​Manutea Rambaud ouvre son collectif au grand public


Tahiti, le 28 août 2024 - Elle est photographe mais sensible, également, à l’écriture. Elle a lancé il y a un an un collectif appelé Le Rat-Porc pour encourager à la créativité et mener des réflexions autour de l’art. Ce collectif organise une première journée d’ateliers créatifs ouvert à tous.
 
N’y voyez pas d’explication, le nom du collectif d’artistes Le Rat-Porc n’est qu’une juxtaposition de deux termes “un peu absurdes car “s’il y a des chats-coqs, pourquoi n’y aurait-il pas des rats-porcs ?” interroge Manutea Rambaud, l’instigatrice. Il s’agit d’un collectif regroupant pour l’heure des amis artistes ou sensibles à l’art et qui permet de “partager des points de vue”, de “prendre du recul”, de “mener des réflexions sur des sujets variés” comme, entre autres, l’intelligence artificielle.
 
Ce collectif est né d’un constat. Manutea Rambaud exprime un certain “ras-le-bol”. Les artistes selon elle ne prennent pas le temps de créer ou s’auto-censurent. Le Rat-Porc se réunit une fois par mois depuis juillet 2023, s’inspirant des cafés littéraires. “J’ai toujours aimé ce concept”, indique Manutea Rambaud. Elle cite, à propos de littérature, Oscar Wilde, Baudelaire, “tous ces écrivains un peu maudits, rejetés, qui ont fini pourtant par se retrouver”.
 
Les rencontres du Rat-Porc se déroulent toujours selon le même principe : un thème est annoncé, il sert de support aux discussions et débats. Parfois, les échangent portent les participants vers d’autres sujets ; des désaccords surgissent, mais dans tous les cas les pensées des uns et des autres sont respectées. En fin de rencontre, “on donne ce que l’on peut appeler vulgairement des devoirs”. Ceux-ci ont un objectif créatif pour dire et illustrer le thème. “On encourage à la création.” Manutea Rambaud se charge en plus de consigner les idées clés car “il me semblait dommage qu’elles se perdent dans l’air”.
 
“C’est important de se rencontrer”
 
Selon elle, se retrouver est nécessaire. “On vit dans une société qui tend à l’individualité. Ce qui est nécessaire pour la création, certes, mais l’humain est fait pour être ensemble. C’est important de se rencontrer.” Jusqu’alors, le collectif se réunissait entre membres cofondateurs – ils sont une dizaine de sculpteurs, écrivains, dessinateurs, chanteurs... Il s’ouvrira au grand public dès le 14 septembre avec une journée d’ateliers créatifs et de tables rondes. “Cela me tient à cœur, depuis le début l’initiative n’a pas pour objectif de rester privée”, commente Manutea Rambaud.

Pour fêter sa première année, le Rat-Porc a conçu et édité un fanzine. Un fanzine (contraction de l'expression anglaise de fanatic magazine) appelé parfois simplement zine est une publication, imprimée ou en ligne, périodique ou non, institutionnellement indépendante, créée et réalisée par des amateurs passionnés pour d'autres passionnés. Un fanzine est un “journal libre”, une revue qui appartient à l’univers des médias alternatifs, souvent sans existence officielle publié sous l'égide du “Do it yourself”, souvent aussi spécialisé. Il n'est soumis à aucun impératif de vente. Celui du Rat-Porc est en noir et blanc, imprimé en 40 exemplaires, offerts aux membres du collectif et distribué dans les galeries et à la Maison de la culture. Il recèle des textes, dessins, créations mais aussi des comptes-rendus de discussions.
 
Voir les petits riens”
 
Manutea Rambaud est née en 1995, en France. Mais elle a passé la plus grande partie de sa vie en Polynésie. Petite elle dessinait, partout, tout le temps. Elle écrivait aussi, un journal de bord, un journal intime. Elle se présente comme une petite fille “renfermée et timide”, dit avoir grandi dans une famille sensible à l’art où elle avait toujours un appareil photo à portée de main. Elle était “attirée” et “impressionnée” par ces appareils qui était de taille. C’était des appareils professionnels qu’elle n’était pas autorisée à utiliser.
 
Elle eut son tout petit appareil personnel à elle à l’âge de 14 ans. Copains, fêtes de fin d’année, fourmis et gouttes d’eau… tout son entourage et son environnement étaient immortalisés. “J’aime depuis toujours regarder ce que les gens ne prennent pas le temps de voir, tous les petits riens.” Pour Manutea Rambaud, la société est toujours “pressée”, passant souvent à côté de ce qui fait la beauté de la vie. Elle a exposé ses premières photos en 2010 avec le collectif F16 devenu depuis Hoho’a.
 
Pour autant, à cette époque, elle n’a pas envisagé en faire sa profession. “J’ai toujours entendu dire que les photographes avaient un métier à côté.” C’était donc une passion. Un passe-temps “rigolo” pour avoir des souvenirs. Elle a suivi une année au lycée Paul Gauguin, attirée par la section Arts plastiques. Elle avoue avoir fait le minimum. “Je ne me suis pas foulée, j’ai redoublé.” Elle a poursuivi au lycée Aorai. Elle a été reçue au baccalauréat en 2014, puis s‘est inscrite à l’université de la Polynésie française avec l’idée de devenir journaliste. L’un des stages effectués dans le cadre de ses études l’en a dissuadée. Le traitement de l’actualité ne l’intéresse pas. Ce qui lui plaît, c’est l’art.
 
En 2018, elle a quitté la faculté, diplômée, avec “l’espoir naïf” qu’elle trouverait du travail. Finalement, elle a ouvert une patente de photographe, proposant ses services aux entreprises et particuliers. En parallèle, elle a souhaité poursuivre ses études : “J’ai adoré apprendre, alors autant continuer tant que j’étais lancée.” Manutea Rambaud a enchaîné avec un Master en français langues étrangères à distance avec l’université d’Artois en France. Diplôme qu’elle a obtenu en 2020. L’année à partir de laquelle les demandes de photographies ont été croissantes.
 
Elle a cherché à s’inscrire dans une école de photos en France. “La direction de l’établissement m’a déconseillé de les rejoindre, expliquant que leur cursus ne répondrait pas à mes attentes.” Manutea Rambaud fonctionne à l’instinct. Elle peine à entrer dans les longues explications de chiffres, d’iso, de rapports et mesures. Elle a essayé de suivre les conseils de son père. “Mais il n’était pas assez pédagogue et je n’étais pas assez patiente.” Finalement, elle a appris seule.
 
Elle a rapidement constaté que “les vidéos en ligne et tutoriels sont peu compréhensibles”. Alors elle a multiplié les tests pour s’approprier la technique. Aujourd’hui, elle partage ses connaissances via un blog.
 
En plus de répondre à des commandes, elle explore des univers, travaille sur des projets personnels. Elle participe à des expositions, et s’est mise en tête, en 2021, d’archiver les bâtiments de la zone urbaine. “Nombreux sont ceux qui sont nostalgiques du Tahiti d’antan, mais personnes ne prend le temps d’immortaliser notre quotidien. Or sans cela, le passé de demain n’existera pas.”
 
En parallèle ou en complément, elle écrit. Elle a mis trois années à finaliser un recueil de poèmes qu’elle a soumis en 2023 à des maisons d’éditions en France. Sans retour, elle annonce vouloir le retravailler pour le soumettre à nouveau. Début 2024, elle s’est lancée dans la rédaction d’un recueil de nouvelles. Elle n’est jamais à court d’idées, ni d’envies. Surtout, elle aspire à une meilleure reconnaissance de l’art photographique qui d’abord a été accusé de prendre la place de la peinture, puis a été admiré avant de devenir presque banal en raison du flux incessant et infini d’images déversées sur la toile. “Il faut que la photographie reprenne sa place.” Ce qui donne un sens de plus, s’il fallait, au Rat-Porc.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 28 Aout 2024 à 15:24 | Lu 1595 fois