Tahiti Infos

​Territoriales 2023 : La santé en mauvais état


Tahiti, le 11 avril 2023 - Sixième étape de notre comparatif des programmes. Signe d’un intérêt évident pour les Polynésiens, les programmes des listes candidates aux prochaines élections territoriales comportent une multitude de mesures afin d’assurer une offre de soins de qualité, notamment dans les archipels, mais également la modernisation du système de santé. La question du financement renvoie, quant à elle, systématiquement aux responsabilités de l’État.
 
  • Des structures publiques d’accueil plus nombreuses
Améliorer l’offre de soins c’est évidemment la multiplier et lutter ainsi contre les déserts médicaux. L’hyper-concentration des soins au CHPF semble poser problème pour bon nombre de candidats qui insistent sur la nécessité d’ouvrir de nouvelles structures hors de l’agglomération de Papeete ou de rénover celles existantes. Au Tapura, il s’agit de finir ce qui a été entamé avec l’accompagnement du tout nouveau Institut du cancer, l’ouverture du pôle de santé mentale, la création du pôle du santé privé unique (PSPU) et le démarrage des travaux de construction du nouvel hôpital de Taravao. Pour le Ia ora te nunaa, il faut reconstruire les hôpitaux de Taravao et Uturoa, soutenir l’hôpital de Nuku Hiva, lancer une clinique sur la Côte Ouest de Tahiti et créer des maisons de santé locales appelées Fare Ea. Ambition quasi-identique au Tavini qui veut “rénover et pérenniser les hôpitaux périphériques de Taravao, Raiatea et Nuku Hiva pour assurer des soins de proximité et aider à désengorger le CHPF”. Le parti indépendantiste veut également restructurer les services de santé vers plus de proximité avec des dispensaires installées dans leur projet de Fare Ora à implanter dans chaque commune. Au Amuitahiraa no te nunaa maohi, on voit les choses en beaucoup plus grand. Pour le parti orange, il faut “reconstruire à neuf et bien équiper” les hôpitaux de Taravao, Moorea, Taiohae. Il est également prévu de faire pareil pour des dispensaires dans les archipels ainsi qu’ “à Papeete dans les quartiers populeux” et dans d’autres communes afin de décharger le CHPF des soins courants. Pas de nouvel hôpital pour la Hau maohi qui souhaite par contre développer les dispensaires et rétablir un service de maternité dans tous les archipels. Un maillage territorial auquel s’ajoutera quelques structures spécifiques pour certains candidats. Ainsi, au Tavini, on affiche sa volonté de “développer les structures d’accueil et de soins pour les personnes en situation d’obésité, et les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer”. Pour le Hau maohi, il s’agit de créer un “centre de désintoxication et d’accompagnement pour nos toxicomanes et personnes alcooliques”. Idem au Ia ora te nunaa qui veut la mise en place de “structures de traitement et d’accompagnement de la désintoxication dans les communes en complément du Pôle de Santé mental”. Parmi les engagements du Tapura figure l’ouverture d’une annexe du Fare Tama Hau et d’une Maison de l’enfance à Mahina ainsi que l’augmentation des capacités de prise en charge dans le domaine de la dialyse.
 
  • Révision possible des évasan
La remise à niveau des hôpitaux périphériques conduit forcément certains candidats à s’interroger sur l’organisation des évacuations sanitaires. Des interrogations qui font l’objet de peu de propositions concrètes sur ce sujet. Ainsi pour le Tavini, la problématique est abordée indirectement au travers du développement de la télémédecine qui doit permettre une baisse des évasans inter-iles. Il faut également, pour le parti indépendantiste, “développer des maisons d’accueil ou soutenir des familles pour l’accueil des malades des archipels et leurs accompagnateurs”. Une approche minimale à comparer à celle générale du Tapura. Pour le parti d’Édouard Fritch, il s’agit de “réorganiser les évasan pour améliorer l’accès aux soins” sans plus de précision sur les modalités pratiques. Position quasi-identique au Ia ora te nunaa de Teva Rohfritsch qui souhaite, une fois élu, opérer une “remise à plat de la gestion des évasan en France et inter-îles”. Un vaste chantier sur lequel les orientations et les mesures concrètes manquent également. Les autres listes n’évoquent pas la problématique des évacuations sanitaires que ce soit vers Tahiti ou vers la métropole.
 
  • Renforcer les carrières dans la santé et les formations
L’augmentation des structures d’accueil nécessite, fort logiquement, de disposer de personnels suffisants et qualifiés pour assurer les soins. Des mesures plus ciblées sont ainsi également proposées au niveau des formations aux carrières de la santé. Au A here ia porinetia, on souhaite ainsi “rouvrir l’école des infirmières en association avec l’université”. Promesse élargie dans le programme du Tavini qui veut acter la réouverture de l’Institut de formation des professions de santé Mathilde Frébault mais également “promouvoir les nouveaux métiers IPA (Infirmières de Pratique Avancée) et reconnaitre les auxiliaires de santé”. Le programme du mouvement souverainiste prévoit également l’“ouverture de postes d’agents de santé communautaires en lien avec les pompiers dans toutes les communes”, des véritables “coachs de santé” pouvant notamment intervenir dans les familles. Au Ia ora te nunaa, il est prévu de créer un “corps médical en archipels” ainsi qu’un “statut des médecins hospitaliers”. Le jeune parti autonomiste souhaite également “soutenir les formations aux premiers gestes de secours dans le grand public”.

  • La e-santé en marche lente
Le choc du numérique évoqué pour réformer l’administration polynésienne ne semble pas être la priorité des candidats dans le domaine de la santé. Rares sont en effet ceux qui affichent leur volonté et des mesures concrètes pour digitaliser le parcours de soins. Ainsi, au Tavini, la création des “dossiers patients e-SANTE” est présentée parmi les mesures de réforme du système de santé. Pour le mouvement Hau maohi, il est prévu la mise en place d’une Carte Vitale à la polynésienne pour maîtriser les dépenses du circuit médical et sauver la CPS. Une idée de carte partagée par le Ia ora te nunaa qui souhaite la mise en place d’une “Carte Santé pour payer les consultations pour personnes en difficultés économiques”. Si elle ne passe pas par le développement du numérique, la volonté de soutenir les personnes défavorisées ou fragiles qui se retrouvent dans d’autres programmes. Ainsi, au Tavini, il est prévu la mise à disposition pour les personnes âgées et malades de kits santé comprenant un thermomètre, un tensiomètre, et un oxymètre. Au Tapura, l’une des mesures présentées concerne ainsi la réalisation d’un “diagnostic santé gratuit pour les demandeurs d’emploi avant l’embauche”. Le parti majoritaire veut également “finaliser la réforme de la Protection Sociale Universelle avec l’ensemble des partenaires sociaux” sans plus de précision sur les modalités.
 
  • Petite place pour la médecine traditionnelle et le cannabis
Si les programmes font la part belle à l’amélioration des établissements de soin existants, la médecine alternative est également considérée. Ainsi, pour le Amuitahiraa no te nunaa maohi, il s’agit de “redonner à la médecine traditionnelle une place dans le système de santé” du pays. Au Tavini, la concertation est de mise. La liste dirigée par Moetai Brotherson souhaite en effet “créer une instance regroupant les associations de santé, la médecine traditionnelle, les médecines intégratives et holistiques : jeûne thérapeutique, naturopathie, médecine traditionnelle (tradi-praticiens), plantes médicinales (ra’au tahiti, pharmacopée) avec des antennes dans chaque archipel (…)”.
Concernant l’utilisation du cannabis, trois listes évoquent avec des mesures bien distinctes les mesures qui pourraient être mises en œuvre en cas de scrutin favorable. Ainsi, le Tapura envisage prudemment de “finaliser les tests sur l’usage du cannabis thérapeutique sous contrôle médical”. Du côté du Amuitahiraa, on annonce déjà l’adoption d’une loi du Pays sur l’utilisation et l’encadrement du cannabis thérapeutique. Le contenu de ce projet de texte n’est pas contre pas évoqué. Moins de précaution au Tavini qui affiche, ni plus ni moins, sa volonté de “légaliser l’usage thérapeutique et industriel du cannabis et [d’] exporter vers les pays demandeurs”.
 
  • Prévention, les grands moyens
L’unique mesure relative au système de santé présentée dans le programme du parti Heiura – les Verts concerne à cet égard le renforcement des actions de prévention avec les communes et les associations en lien avec la santé. Une volonté d’intensifier les moyens de prévention et de faire la chasse au sucre partagée par le Ia ora te nunaa. Pour le parti de Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau, la prévention, que ce soit face aux problèmes de drogues, tabacs, maladies sexuellement transmissibles ou d’obésité doit être une “priorité du Pays”. Le programme comporte notamment la mise en place d’un plan “Stop au sucre et au gras” et d’un “Conseil stratégique de lutte contre les drogues et addictions Pays-État”. Le Ia ora te nunaa évoque également la création d’une nouvel établissement public administratif pour la prévention (EPAP) dissous en 2010. Une volonté de faire renaitre de ses cendres l’EPAP identique pour l’Amuitahiraa no te nunaa maohi. Au Tavini, les Fare Ora qui doivent s’implanter dans chaque commune doivent également de “centre communautaire d’apprentissage et d’éducation” à la confection des repas et de lutte contre les addictions. Ils doivent également être pourvus d’une “équipe médicale spécialisée itinérante pour répondre au besoin de dépistage préventif ou curatif” de tous types de pathologies. De façon plus générale, le A here ia porinetia veut également “mettre en place une vaste politique de prévention en matière de santé publique et d’éducation thérapeutique”. Idem pour le Tapura qui veut sobrement “renforcer les actions de prévention et d’éducation à la santé”.
 
  • Financement, la question en suspens
Surtout, le système de santé en Polynésie c’est avant tout une histoire de déficit et de la façon dont le combler. Si les projets d’ouverture ou de rénovation de structures de soins sont nombreux, la question du financement reste globalement occultée par les candidats. Pour le Amuitahiraa no te nunaa maohi, qui affiche un des programmes les plus ambitieux en matière de développement de l’offre de soins, le système de santé “à la dérive” avec des déficits “grandissants” remettant en cause la pérennité de la PSG. Le parti reste muet sur la façon dont il compte assurer les équilibres. Au Ia ora te nunaa, on affiche clairement sa volonté d’assurer une “stabilisation d’un nouveau Financement de l’hôpital (CPS, Budget du Pays et l’État)” mais les contours ne sont pas présentés. Le programme de Teva Rohfritsch et de Nicole Bouteau insiste également sur la nécessité d’assurer la “gratuité des soins pour les longues maladies” dont la liste serait revue.

Au Tapura, la solution au déficit structurel du système de santé viendra de l’État. Le parti autonomiste insiste ainsi sur la nécessité de “conclure le financement de 15 milliards pour le financement de la CPS et de notre PSG au titre de la solidarité nationale” mais également “d’obtenir de l’État le remboursement des frais engagés par la CPS liées aux essais nucléaires”. A l’instar du Tapura, la pérennité du financement semble aller à cet égard avec une volonté de présenter à l’État la facture du nucléaire. Ainsi au Ia ora te nunaa, il doit être graver dans le marbre “le fait nucléaire et la sanctuarisation de la solidarité nationale pour la Santé”. Pour le parti de Teva Rohfritsch, il faut demander à l’État “de participer plus particulièrement au financement de la santé des Polynésiens pour apaiser les blessures du passé et permettre à chacun de vivre sa citoyenneté, avec espoir et confiance dans un avenir meilleur”. Rohfritsch veut ainsi inscrire dans la Constitution le fait nucléaire “avec ses ombres et ses lumières, pour un lien républicain renouvelé et rééquilibré”. Sans surprise, le Tavini évoque également la nécessité d’“assurer le remboursement par l’État français (à la CPS et aux victimes) de toutes les dépenses de santé (passées, actuelles et futures) liées aux maladies radio-induites” et appelle par ailleurs l’État à soutenir la proposition de loi du député sur la prise en charge et la réparation des conséquences des essais nucléaires français. Une politisation du sujet non souhaitée par le A here ia porinetia. Pour Nuihau Laurey, il s’agit en effet de “dépolitiser le fait nucléaire en assurant de manière transparente l’indemnisation individuelle des victimes et le soutien de la collectivité”. Sur cette question sensible, les candidats oscillent donc entre pragmatisme, respect et désir de justice.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 11 Avril 2023 à 20:27 | Lu 3023 fois