​Rixe mortelle entre frères aux assises


Tahiti, le 3 septembre 2020 - Le procès d’un quadragénaire sous tutelle, poursuivi pour avoir involontairement donné la mort à son frère aîné à Paea le 27 mars 2018 lors d’une bagarre, s’est ouvert jeudi devant la cour d’assises de Papeete. Jugé en état de récidive légale, l’accusé encourt trente ans de réclusion criminelle.
 
De toutes les affaires jugées par la cour d’assises, celles qui impliquent les membres de la même famille ont cela de particulier qu’elles imposent des sentiments contraires aux différents protagonistes des drames exposés. Un homme de 40 ans a en effet été présenté devant la cour d’assises de Papeete jeudi matin pour répondre de "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" commises sur son frère aîné alors que ce dernier était ivre. 
 
Le 27 mars 2018 en début de soirée, l’accusé avait regagné sa petite maison en bois située sur le terrain familial à Paea. Il avait été pris à partie par son frère aîné qui habitait sur le même terrain dans une maison adjacente. Très alcoolisé, ce dernier l’avait menacé avec un bout de bois. Après avoir refusé de se battre durant plusieurs minutes, l’accusé avait fini par désarmer son frère et lui avait porté plusieurs coups de poing. L’agresseur agressé avait chuté. C’est alors que les versions divergent. Selon l’accusé, les coups s’étaient arrêtés là. Selon certains témoins, il avait continué à frapper la victime alors que cette dernière était à terre. Malgré l’intervention des pompiers, l’homme n’avait pas pu être réanimé. Il avait succombé à une hémorragie cérébrale sur place. 

Lien de causalité

Les premiers éléments de contexte, recueillis par les enquêteurs de la Brigade de recherches (BR) de Faa’a, avaient permis d’établir que ces deux frères avaient l’habitude de se disputer, de boire beaucoup et de fumer souvent. Entre 2012 et 2018, les policiers municipaux étaient intervenus à 60 reprises pour des problèmes causés par l’accusé contre une vingtaine d’interventions pour la victime. L’autopsie pratiquée sur le corps de la victime avait conclu à un "lien de causalité entre les lésions constatées et le décès", en démontrant cependant qu’aucun élément ne pouvait prouver que l’accusé avait voulu tuer son frère. 
 
Le procès de l’accusé s’est donc ouvert jeudi matin pour deux jours en présence des membres de la famille. Comme il est d’usage, l’accusé a tout d’abord été invité à faire une déclaration spontanée. Sous tutelle depuis plusieurs années, le quadragénaire a évoqué son frère de manière souvent enfantine en utilisant le présent. "On s’aime beaucoup mais parfois, quand il boit, on ne fait que se bagarrer. Des fois, il gagne, parfois je gagne. Mais le lendemain, on se dit pardon et on est amis" a-t-il ainsi expliqué avant de raconter la soirée du drame. Soirée durant laquelle son frère l’avait "menacé de mort" : "Il m’insultait. Je me suis mal emporté. Il commençait à venir avec son bois, je lui ai dit que je ne voulais pas qu’il entre dans ma maison. Il m’a donné un coup de bâton." Après avoir fait une impasse sur les coups mortels, l’accusé a conclu son propos en disant qu’il aimait "beaucoup son frère" et qu’il demandait pardon à sa famille. 
 

​Gros buveur

Entendu par la cour, l’enquêteur qui avait pris en charge la garde à vue de l’accusé a évoqué son état psychique fragile. L’audition du quadragénaire avait en effet été suspendue car il disait entendre des voix et parlait de Satan. Interné en hôpital psychiatrique, l’accusé avait été hospitalisé plusieurs semaines avant que sa garde à vue ne puisse reprendre. Interrogé sur la personnalité de l’accusé, l’enquêteur a dressé le portrait d’un homme un peu perdu, gros buveur mais pas méchant : "À Paea, on avait l’habitude de le voir fumer des cigarettes dans le cimetière. Il avait tellement peu d’argent qu’il ramassait les mégots par terre pour les fumer. Il n’avait même pas les moyens de se payer un paquet de cigarettes, mais je dois dire que lorsque l’on avait affaire à lui, il n’était jamais violent. Personne n’a peur de lui dans la commune." Notons cependant que le mis en cause a déjà un casier judiciaire fourni qui comporte des faits de violences, d’agression sexuelle et de rébellion. 
 

​Revirements

Questionné par la présidente de la cour d’assises, le père de l’accusé et de la victime, a expliqué aux jurés que ses fils étaient de "bons enfants" mais que son aîné était très jaloux de l’accusé et qu’il le provoquait régulièrement. Des déclarations légèrement différentes de celles que le vieux monsieur avait faites lors de l’enquête. Un changement qui a fait dire à l’avocat général que ce père faisait "table rase" des propos qu’il avait tenus lorsqu’il avait été entendu par les enquêteurs. À son tour, la sœur de l’accusé et de la victime, plus jeune de la fratrie, a expliqué que c’était le défunt qui rabaissait tout le temps l’accusé et que ce dernier était une personne gentille et aimante. À la barre, la jeune femme a d’ailleurs affirmé que toute la famille lui avait pardonné le soir-même des faits. "Nous lui avons tout de suite pardonné car il avait besoin de soutien. Ce qu’il vivait personnellement était très dur. Si nous l’avions abandonné, il aurait été seul".
 
Après avoir entendu les membres de la famille, c’est le médecin légiste qui est venu témoigner du fait que la victime était décédée d’une hémorragie cérébrale provoquée par au moins plus de deux coups, l’accusé ayant lui-même déclaré qu’il avait frappé son frère au visage à quatre reprises. Un autre médecin, qui avait rédigé le rapport allant dans le sens de la mise sous tutelle de l’accusé, a quant à lui expliqué que ce dernier était un "psychotique chronique". Le procès s’achèvera vendredi au terme des plaidoiries et des réquisitions.  

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 3 Septembre 2020 à 18:31 | Lu 1361 fois