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​Le Tapura, une stratégie bornée


Tahiti, le 2 mai 2023 - Fondé en février 2016 de la scission avec le Tahoeraa, le Tapura était sorti vainqueur des élections territoriales en 2018 et des élections municipales de 2020. Mais la gestion de la crise du Covid-19 a affaibli le parti qui n’a pas su, depuis deux ans, renouveler son offre politique et ses méthodes. La stratégie d’agiter le “chiffon rouge” de l’indépendance a montré ses limites et n’a pas fonctionné.

Si les résultats des élections municipales de 2020 avaient quelque peu rassuré le parti sur sa capacité à mobiliser, la crise économique et sanitaire a durement touché la formation politique dans ses fondements. L'intervention économique et sanitaire de l'État durant la période de crise a quelque peu réduit la notion d’autonomie défendue par le parti alors majoritaire. Les errements lors de la pandémie avec un décalage entre les discours et les actes, entre mariage en dehors des règles et vaccination obligatoire pour les uns et facultatives pour les autres, avaient conduit une partie de la population à douter des capacités de gestion du Tapura. Le parti autonomiste avait alors vécu une débâcle historique aux élections législatives de 2022. Mais après de cet échec, le Tapura n’a pas su rebondir et adopter une stratégie pertinente pour conserver le pouvoir.
 
Législatives aux oubliettes
 
En juin 2022, le Tapura avait été battu dans les trois circonscriptions par les trois candidats du Tavini dont deux novices en politique. Le deuxième tour de scrutin avait été alors riche d'enseignements. D'une part, l'examen détaillé des suffrages avait montré un large report de voix au profit des candidats indépendantistes témoignant ainsi de l'expression d'un front Anti-Tapura débordant largement du seul cadre des capacités de mobilisation du Tavini. Le scrutin était alors apparu comme un vote sanction devant inciter le gouvernement à revoir sa politique et sa méthode. D'autre part, cette élection avait également montré un sentiment de “dégagisme” et une forte demande de la population pour faire la place aux jeunes. Deux des trois candidats Tapura à la députation – Nicole Bouteau et Tepuaraurii Teriitahi – étaient déjà représentantes à l'assemblée. L’arrivée d’une nouvelle génération d’élus n’était donc pas au menu. Le choix des candidats aux territoriales faisait apparaitre une faible propension au renouvellement des représentants du parti rouge à Tarahoi. Outre Édouard Fritch, la liste comprenait des vétérans de la politique locale exerçant déjà, parfois depuis plusieurs décennies, d'autres mandats par ailleurs comme Michel Buillard, Gaston Tong Sang, Lana Tetuanui, Benoit Kautai ou Frédéric Riveta. Des exemples loin d’être exhaustifs.
 
Ensuite, du côté des forces autonomistes, la tendance est, depuis une décennie, plus à la division qu’au rassemblement. En 2013, Laurey, Fritch et Flosse étaient sur la même affiche du Tahoera'a sous le slogan “la foi de construire ensemble”. Dix ans plus tard, cette foi a assurément volé en éclats. Flosse évoquait en campagne les “traitres” partis rejoindre le Tapura et Laurey qualifiait en 2020 Fritch de “plus mauvais président que la Polynésie n'ait jamais eu”. Les mêmes sont donc répartis sur trois listes autonomistes concurrentes au premier tour des territoriales 2023. À ces trois listes s’ajoutaient celle du Ia ora te nunaa de Rohfritsch et Bouteau, en rupture du Tapura depuis 8 mois. Le front autonomiste apparaissait ainsi encore plus éclaté que jamais avec un président de la Polynésie comme dénominateur commun de ces déchirures. Une alliance de dernière minute ne pouvait apparaitre que chimérique.
 
Confusions des genres
 
Le Tapura n’a donc pas su renouveler son offre politique en proposant de nouveaux visages et en essayant de rassembler au-delà de ses propres couleurs pour réduire la tentation d'un front anti-rouge. Au-delà de ce constat, la machine fritchienne a, pour ces élections territoriales, reproduit les mêmes méthodes. La campagne a ainsi abondé ces dernières semaines, comme de tradition, d’inaugurations en toute genre, de livraison de Fare OPH, de signature de conventions et marchés et autres visites protocolaires dans les îles. Mais les préoccupations immédiates des Polynésiens pour les questions de cherté de la vie ne se résolvent pas avec des remises de clés et des coupages de ruban. La réponse aux enjeux économiques nécessite de la cohérence dans l’action pour la population et les entreprises. La gestion de la TVA sociale est à cet égard significative. Initialement fixée à 1,5%, elle sera finalement votée à un taux de 1%. Présentée comme incontournable avant le premier tour, elle fera l’objet d’une négociation avec le Amuitahira’a entre les deux tours en vue de sa diminution avant suppression. Une valse-hésitation qui a pu accentuer le sentiment d’injustice de la mesure déjà ressentie par une partie de la population.
 
Enfin, la liste composée pour les territoriales était présentée comme une liste des maires, avec forcément un cumul des mandats et un risque de confusion entre les fonctions de tāvana et celles de représentants à l’APF. Difficile en effet de solliciter des subventions et contrats aidés pour sa commune en tant que maire et de contrôler ou amender l’action du gouvernement en tant qu’élu à Tarahoi. La perception de ce risque, présenté comme relevant du clientélisme et d’un système politique suranné par les opposants, a été semble-t-il sous-estimée par le parti rouge qui a tenté de remettre en œuvre la recette qui avait marché en 2018.
 
Le chiffon rouge de l'indépendance
 
Mais surtout, la stratégie de campagne du Tapura s'est intensifiée, à l'approche du second tour, autour de clivage entre autonomistes et indépendantistes. L’accentuation de ce clivage, avec une insistance sur les conséquences désastreuses d'un accès rapide à la pleine souveraineté en cas de succès du Tavini, n’a pas fonctionné. Ce discours s'est en effet heurté à la réalité historique de la vie politique locale. Tout d'abord, plusieurs élus du Tapura ont eu l'occasion, lors de la période du Taui, de rendre flous les frontières entre autonomistes et indépendantistes. Fritch avait ainsi signé les accords de Tahiti Nui – ou accords du 7/7/7 – de gouvernance avec le Tavini il y a une quinzaine d'années permettant notamment au candidat souverainiste Richard Tuheiava de devenir le plus jeune sénateur de France. Tong Sang et Bouissou avaient également par la suite formé des coalitions avec Oscar Temaru. Sans compter ceux qui ont, encore récemment, changé de couleur en cours de mandat. Il n’y a pas eu, depuis des années, de frontières étanches entre les deux camps et entre les deux électorats. Ensuite et paradoxalement, cette politique du “chiffon rouge”, agité pour permettre un ralliement des autonomistes et exprimer son rattachement à la France, a été contrariée par l’État. La politique de la “chaise vide” observée par la France depuis 2013 sur la question de la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU a ainsi probablement conduit des électeurs à considérer comme hautement improbable une indépendance du fenua à court terme. Cette réinscription n’a rien changé dans la situation institutionnelle du territoire en 10 ans, il est donc peu probable qu’elle évolue sur une mandature de 5 ans. Plus encore, la situation de quasi-surplace du dossier calédonien, près de 25 ans après le démarrage du processus d’autodétermination, a pu conduire de nombreux électeurs que l’indépendance éventuelle de la Polynésie ne pourra être envisagée qu’à l’issue d’une maturation de longue durée. La stratégie du “chiffon rouge” n’a donc trouvé que peu d’échos dans un électorat qui avait soif de changements.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 2 Mai 2023 à 18:35 | Lu 4447 fois