Tahiti Infos

​Le Conseil supérieur de la magistrature à Tahiti pour identifier les “besoins spécifiques”


Légende : Me Jean-Luc Forget, Madeleine Mathieu, avocate générale honoraire à la Cour de cassation, Catherine Farinelli, première présidente de la cour d'appel d'Amiens et Laurent Fekkar, procureur adjoint à Montpellier.
Légende : Me Jean-Luc Forget, Madeleine Mathieu, avocate générale honoraire à la Cour de cassation, Catherine Farinelli, première présidente de la cour d'appel d'Amiens et Laurent Fekkar, procureur adjoint à Montpellier.
Tahiti, le 22 mars 2024 - Dans le cadre de ses “missions d'information”, le Conseil supérieur de la magistrature est arrivé dimanche à Tahiti pour une semaine d'entretiens avec les différents acteurs du milieu judiciaire local. Dans un entretien accordé à Tahiti Infos, l'une de ses membres, Madeleine Mathieu, explique que cette visite vise notamment à déterminer les “profils les mieux adaptés” pour “assumer le particularisme” propre à l'exercice de la magistrature en Polynésie.  
 
Dans quel cadre s'inscrit ce déplacement du Conseil supérieur de la magistrature en Polynésie ?
 
“Le déplacement d'une émanation du Conseil supérieur de la magistrature se fait dans le cadre de nos missions d'information qui sont prévues par la loi organique de 1994 et que le Conseil fait dans toutes les cours d'appel de France métropolitaine et d'outre-mer pendant les quatre années de son mandat. Il s'agit d'avoir une vision complète des conditions réelles et concrètes d'exercice dans les juridictions afin de mener à bien ses missions principales que sont les nominations, la discipline et la déontologie. Outre, bien sûr, son rôle constitutionnel de défense de l'indépendance de la magistrature. Mais il est aussi très utile pour nous de savoir quels sont les besoins spécifiques. Au cours de cette visite en Polynésie, nous pouvons toucher du doigt les particularités en termes de distance, de complexité de certains contentieux comme le foncier, et toutes ces particularités nous permettent de savoir quels sont les profils les plus adaptés pour assumer ce type de particularisme. D'une manière plus générale, dans le cadre de nos missions disciplinaires, il est évidemment très important de prendre connaissance des conditions d'exercice concrètes car on ne considérera pas certains dysfonctionnements de la même manière suivant qu'ils ont lieu dans une juridiction surchargée, en difficulté, ou, au contraire, dans une juridiction dont les conditions d'exercice sont plutôt aisées.”
 
Vous vous êtes entretenus avec de nombreux magistrats, qu'en est-il ressorti ?
 
“Je ne peux pas le dire tout de suite car nous sommes une émanation du Conseil et il se trouve que durant cette mission, nous avons reçu une importante documentation de nombreuses personnes. Il nous faudra donc analyser tous ces documents et les notes que nous avons prises au cours des différentes rencontres que nous avons eues, qu'il s'agisse de l'ensemble des magistrats, des personnels qui représentent la direction des greffes, le SAR (service administratif régional judiciaire, NDLR) mais aussi le barreau, le haut-commissaire, la vice-présidente du Pays, les magistrats des sections détachées ou bien encore les personnels du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR). Tout cela nous a fait consigner beaucoup d'informations que l'on va donc analyser et partager avec la composition complète du Conseil. À l'issue de ces travaux, nous allons rédiger un rapport détaillé reprenant les points essentiels sur lesquels nous souhaitons insister et c'est le Conseil dans son ensemble qui décidera ensuite de la nécessité ou pas de faire remonter un certain nombre d'informations à la direction des services judiciaires. Voilà comment nous procédons de manière habituelle et voilà comment nous procéderons cette fois-ci.”
 
Pour nommer des magistrats sur le territoire, quelles sont les spécificités dont vous tenez compte ?
 
“Nous voyons bien qu'en termes de travail sur les nominations, les magistrats des sections détachées sont à temps plein, très isolés géographiquement et ont peu de contacts avec la juridiction de Papeete. Il faut donc que ce soient des personnes en capacité de supporter cet isolement avec un environnement familial qui les suit et puis, il y a aussi toute la nécessité juridictionnelle de compétences dans des domaines très variés puisqu'ils assurent des contentieux multiples. C'est un exemple parmi d'autres mais l'on voit qu'il y a à la fois des particularités techniques, la nécessité d'avoir une grande faculté d'adaptabilité et d'avoir l'appétence pour apprendre un droit très complexe et très riche qui est celui du Pays et qui s'articule parfois de façon assez complexe aussi avec le droit national. Nous devons donc trouver des profils qui correspondent bien à ce type de besoins pour les juridictions et les chambres détachées.”
 
C'est une question qui revient souvent dans le débat local : devrait-on limiter la durée d'exercice des magistrats dans les outre-mer ?
 
“C'est un sujet dont nous allons débattre avec le Conseil, il est certain qu'il y a des arguments “pour” et des arguments “contre” pour le maintien sur un temps long de personnes qui sont en poste dans les outre-mer. L'un des arguments “pour” relève de la compétence acquise car il peut notamment être intéressant pour un magistrat d'une section détachée d'avoir déjà connu un peu le contentieux spécifique de la Polynésie avant de se retrouver seul loin de la possibilité de se référer à ses collègues. À l'inverse, il peut y avoir des phénomènes que l'on appelle de “tropicalisation”, de trop grande implication dans le tissu local qui sont des points négatifs et qui militeraient plutôt en faveur d'une réponse positive à la question de savoir s'il ne faudrait pas limiter dans le temps les fonctions. Il s'agit après de voir quelles fonctions car en tout état de cause, les chefs de juridiction ont un temps de durée limitée. Après, cela doit-il s'étendre à tous les magistrats ? Faut-il avoir une vision différente selon que l'on est en métropole ou en outre-mer ? Ce sont des questions qui se posent et sur lesquelles nous allons réfléchir abondamment à la suite de ce déplacement. J'ajoute enfin que cette mission nous a apportés énormément d'informations car nous sommes un Conseil supérieur de la magistrature qui exerce depuis un peu plus d'un an maintenant et à chaque fois que nous nous déplaçons, nous apprenons encore et l'on s'aperçoit à quel point c'est essentiel de voir comment les choses fonctionnent.”
 
Propos recueillis par Garance Colbert
 
 

Rédigé par Garance Colbert le Vendredi 22 Mars 2024 à 07:14 | Lu 1809 fois