis dans ce pays depuis vingt ans et j’ai vécu aux côtés de ton frère (Kamehameha II) et de ton chef (ndlr : de son armée) une partie du temps (...) Quand je suis allé à Kaua’i, on m’a promis une terre mais à mon retour, je n’en avais pas besoin à ce moment-là car je n’avais pas de famille. Maintenant j’ai des enfants et je dois leur fournir un foyer. Je suis moi-même constamment dans la montagne et je veux un endroit pour eux”. Aucun registre cadastral ne fait état d’une réponse positive du roi. 

Pour beaucoup, Gurney parvint à quitter Hawaii grâce à l’argent dérobé à David Douglas, mais seulement en 1839, peut-être faute d’avoir obtenu la royale récompense qu’il souhaitait... Pour d’autres, on l’a vu au tout début de ce texte, il serait mort sans identité précise à Hawaii, à la manière d’un SDF...


Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 19 Août 2021 à 15:06 | Lu 1857 fois