​Un entre-deux-tours entre deux choix


Tahiti, le 7 juin 2022 – Quels enjeux politiques pour le second tour des élections législatives en Polynésie française ? Le politologue Sémir Al Wardi prend du recul sur le scrutin du week-end pour évoquer les rapports de force autonomistes-indépendantistes, la possibilité d'un vote sanction contre le Tapura ou encore le poids de l'abstention… Seule certitude, l'une des clés du scrutin sera constituée par les reports de voix du Amuitahira'a et du A Here ia Porinetia qui se réunissent cette semaine sur ce délicat sujet.
 
La campagne pour le second tour des élections législatives a débuté dès cette semaine, les six candidats en lice –trois Tapura et trois Tavini– ayant tous déposé mardi leur candidature pour le scrutin du samedi 18 juin prochain. Principale question politique à l'issue du premier tour, quels rapports de force sont aujourd'hui en jeu entre les deux partis d'Édouard Fritch et d'Oscar Temaru et de quelles réserves de voix disposent leurs candidats ?
 
Pour le politologue Sémir Al Wardi, l'échiquier politique sur cette élection fait renaître une opposition qui semble à première vue avantager le parti autonomiste. “C'est un retour des années où le clivage était net entre les autonomistes et les indépendantistes. À un moment, à la fin des années 1990, ce clivage a été brouillé avec l'apparition d'autres partis autonomistes comme le Fetia api. Et il faut noter qu'à l'époque, Gaston Flosse fustigeait plus le Fetia Api que le Tavini. Parce qu'il préférait beaucoup plus se retrouver seul face au Tavini. D'où la modification du mode de scrutin en 2004 d'ailleurs.” Pour autant, force est de constater que la campagne des législatives ne s'est pas beaucoup positionnée jusqu'ici sur l'évolution statutaire de la Polynésie, avec l'opposition indépendance contre autonomie. Elle a davantage été marquée par des sujets sociaux comme la protection de l'emploi local prônée de longue date par le Tavini et défendue plus récemment par le Tapura avec la notion de “citoyenneté polynésienne”.
 
Édouard Fritch ne s'y est pas trompé dimanche. En réduisant ce scrutin à une opposition indépendance-autonomie, il entend recadrer le débat en sa faveur. Problème, cette élection semble également avoir été marquée par un “vote sanction” contre la majorité au pouvoir depuis 2014. Sujet également évoqué par Sémir Al Wardi. “Quand on analyse le vote, on peut se poser la question d'un vote sanction contre le Tapura dont a bénéficié le Tavini. Un vote sanction à la suite du mécontentement consécutif à la TVA sociale, à la surtaxe à 1 000% pour les non-résidents, à la crise économique ou encore à la pandémie qui a suscité quelques questions…” Précision cependant, même si elle est à manier avec précaution, indique Sémir Al Wardi, “on remarque que ce type de vote sanction, dans les élections nationales, est surtout utilisé au premier tour. On voit ensuite davantage un vote utile au second tour.”
 
Reports de voix
 
Sur l'abstention, le politologue relativise à la fois l'importance et la portée de la faible mobilisation des électeurs. “L'abstention reste comparable, en tout cas pour la première et la troisième circonscription, à celle de la métropole sur ce scrutin. On n'a donc pas à en rougir. Mais si on monte de quelques points au second tour, les candidats doivent surtout espérer qu'il y ait des reports en leur faveur. Et question reports, deux partis, le Amuitahira'a et le A Here ia Porinetia, sont presque ex-aequo à plus de 11 000 voix. Pour le parti de Nicole Sanquer, si on suit les discours qu'ils ont tenu pendant la campagne, il est bien évident qu'ils peuvent difficilement soutenir les indépendantistes mais aussi le Tapura dont ils sont issus. Reste le parti de Gaston Flosse. Et là on voit mal, vues les relations entre les deux leaders, Gaston Flosse appeler à voter pour le Tapura.” Deux partis, Amuitahira'a et A Here ia Porinetia, qui réunissent d'ailleurs cette semaine leurs équipes pour prendre position sur ce sujet.
 
Invité lundi soir de TNTV, Gaston Flosse n'a pas voulu s'avancer sur la question du second tour. Le président du Amuitahira'a a estimé que sa nouvelle ligne idéologique souverainiste n'était pas en cause, préférant mettre ses mauvais résultats sur le compte du changement de nom de son parti ou encore sur la “traitrise” de Teura Iriti passée au Tapura. Officiellement, le positionnement du parti de l'ancien président pour le second tour sera pris mercredi soir en “grand conseil”. L'hypothèse d'un appel à voter contre le Tapura est évidemment la plus probable, notamment avec le nouveau positionnement souverainiste de Gaston Flosse. Mais elle constitue un choix délicat dans la stratégie de l'ancien président qui vise le leadership côté indépendantistes. Soutenir les candidats du Tavini, c'est donc prendre le risque pour Gaston Flosse de renforcer le parti d'Oscar Temaru avant les territoriales de 2023. Pour autant, si le Vieux lion a assuré qu'il “ne baissera pas les bras” et qu'il poursuivrait sa stratégie “très fort et encore plus fort”, il ne peut occulter qu'il s'est heurté samedi à la dure réalité des résultats électoraux.
 
Côté A Here ia Porinetia, le jeune parti doit réunir jeudi son premier grand conseil politique pour plancher sur l'épineux sujet des consignes de vote au second tour. Mais en interne, on confirmait mardi que les avis étaient “très mitigés”, avec des sollicitations à la fois du Tapura et du Tavini. On confirmait également toute la difficulté soulevée par Sémir Al Wardi pour le parti de Nicole Sanquer, Nuihau Laurey et Félix Tokoragi : A Here ia Porinetia n'a jamais été un parti indépendantiste, mais ses adhérents n'ont pour l'heure aucune velléité de soutenir le Tapura. Un libre choix ? “Nos électeurs ne nous appartiennent pas”, martèle-t-on au sein du mouvement vert et blanc. “On ne sait même pas si une consigne de vote aurait une quelconque influence.” Rendez-vous donc cette semaine pour les premiers enjeux de ce passionnant entre-deux-tour.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 7 Juin 2022 à 21:59 | Lu 2827 fois