​Shen Gang Shun 1, le navire toxique


Tahiti, le 25 avril 2021 – Une consultation confidentielle éditée par l'assureur du navire de pêche chinois Shen Gang Shun 1, que s'est procuré Tahiti Infos, révèle la véritable bombe toxique que constitue désormais le bateau de 55 mètres de long échoué depuis plus d'un an sur le platier de Arutua. Près de 200 tonnes de gazole marin et surtout un gaz toxique mortel, l'hydrogène sulfuré, sont cloisonnés à bord du navire.
 
C'est un document “confidentiel” assez effrayant que s'est procuré Tahiti Infos sur l'état réel du navire de pêche chinois Shen Gang Shun n°1 qui s'est échoué le 21 mars 2020 sur l'atoll de Arutua aux Tuamotu. En effet, le 27 septembre dernier, le consultant de l'assureur du navire Marinsal Consultants B.V. a lancé une consultation pour “l'enlèvement du navire” au nom des “propriétaires et assureurs” du bateau de pêche. Dans ce document de 70 pages, auquel est annexé notamment le rapport de l'inspection du navire effectuée les 8 et 9 août 2020, figure d'inquiétantes révélations sur le stock de gazole marin restant à bord et surtout sur la présence massive “d'hydrogène sulfuré” issu de la décomposition des poissons et appâts abandonnés dans les cales… Un gaz toxique potentiellement mortel en fonction de sa concentration.
 

​Un échouage et deux inspections

Le document relate d'abord l'ensemble des événements survenus depuis l'échouage du navire. A l'origine de l'accident, rappelons que le Shen Gang Shun 1 avait été contraint de faire escale à Tahiti le 15 mars 2020 pour réparer une avarie. Six jours plus tard, le 21 mars, le navire dérivait à la suite d'une nouvelle avarie et s'échouait vers 5h30 du matin au sud-ouest de Arutua. Le capitaine a alors tenté –sans succès– de renflouer le navire “par ses propres moyens”, avant de prendre la décision d'abandonner sur place le bateau de 55 mètres de long.
 
Une première inspection a été faite le 1er avril. Et c'est à la suite de cette mission d'observation que des clichés de cales pleines de poisson, puis de fuites de carburant, ont circulé sur les réseaux sociaux en suscitant immédiatement la colère des internautes. Courant mai, une première opération d'enlèvement et de dépollution du navire a conduit au pompage de 77 tonnes de gazole marin des cales du Shen Gang Shun 1 et d'une partie des éléments polluants présents sur place tels que des bouteilles de gaz réfrigérant et des batteries. C'est au cours de cette opération qu'une tentative de renflouage avec les remorqueurs Aito Nui et Aito II a finalement échoué.
 
Ce n'est qu'après la levée des restrictions de voyage anti-Covid, les 8 et 9 août suivant, qu'une nouvelle inspection a été effectuée à bord du navire. Les observations menées à l'époque ont montré que le Shen Gang Shun 1 avait très légèrement bougé sous l'effet de la marée, qu'il ne semblait néanmoins pas avoir subi de dégâts supplémentaires, mais que plusieurs “petites fissures” avaient été découvertes sur sa coque.
 

​Du gazole et de l'hydrogène sulfuré

La consultation lancée par l'assureur décrit précisément l'état du navire au moment de l'inspection des 8 et 9 août. Elle révèle que le navire transportait environ 280 tonnes de gazole marin au moment de l'échouement. Or le rapport indique que selon les informations de l'entreprise à l'origine du pompage du mois de mai, seule de l'eau a été trouvée dans toutes les citernes de soute… “L'entrepreneur retenu doit donc considérer que d'importantes quantités de gazole marin sont encore à bord du navire et qu'elles doivent être enlevées”, décrit le document. Il précise également que de petits réservoirs dans la salle des machines contiennent également du gazole marin mais aussi “de l'huile de lubrification et de l'huile hydraulique”.
 
Plus stupéfiant, le rapport s'attarde longuement sur l'état des cales de poisson du navire. Au moment de l'échouement, le Shen Gang Shun 1 transportait “environ 11 tonnes de poisson et environ 62 tonnes d'appâts”. Ces poissons étaient gelés au moment de l'échouement, mais ont progressivement décongelés pour finir par pourrir dans les cales. “Le poisson et les appâts sont actuellement en état de décomposition, créant de l'hydrogène sulfuré et d'autres gaz toxiques potentiels. Le travail dans la cale à poisson est donc considéré comme un risque important pour la sécurité”, précise le rapport. En effet, ce point a fait l'objet de discussions pointues avec un chimiste marin contacté par l'assureur du navire, aux conclusions édifiantes (voir encadré).
 
Enfin, la mission d'inspection a observé “des quantités importantes de polluants solides” à bord du navire. Principalement des plastiques et des produits électroniques…
 

​Silence radio

Finalement, la consultation invitait en septembre dernier les soumissionnaires à faire “une proposition pour le retrait du navire de son lieu d'échouement actuel et pour l'enlèvement de tous les débris qui ont été perdus du navire, ou qui pourraient l'être au cours des opérations des entrepreneurs”. Renflouage, enlèvement des cargaisons de gazole marin, retrait et rejet en mer des appâts et du poisson… Le document précise notamment que “les principales citernes de soute (…) doivent être considérées comme ayant subi une brèche”, que “l'état des citernes de double fond est inconnu, mais il est probable qu'elles soient moins endommagées” et l'on “pense que les autres réservoirs de la soute sont intacts”. Outre les mesures de précaution à prendre pour l'enlèvement des stocks de poisson en décomposition, la consultation évoquait la solution du “sabordage” du navire ou “alternativement” de sa livraison “dans un état flottant stable dans le port de Papeete”.
 
Pour autant, selon nos informations, cette consultation n'a pas vraiment été suivie d'effet. Un plan d'enlèvement du navire a bien été présenté par les assureurs, mais il aurait été refusé par le propriétaire du Shen Gang Shun 1. Depuis, les autorités polynésiennes sont sans nouvelles de l'assureur ou de l'armateur… Ne laissant vraisemblablement d'autre choix pour le Pays que d'assurer lui-même les opérations de dépollution et de retrait. En attendant, la bombe toxique du Shen Gang Shun 1 continue de menacer sur le platier de Arutua.
 

​Un gaz dangereux dans les soutes

Contacté par l'assureur du navire, un chimiste marin –dont les conclusions sont annexées à ladite consultation– détaille les dangers représentés par la présence de gaz à l'intérieur du Shen Gang Shun 1. Ce sont les 11 tonnes de poisson et 62 tonnes d'appâts qui sont à l'origine de la formation potentielle de vapeurs toxiques comme le sulfure d'hydrogène et l'ammoniac, ainsi que du méthane. En outre, écrit le chimiste, “lorsque la cale est confinée, un manque d'oxygène se produit et les limites inférieures d'explosivité peuvent atteindre des niveaux dangereux”. L'expert ajoute qu'à un niveau élevé, l'hydrogène sulfuré peut “paralyser les nerfs olfactifs ou brûler les récepteurs du nez et l'odeur ne sera plus détectée”. Au delà d'un certain seuil, le gaz est également “considéré comme une menace pour la vie, voire mortel”. Enfin, dans le cas d'une extrême concentration en l'hydrogène sulfuré, le chimiste explique que l'on peut “considérer la cale comme explosive lorsqu'il y a 11% ou plus d'oxygène présent également”.
 
Les mesures effectuées au cours de l'inspection des 8 et 9 août 2020 indiquent une concentration d'hydrogène sulfuré parfois 14 fois supérieure à la “valeur limite” acceptée du gaz. Pas de quoi faire sauter le navire, mais de quoi constituer un véritable danger pour la santé humaine. “Au cours de l'inspection, nous avons ouvert les panneaux d'écoutille afin d'effectuer une inspection visuelle de la cale et de l'état de la cargaison, mais cela s'est avéré difficile. Le poisson en décomposition dans les cales a généré une atmosphère dangereuse, avec des niveaux particulièrement élevés d'hydrogène sulfuré, qui ont immédiatement déclenché l'alarme de notre détecteur de gaz personnel”, indiquait le rapport de mission d'août dernier.
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Jeudi 29 Avril 2021 à 18:01 | Lu 9417 fois