​Polémique nationale autour de Nuutania


Tahiti, le 29 août 2022 – L'Union syndicale de la magistrature a dénoncé un “empiètement non acceptable” de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, après un rapport dénonçant notamment la politique de l'application des peines à Papeete qui serait responsable de la surpopulation carcérale à Nuutania.
 
Le journal Le Monde, repris par l'Agence France Presse (AFP), a révélé lundi “l'attaque inédite” dont a fait l'objet la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) de la part de l'Union syndical des magistrats (USM), principal syndicat de magistrats en France. Au cœur de cette polémique sur l'indépendance de la justice, la surpopulation carcérale à la prison de Nuutania et des “dysfonctionnements”, dénoncés par la contrôleuse, au tribunal de première instance de Papeete.
 
Application des peines
 
À l'origine de cette affaire, la contrôleuse générale Dominique Simonnot avait écrit le 1er juin dernier au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, à l'issue d'une visite de contrôleurs dans les prisons de Nuutania et Tatutu en mai 2022. Dans ce courrier, cité par le journal Le Monde, les contrôleurs relataient des “situations humainement inacceptables” qui découleraient d'un sous-effectif au service de l'exécution des peines au tribunal de première instance de Papeete et d'une politique d'application des peines “illisible” et “excessivement restrictive” au fenua. Une juge qui refuserait quasi-systématiquement les aménagements de peine est notamment mise en cause par le courrier.
 
C'est à la suite de cette missive, non destinée à être rendue publique mais “récupérée par les réseaux du syndicat de la magistrature” –dixit Le Monde–, que la présidente de l'USM, Céline Parisot, a écrit au Garde des Sceaux pour dénoncer un “empiètement non acceptable dans la sphère de l'acte juridictionnel”. L'USM estime que la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a outrepassé ses fonctions en “s'immiscant” dans l'activité des juridictions et en critiquant des juges. L'USM reproche à Dominique Simonnot d'avoir proposé au syndicat des directeurs de prison l'organisation de recours en justice “de masse” pour dénoncer les conditions de détention et “obliger les magistrats à s'intéresser plus sérieusement” à la surpopulation carcérale. “Il y a des dérives de la CGLPL, qui se rapproche de plus en plus de l'acte juridictionnel”, a affirmé à l'AFP Ludovic Friat, secrétaire général de l'USM, qui dit attendre de la Chancellerie une clarification sur les prérogatives de cette autorité administrative indépendante.
 
Jointe par l'agence, Dominque Simonnot s'est étonnée de ces attaques et a assuré être dans son rôle. “Il est parfaitement normal, quand nous tombons sur une prison surpeuplée, de demander aux magistrats comment on en est arrivés là”, a-t-elle affirmé à l'AFP, qui rappelle qu'au 1er juillet 2022, le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Nuutania s'élève à 134,9%, contre 118,7% en moyenne au niveau national. “Depuis sa création, la CGLPL interroge la politique pénale et je ne sais pas pourquoi, là, ça paraît insupportable”, poursuit Dominique Simonnot, qui persiste et signe : “Peut-être parce qu’on déterre quelque chose qui fait mal.” Officiellement, la Chancellerie refuse de trancher le débat, indique l'AFP. “Le ministre respecte autant l'indépendance des magistrats que celle des autorités administratives indépendantes”, affirme l'entourage d'Éric Dupond-Moretti à l'Agence France Presse. Mais selon Dominique Simonnot, le ministre a toutefois chargé l'Inspection générale de la justice d'enquêter sur les pratiques au tribunal de Papeete, une information sur laquelle le ministère n'a pas souhaité faire de commentaires.
 
Silence au palais
 
Lundi au palais de justice de Papeete, les langues n'étaient pas très promptes à se délier sur cette épineuse affaire. Les représentants locaux de l'USM n'ont pas souhaité s'exprimer. Tout juste corrigeait-on, dans les couloirs du tribunal de première instance, le fait que trois juges d'application des peines officient bien à Papeete, et non une seule comme l'indique l'article du Monde, ou encore que la juge d'application des peines visée par la contrôleuse générale n'avait absolument pas été convoquée par sa hiérarchie.
 
Selon nos informations néanmoins, l'USM avait déjà écrit un courrier le 21 juin dernier à la présidente du tribunal de première instance pour s'émouvoir du rapport de Dominique Simonnot. Rapport qualifié alors de “véritable réquisitoire unilatéral, outrancier et non contradictoire”.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau, avec AFP le Lundi 29 Aout 2022 à 21:16 | Lu 2771 fois