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100 jours après les 100 jours


Tahiti, le 30 novembre 2023 - 100 jours après les 100 jours, le gouvernement de Moetai Brotherson continue son apprentissage du pouvoir à la veille du vote de son premier budget.

 
Le 23 août dernier, Moetai Brotherson passait le cap des 100 jours à la présidence la Polynésie française. Un événement orchestré à grand renfort de battage médiatique avec deux soirées de stand-up sur Polynésie La 1ère et une tournée jusqu’à plus soif des ministres dans chaque rédaction, sauf pour le ministre de l’Économie, Tevaiti Pomare, qui slalome entre les micros depuis sa prise de fonction.

C’était alors le temps de la confiance, à peine ébréchée par les premières saillies du président de l’assemblée de la Polynésie française, Tony Géros. Le numéro 2 du Tavini n’en était encore qu’à l’échauffement. Il réclamait sa commission de décolonisation pour laquelle Moetai Brotherson n’était pas très emballé, et sabordait la venue de Gérald Darmanin, que le président accompagnait dans chacun de ses déplacements. Tarahoi ronronnait et les nouveaux élus Tavini cherchaient encore leurs sièges dans l’hémicycle. À peine avaient-il eu le temps de voter la suppression de la TVA sociale. Une suppression qui devait tout changer, surtout les prix, mais qui s’avèrera être un caillou dans la sandale du président.

La fracture

Ce caillou, au jour des 2X100, Moetai Brotherson continue de le sentir sous le pied. Il boîte, tout comme sa loi fiscale, dont deux articles clés ont été rejetés à l’unanimité par la commission de l’économie à l’assemblée de la Polynésie française, et qui va tenter un come-back ce vendredi matin. La population attend une baisse des prix à la veille de Noël, et le Black Friday sur fond de Black-out n’a pas changé la donne.

Surtout, 100 jours après les 100 jours, la marge de manœuvre du président de la Polynésie française semble s’être restreinte. L’homme qui devait symboliser la fracture avec la gestion autonomiste, est au cœur d’autres fractures.

Fracture avec sa famille politique qui voit cet indépendantiste modéré d’un mauvais œil ; en témoignent les divergences flagrantes de discours sur le sujet entre lui et son beau-père, Oscar Temaru. Fracture encore avec sa propre majorité à l’assemblée qui n’hésite pas à voter contre ses textes en commissions, passer outre ses avis (projet de loi fiscale, projet de loi Tong Sang sur la taxe de séjour, etc.), et prendre des délibérations sans son accord préalable. Tony Géros le lui rappelle dès qu’il en a l’occasion : “L'exécutif est là pour exécuter les décisions de l'assemblée (...) C'est le Tavini qui est aux affaires du Pays, nous avons 38 élus. C'est nous qui prenons les positions politiques.”

Fracture avec les forces vives du pays qui voient les projets d’envergure (lycée de Moorea, village tahitien, parc aquatique de Aorai, Institut du cancer, etc.) fondre comme neige au soleil mais qui voient aussi arriver de nouvelles taxations pour boucher le trou de la CPS que l’impopulaire TVA sociale comblait malgré tout. Depuis deux trimestres, la confiance des entreprises s’effrite ; en témoignent les chiffres sur le climat des affaires publiés par l’Institut d’émission d’outre-mer.

Fracture avec les associations sur le dossier de la tour des juges à Teahupo’o et l’interdiction des runs à Faratea.

Fracture enfin avec la population, qui voit son président, entre deux avions, défendre Yan Jambet à l’OPH, assister à des matches de football et de rugby, être condescendant avec les Marquisiens inquiets face à la demande de souveraineté du Pays et ne pas piper mot quand deux élus de l’assemblée de la Polynésie française, Oscar Temaru et Mitema Tapati, s’enlisent dans des propos racistes.

Même le Tavini se fissure. Hinamourea Cross part seule contre tous avec son texte sur le cumul des mandats, et d’autres s’agacent au moment de voter la délibération sur le moni rū’au des agriculteurs. Certes, l’assemblée de la Polynésie française n’est pas qu’une chambre d’enregistrement des lois proposées par le gouvernement, mais ça fait désordre.

Des arguments à défendre

Mais si Rome ne s’est pas construite en un jour, un programme ne s’applique pas en 200. Les premiers jalons sont malgré tout posés. Transition écologique, malgré la proposition à contre-courant de retaxer les véhicules hybrides et électriques de plus de 5CV, développement de la filière pêche et du secteur primaire, sécurisation de l’internet en Polynésie après les négociations avec le géant américain Google, sont effectivement lancés.

La réforme sur les substances vénéneuses arrive aussi après quelques hoquets afin de permettre la mise en place du cannabis thérapeutique.

Pendant ce temps, le gouvernement fait le job, sans lancer pour autant de grandes mesures, ce qui relègue déjà le programme électoral du Tavini pour les territoriales 2023 à la compilation de vœux de nouvel an. Toujours pris, rarement tenus.

C’est dire si le projet de budget 2024 est attendu. Le gouvernement souhaite plus d’efficacité dans son administration, travailler sur la concurrence ou encore mettre en place des lois anti-gaspi. Avec un budget en hausse de 3 milliards de francs, des économies dans les cabinets ministériels, un tourisme florissant, et une activité professionnelle à son plus haut niveau, le Fenua a des arguments à défendre. C’est au gouvernement aujourd’hui de les porter.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Jeudi 30 Novembre 2023 à 20:00 | Lu 4139 fois