​Prison ferme pour les “lanceurs” de Nuutania


Tahiti, le 20 juin 2024 - Sept hommes tous déjà connus de la justice ont été jugés en comparution immédiate jeudi pour avoir lancé des colis contenant des stupéfiants dans l’enceinte de Nuutania, ou pour les avoir réceptionnés dans la cour de promenade de la prison. Au terme d’une audience parfois tendue, ils ont écopé de peines comprises entre un et trois ans de prison ferme. 
 
Des hommes grassement payés pour lancer des colis dans la cour de promenade, des détenus récipiendaires des paquets pour le compte d’un autre prisonnier surnommé le “Dragon” et des changements de versions visiblement opérés sous le sceau d’une certaine peur. Le tribunal correctionnel s’est penché jeudi sur le cas de sept individus, dont cinq détenus de Nuutania, qui étaient poursuivis pour avoir, chacun à leur niveau, facilité l’introduction dans la prison d’ice et de paka au travers de colis dans lesquels du poulet et des samossas avaient également été retrouvés. 
 
Le système, bien rodé, avait été mis au jour le 14 avril dernier aux abords du centre de détention de Nuutania lorsqu’un jeune homme avait été interpellé alors qu’il venait de lancer – ou “projeter” – deux colis dans la cour de promenade. Des paquets immédiatement récupérés par des détenus. Entendu, le lanceur avait tout de suite avoué qu’il avait accepté de les lancer à la demande d’un ami qui lui avait promis 50 000 francs par jour de “travail” car il avait “besoin d’argent”.
 
“Dragon”, un “boss” impliqué dans la fusillade du Liberty
 

Au terme de l’enquête ouverte suite à cette arrestation, les gendarmes avaient finalement pu établir que quatre détenus, nommés les “chevaux du boss”, réceptionnaient les colis dans la cour de promenade à des heures préalablement fixées. Ils faisaient en sorte d’agir en l’absence des gardiens et se mettaient à taper des mains lorsque ces derniers arrivaient. Un “signal” pour avertir les lanceurs situés à l’extérieur. Lors des différentes auditions, plusieurs mis en cause avaient indiqué qu’ils agissaient pour le compte d’un autre détenu, un “boss” surnommé “Dragon” qui n’est autre que l’homme mis en cause comme étant le tireur de la fusillade du Liberty. 
 
Présentés en comparution immédiate jeudi, les sept prévenus – qui ont tous en commun d’être peu ou pas diplômés, d’être déjà connus de la justice, et d’être ou d’avoir été consommateurs de stupéfiants – sont, pour certains, revenus sur leurs déclarations. Lorsque le président du tribunal leur faisait remarquer qu’ils avaient indiqué en garde à vue qu’ils avaient agi pour le compte de “Dragon”, plusieurs d’entre eux ont rétorqué qu’ils n’avaient jamais tenu ces propos. Un parfum d’omerta alors même que l’intéressé assistait paisiblement à l’audience du fond de la salle entouré de deux gendarmes.
 
Pertes de mémoire calculées
 
Lorsqu’est ensuite venue son audition à la barre, “Dragon” a souvent répondu d’une voix inaudible au président du tribunal en lui expliquant qu’il ne se “souvenait pas” ou qu’il ne savait pas ce dont on parlait. Le magistrat a profité de cette occasion pour rappeler que cette affaire avait été renvoyée une première fois à sa demande car il disait ne pas être en état psychique de suivre les débats. L’expert-psychiatre qui avait examiné le “boss” suite à ce renvoi avait pourtant sévèrement conclu que ce dernier “instrumentalisait” ses “pertes de mémoire” afin d’“écourter les entretiens” et qu’il se croyait dans la “toute puissance” avec un “niveau élevé d’intolérance à la frustration”. 
 
Lors de ses réquisitions, le procureur de la République a dénoncé un “système pyramidal où chacun joue son rôle” mis en place dans le cadre d’une “forme de comédie humaine avec des rapports de force qui s’y jouent”. Le représentant du ministère public a par ailleurs affirmé que “Dragon” était bien “l’instigateur” à l’origine de cette “association de malfaiteurs”. Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné “Dragon”, qui sera bientôt jugé dans le cadre de l’affaire du Liberty, à trois ans de prison ferme. Les autres prévenus ont écopé de peines comprises entre un an et 30 mois de prison. Ils ont tous été maintenus en détention. 

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 20 Juin 2024 à 17:46 | Lu 2634 fois