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​“La priorité, c'est le coût de la vie et l'emploi local”


Tahiti, le 3 mai 2023 – Au lendemain de la victoire du Tavini et du 1er mai, le secrétaire général de la première confédération de syndicats de salariés en Polynésie, Patrick Galenon de la CSTP-FO, estime que les deux principaux enjeux de ce scrutin et du début de mandature de Moetai Brotherson seront le coût de la vie et l'emploi local.

Une nouvelle majorité issue du Tavini huiraatira va prendre les commandes du Pays, comment la CSTP-FO voit ce changement ?

“Notre première réaction a été de bien préciser les choses. Car ce n'était pas une élection pour l'indépendance ou pour l'autonomie. Quand bien même le Tavini a gagné, ce n'est pas la majorité de la population. Cela représente 45%. Je ne vais pas minimiser leur victoire. Mais ce n'est pas une révolution politique. Par contre, c'est une vraie révolution sociale. Les électeurs ont voulu un changement par rapport à la situation un peu délicate de la société.”
 
Et quelle est la principale attente, selon vous, de cette révolution sociale ? Le coût de la vie ?

“La priorité, c'est le coût de la vie et l'emploi local. Avec ça, on fait le tour. Il y a à peu près 80 000 personnes qui sont sans activité. On nous dit qu'il n'y a que 9% de chômage et que les gens ne veulent pas travailler. Mais ce n'est pas cela la situation. Il y a beaucoup plus de gens au chômage. Les gens essaient de trouver du travail. Ils veulent travailler, malheureusement ils n'en trouvent pas. Les extrémistes diront que beaucoup arrivent de l'extérieur et qu'eux trouvent un emploi. Ce n'est peut-être pas visible pour tout le monde, mais pour celui qui cherche un emploi et qui voit ça, il le prend à 100% dans la gueule.”
 
La loi sur la protection de l'emploi local n'a rien changé ?

“C'est une usine à gaz. On essaie de nous démontrer que dans telle situation, il y a un manque. Ce n'est pas comme cela que cela marche. C'est une vraie loi de l'emploi local qu'il faut. Cela fait dix ans que l'on travaille sur le sujet. Nous avons suggéré que ce soit une présence et surtout une intégration au niveau du système polynésien qui prévale. Sous forme de boutade, je disais que quand je vais à Paris, j'essaie de m'adapter à Paris. Je me mets en cravate ou en manteau quand j'ai froid. Lorsque les gens viennent de l'extérieur, c'est pareil. Ils s'adaptent à ici. Et s'ils viennent de l'extérieur, ce n'est pas pour nos beaux yeux mais pour gagner de l'argent en mettant une entreprise en place. Un exemple précis (…), il n'y a aucun Polynésien directeur de grand hôtel. Comment cela se fait ? On va parler aussi du foncier car c'est lié : 80% des terres sont présumées domaniales. Où sont les terres des Polynésiens ? Après on nous dit, ne vous inquiétez pas on rend les terres aux Polynésiens. Mais on ne leur rend rien du tout, ce sont leurs terres ! Par contre, on rend à des gens qui ne sont pas les vrais propriétaires. Cela va créer encore plus de problèmes. Ceux sont eux qui ont des problèmes d'indivision et qui ont besoin de ces terrains. Car maintenant il faut au moins 50 millions de Fcfp pour acheter une maison ou un terrain. Donc le citoyen moyen qui a un petit boulot et sa femme aussi, vous ne pouvez plus acheter un terrain et une maison. C'est cela qui a créé un problème social. Plus l'inflation qu'on a mis sur le dos de l'Ukraine. Beaucoup de Polynésiens ont ressenti cela à notre petite échelle et cela a créé cette révolution sociale. Et donc ce n'est pas du tout surprenant pour moi.”
 
Vous êtes pour la TVA sociale, alors que Moetai Brotherson a annoncé sa suppression ?

“Entre le vouloir politique et le pouvoir, c'est deux choses différentes. La Protection sociale généralisée, c'est 135 milliards de Fcfp. Et tout ce qui est solidarité doit être pris en charge par le gouvernement. Quand on demande à l'ancien gouvernement de taxer le sucre pour soigner le diabète, et que le lendemain ce n'est plus taxé, on se pose des questions. On s'est dit que s'il n'y a pas assez de taxes on augmente les cotisations sociales de la CPS, sinon on s'écroule. Il y avait la solution de demander à la France de nous payer ce qu'elle nous doit pour les maladies radio-induites. Et là on n'aurait pas eu besoin de la taxe sociale. Peut-être que stratégiquement, le gouvernement n'aurait pas dû la mettre en place à six mois des élections mais c'était une nécessité. Le nouveau gouvernement arrive et dit : ‘On va augmenter la CST. Là c'est 70 000 salariés et les entreprises qui vont être impactées et non plus les 300 000 personnes en Polynésie.”
 
Moetai Brotherson a annoncé uniquement les hauts salaires, c’est-à-dire à partir de 600 000 Fcfp ?

“Avec 600 000 Fcfp, vous ne pouvez pas acheter un terrain et une maison. Vous voulez les impacter encore une fois. Non, ce n'est pas là qu'il faut aller chercher. 600 000 Fcfp ce n'est pas un haut salaire aujourd'hui. (…) Il faut aller chercher les marges, ceux qui ont fait du gras pendant la crise et qui en font encore aujourd'hui. Un exemple bien précis : une marque de punu pua’atoro de Nouvelle-Zélande. En décembre 2021, elle coûtait 435 Fcfp, en mars 2022 elle coûte 635 Fcfp. Soit 35% de marge. La TVA sociale a été mise en place en avril. D'où viennent ces 35% de marge ? Le coût du voyage d'un conteneur venant de la Nouvelle-Zélande c'était 3 000 dollars. Même si on double le prix du voyage, cela revient à 6 000 dollars. Vous mettez des milliers de boites de punu pua’atoro dans un conteneur, vous faîtes vos calculs et vous voyez que s'il y avait eu une augmentation de 17%, elle se faisait encore du beurre. Sur ces 35%, qui a fait du gras ? C'est l'Ukraine ? Non. C'est la faute du 1% ? Non. N'allez pas chercher là où il n'y a pas d'argent. Il faut aller chercher dans la poche de ceux qui ont fait du gras.”
 
Le futur gouvernement propose de mieux contrôler les marges, c'est ce que vous attendez ?

“Exactement. Je vais vous donner un exemple : Aujourd'hui, sur les habits, il n'y a plus de taxes douanières. Comment ça se fait que lorsque vous allez dans les magasins, vous voyez des augmentations de 10, 20, 30% ? Je sais qu'il faut le libéralisme, la liberté des prix, la libre concurrence et tout ça… Mais pas dans un pays comme le nôtre. Il n'y a pas de concurrence. Il y a des grands groupes qui contrôlent tout et qui font du gras. Point barre. Je ne veux pas les tuer, parce qu'après ils vont virer nos pauvres salariés. Mais qu'ils gagnent bien leur vie et qu'on redistribue un peu la richesse de notre pays. Il ne faut pas aller chercher dans les poches où il n'y a plus rien à prendre… (…) Les gens se sont sentis floués, trompés. Vous allez acheter quelque chose, ça a augmenté de 30 à 35%. Et on vous dit : ‘Ne vous inquiétez pas, ça a augmenté de 8,5%. Après on va dire que c'est la taxe sociale ? 1% sur 100 Fcfp, c'est toujours 101 Fcfp. Si vous rajouter vos 35%, ça devient 36%. Et c'est là que ça devient un dérapage.”
 
Au passage, sur l'augmentation de la CST sur les haut-salaires, le patronat estime que le problème est que le taux de prélèvement est déjà trop élevé en Polynésie. Vous n'êtes pas d'accord avec ce constat ?

“Ce sont les chiffres. En Polynésie, le taux de prélèvement obligatoire est de l'ordre de 38%. En France, c'est un peu plus de 45%. Ils se plaignent de quoi ? Au contraire, on devrait avoir un taux de prélèvement comme celui de la France pour qu'on puisse aider les laissés pour compte. De toutes façons, c'est bizarre. Il y a deux mois, tout allait bien, le tourisme repartait. À la CPS, on comptait 70 000 salariés et ça n'a jamais été aussi beau… Et tout d'un coup, il y a les bleus qui arrivent et tout est sombre. On crie au loup.”
 
Sur le remboursement des maladies radio-induites, est-ce qu'il vous sera plus simple d'aller demander ces sommes à Paris avec un gouvernement indépendantiste ?

“Je ne demande rien. Je dis que l'État nous doit. Lorsque vous devez une somme d'argent à quelqu'un, si vous êtes honnête vous le remboursez. Je ne vais pas mendier… Lorsqu'il y a eu Reko Tika, monsieur Macron a dit qu'il allait rembourser. Je lui ai donné un dossier complet à ce sujet. Je l'ai donné au gouvernement local et au gouvernement national. Qu'est-ce qu'ils ont fait de nos chiffres ?”
 
Justement la question, c'est le chiffrage. Vous avez un calcul aujourd'hui ?

“Oui, tout à fait. Nous, aujourd'hui, le dernier chiffre que nous avons c'est entre 1985 et jusqu'en janvier 2023 : 107,265 milliards de Fcfp pour l'ensemble des dépenses que nous avons eues. C'est vrai qu'il faut retirer les sommes que nous avons dépensées pour les fonctionnaires d'État qui sont sur le territoire. C’est-à-dire 11 milliards. Puisque cette somme, la sécurité sociale l'a remboursée à la CPS. Donc, ça fait 95 milliards. Comment on calcule ce chiffre ? C'est très simple. La loi Morin définit trois critères : être en Polynésie, y être au moment des essais et avoir contracté l'une des 23 maladies radio-induites. Vous prenez ces trois critères, vous prenez les 23 maladies radio-induites. Et la France, désolé, nous doit 95 milliards. Je n'ai pas à le demander. Ils nous le doivent… Alors vous savez, quand vous êtes devant de grands professeurs, de grands génies du nucléaire, ils vous disent : vos chiffres-là, ils sont faux. Oui, je pense qu'ils sont faux. Certainement. Eux doivent avoir les bons chiffres. Ils doivent savoir exactement le nombre de malades qu'il y a. Mais pourquoi ils ne nous donnent pas leurs chiffres alors, c'est secret défense ? Pour l'instant on a ces chiffres-là. Tant qu'on n'a pas de chiffres opposables, ce sont nos chiffres qui tiennent. C'est une hypothèse de travail. S'il y en a une meilleure, je m'y plierai.”
 
Un mot de la caisse chômage sur laquelle vous étiez tombés d'accord avec l'ancien gouvernement, mais pour laquelle rien n'a été fait depuis ?

“Non. La dernière discussion que nous avions eue avec le gouvernement Fritch, c'était un fonds pour que ceux qui perdent leur emploi puissent être dédommagés quelques mois, davantage qu'une caisse chômage. C'était en 2021. Ça a été signé. Et ce fonds devait être mis en place au 1er janvier 2023. Nous sommes en avril…”
 
Vous allez le demander au nouveau gouvernement ?

“Ah, c'est la continuité gouvernementale. À moins que monsieur Brotherson nous invente quelque chose de mieux ? On est preneurs.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 3 Mai 2023 à 21:40 | Lu 3307 fois