​Polynésie et Calédonie : Deux économies, deux dépendances


Tahiti, le 13 juillet 2020 – Dans sa dernière étude, l’IEOM fait un comparatif de développement entre la Polynésie et la Nouvelle Calédonie sur près d’une décennie, avec des caractéristiques communes, mais aussi des trajectoires différentes. L’IEOM appelle surtout à plus de diversification de ces économies avec plus de concurrence et plus de coopération entre elles.
 
Sur bien des aspects, l’étude de l’IEOM publiée vendredi dernier "Nouvelle Calédonie et Polynésie française : deux trajectoires de croissance (2001-2018)" pourrait faire passer ces collectivités comme deux sœurs jumelles du Pacifique. Les portraits économiques brossés sont assez ressemblants. Outre les similarités démographiques, leurs économies sont orientées vers les services plutôt que l’agriculture et l’industrie, avec une croissance portée par la consommation des ménages. Vulnérables, avec un tissu économique composé à 97% de très petites entreprises, elles connaissent des déficits structurels des échanges extérieurs avec un niveau très élevé des importations. Des déficits que chacune compense partiellement différemment, l’une par le nickel, l’autre par le tourisme. Ces caractéristiques sont déjà bien connues, mais ces similarités n’empêchent pas "une trajectoire radicalement divergente", mais des remèdes quasi-identiques.
 

La Polynésie paye encore pour les taui et la crise de 2008

Pour l’IEOM, si les deux territoires ont eu le même point de départ, la Polynésie est encore à la traine. Avec un PIB comparable au début des années 2000, le fossé se creuse entre elles à compter de 2003. En Nouvelle-Calédonie, "la croissance s’accélère, dynamisée par d’importants investissements dans l’industrie du nickel (…)". À quelques 5 000 km de là, "la Polynésie française, fragilisée par des facteurs internes et externes, subit de plein fouet la crise internationale et plonge en récession entre 2008 et 2013". À partir de 2014, la tendance s’inverse avec une croissance calédonienne qui s’essouffle et une Polynésie qui voit la sienne s’accélérer en tirant notamment partie du boom du tourisme mondial. Un rattrapage tardif selon l’IEOM pour qui "la différence en niveau reste flagrante : depuis 2016, alors que la Polynésie française retrouve à peine le niveau économique pré-crise, le PIB calédonien est près de deux fois supérieur à celui-ci". Des trajectoires opposées qui conduisent également à peu d’échanges entre ces deux territoires, avec "à peine 1% de leur commerce extérieur". Raison pour laquelle l’Institut plaide pour plus d’échanges et de coopération "comme un vecteur de développement". Cette coopération régionale permettrait d’ouvrir des débouchés et de dégager des économies d’échelle.
 

Des économies dépendantes donc vulnérables

La fragilité de ces économies, en ces temps de crise, n’est pas réduite à la seule taille des entreprises, mais également aux orientations prises. Selon l’IEOM, parmi les éléments qui handicapent ces économies, leur trop forte spécialisation – le nickel pour la Nouvelle-Calédonie et le tourisme pour le fenua – est ainsi pointée du doigt. En effet, cette spécialisation "constitue un levier de développement important, mais se traduit également par une polarisation économique importante" car "cette dépendance de l’économie vis-à-vis d’un secteur peut s’avérer une source de vulnérabilités en cas de panne de ce moteur". Un moteur en panne et qui va tarder à redémarrer d’autant que, outre la place prépondérante du tourisme, "se superpose une dépendance parfois exclusive de certaines îles à des productions telles que le coprah ou la perle". Pour l’IEOM, la diversification de l’activité et un rééquilibrage territorial sont indispensables.

De la même manière, relevant que les prix moyens dans les deux collectivités sont "nettement plus élevés que dans l’hexagone", l’IEOM y voit les conséquences d’une faible concurrence avec un nombre d’entreprises réduit sur des marchés étroits. S’appuyant sur les effets sur les prix, suite au renforcement de la concurrence dans les télécoms et le transport aérien, l’Institut recommande de "favoriser l’arrivée d’acteurs sur les marchés intérieurs pour encourager la compétitivité" car "cette relative faible concurrence n’est pas propice au développement de l’innovation et à la réalisation de gains de productivité".
 

Des aides massives de l’État pouvant expliquer les réticences actuelles

Les aides massives de l’État et un faible endettement peuvent expliquer les réticences actuelles du gouvernement central à accéder aux demandes du Pays en matière de soutien. L’IEOM note en effet que les versements de l’État sont "une ressource essentielle dans les finances" des deux territoires, avec notamment 188 milliards pour la Polynésie et 165 pour nos voisins calédoniens. Des montants significatifs qui "représentent 41% des ressources publiques totales en Polynésie française et 29% en Nouvelle-Calédonie". La Polynésie est ainsi friande des dotations et des aides indirectes de l’État. En 2018, les entreprises polynésiennes ont ainsi obtenu 33 milliards de défiscalisation nationale, soit 2,5 fois plus que leurs homologues calédoniennes. Bonne élève pour obtenir le soutien de l’État et obtenir l’obole à Paris, la Polynésie est assurément moins douée pour développer ses ressources propres et faire jouer son autonomie fiscale. En effet, "la Nouvelle-Calédonie (…) s’appuie sur davantage de recettes fiscales (38,5% du total contre 22% en Polynésie française) et de cotisations sociales (25% de ses ressources contre 19% en Polynésie française)". L’appel à la solidarité nationale passe donc avant une réflexion territoriale.
 

Bonne marge de manœuvre pour des emprunts

Moins de pression fiscale, mais également beaucoup plus de marges de manœuvre au niveau de l’endettement. C’est également un des constats de l’étude qui ne manquera pas d’alimenter l’actuel débat sur le financement des mesures de relance. L’IEOM note en effet que, dans les deux collectivités, le recours à l’emprunt est limité notamment en Polynésie où il ne représente que 2% du total des ressources publiques. Un très faible endettement qui laisse des marges de manœuvre pour le gouvernement local, d’autant que l’examen comparatif avec le gouvernement métropolitain laisse pantois. Fin 2018, l’endettement public en Polynésie correspond à 14% de son PIB contre 16% en Nouvelle-Calédonie et 98% en France. Un constat qui doit peser dans les relations État-Pays en cours et à venir.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Dimanche 12 Juillet 2020 à 20:06 | Lu 3688 fois