​Le mariage Alpha pourrait leur coûter cher


Tahiti, le 7 avril 2022 – Huit mois après les faits, le tribunal de police s’est penché jeudi sur les circonstances du mariage de Tearii Alpha, organisé le 5 août dernier en pleine reprise épidémique. Un total de 1,3 million de Fcfp d’amendes est requis à l’encontre des trois co-prévenus dont Tearii Alpha et Édouard Fritch. La décision est mise en délibéré au 2 juin.
 
L’affaire avait fait grand bruit en août dernier, en glissant dans l’opinion publique l’idée scandaleuse qu’il y aurait des contraintes sanitaires applicables au commun, mais desquelles pourraient s’affranchir les puissants. Alors qu’un arrêté du 30 juillet venait de fortement restreindre les possibilités de rassemblements pour “mettre un terme au brassage d’un trop grand nombre de personnes” et endiguer la propagation du variant Delta, le vice-président du Pays, Tearii Alpha, avait organisé le 5 août sa fête de mariage, dans sa commune de Teva i Uta, au restaurant Le Gauguin. 422 convives s’y sont pressés, selon l’enquête de gendarmerie, dont la quasi-totalité du gouvernement.

Plusieurs constats de gendarmerie avaient été faits le jour-même. Des contraventions de 4e classe ont depuis été dressées en conséquence. Huit mois après, l’affaire était instruite à l’audience, jeudi devant le tribunal de police. Trois prévenus sont cités. Tearii Alpha est renvoyé pour six infractions. Il lui est reproché d’avoir organisé ce mariage dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, avec un banquet lors duquel ont été méconnues les règles de distanciation, un bal et plusieurs animations musicales. Édouard Fritch est sous le coup de quatre contraventions de 4e classe, pour avoir participé à cette fête, n’y avoir pas porté son masque et pris part à l’animation musicale. La co-gérante du restaurant Le Gauguin est quant à elle, ès-qualités, sous la menace de cinq amendes pour avoir accepté d’accueillir la fête dans les locaux de son restaurant et en totale méconnaissances des protocoles sanitaires applicables à l’époque.
 
Restaurant privatisé
 
Je n’ai pas été consultée une seule fois”, s’est-elle défendue à la barre, jeudi. “Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais dit non”. Selon son avocat, Me Stanley Cross, l’organisation de la fête de mariage a été conclue entre Tearii Alpha et son père, octogénaire et propriétaire historique de l’établissement. Dans un premier temps, l’événement devait en effet avoir lieu en présence de 1 500 invités, sur le site du motu Ovini à Papeari, dans l’enceinte du jardin botanique Harrison Smith. Après l’annonce conjointe, le 30 juillet, par le haut-commissaire et le président de la Polynésie du renforcement des mesures sanitaires, la décision avait été prise à la hâte par le futur marié de privatiser l’espace du restaurant Le Gauguin et de limiter les convives à 300. Dès le 2 août, les propriétaires ont accepté à sa demande de privatiser leur restaurant pour l’événement. Du personnel s’est chargé de la mise en place de 50 tables de six personnes dans le respect des règles de distanciation. Tearii Alpha avait déjà son traiteur et le nécessaire pour l’événement incluant, de quoi assurer un bar à volonté, un service à table et des agents de gardiennage. “Il n’a eu qu’à en déplacer l’organisation”, assure l’avocat, tandis que Le Gauguin lui était remis clé en main. “C’était difficile pour eux de refuser ça au tāvana qui est le premier magistrat de la commune.” Sans orchestre, l’événement pouvait au demeurant se tenir dans le respect de la règlementation pour peu que les convives soient moins de 500 et restent sagement assis à leur table de six.
 
Fritch à la guitare
 
Mais l’événement a assez rapidement pris l’allure d’un “cafouillage complet et désorganisé”, comme en a témoigné une employée de salle entendue lors de l’enquête de gendarmerie. Les convives se déplaçaient de table en table, personne ne portait de masque. Et la piste de danse a chauffé jusqu’à 18 heures, avec notamment au nombre des musiciens, le président Édouard Fritch. “Je ne suis pas animateur de cabaret”, assure-t-il aujourd’hui à la barre. “J’ai juste eu l’occasion de jouer sur un instrument que je ne me paierai jamais”. Une guitare de marque Godin. “Nous étions dans la fête. J’étais heureux.” La première institution du Pays l’assume pourtant aujourd’hui : “Nous avons été collectivement imprudents”. Mais il assure aussi qu’avec la certitude de répondre à une invitation pour une fête dans un restaurant privatisé, avec un nombre d’invités inférieur à 500, des gestes barrières respectés “tous ces éléments m’ont laissé penser que l’événement était organisé dans de bonnes conditions”.
 
Orchestre “spontané”
 
Je tiens à remercier le président d’avoir accepté mon invitation”, a dit Tearii Alpha à la barre. Jeudi, il a rappelé les circonstances qui l’ont conduit à organiser sa fête de mariage au restaurant du musée Gauguin, après avoir privatisé le site. Deux jours plus tôt il avait eu confirmation du refus par le haut-commissaire d’accorder une dérogation pour un événement au motu Ovini. “S’il y a un seul organisateur de cet événement, c’est moi”, a-t-il aussi plaidé pour disculper ses co-prévenus. “Ce n’est ni le restaurateur, ni le président”. Quant à l’orchestre présent le jour de l’événement, “c’était un orchestre surprise, spontané. Et j’ai été agréablement surpris de voir les anciennes figures de la musique dans la commune se présenter ce jour-là pour offrir une animation. Il ne s’agissait ni d’un bal, ni d’un dancing”. Il demande au tribunal de prononcer la relaxe de la co-gérante du restaurant Le Gauguin et du président Édouard Fritch.
 
1,3 million de Fcfp d’amendes au total
 
Mais pour le ministère public, “le vrai problème est que nul ne savait exactement qui était invité à cet événement” et que tout le monde à “vite été débordés par la situation”. Ce que n’aurait jamais dû accepter Tearii Alpha. Il demande que le tribunal prononce sa condamnation à six amendes de 4e classe majorées, c’est-à-dire à un total de 534 000 Fcfp. Quant au président Fritch, a-t-il rappelé, le vendredi précédent il faisait des déclarations publiques au côté du haut-commissaire pour rappeler à la population “avec pédagogie” la nature et le bien fondé des mesures sanitaires qui s’imposaient alors pour endiguer la flambée épidémique meurtrière que subissait la Polynésie : “Il me parait difficilement concevable que M. Fritch ait pu oublier moins d’une semaine plus tard le cadre règlementaire qu’il était en train d’outrepasser”. Pour le représentant du ministère public, cette participation en tant qu’invité d'Edouard Fritch au mariage est “un moment d’égarement”. Il requiert en conséquence sa condamnation à quatre amendes pour un total de 356 000 Fcfp.

Pour la co-gérante de l’établissement, il demande au tribunal de reconnaitre sa responsabilité ès-qualité et de prononcer sa condamnation à cinq contraventions de 4e classe majorées, pour un total de 445 000 Fcfp. Selon lui, elle ne pouvait être que “parfaitement informée de la tenue de cet événement”. Un avis contesté par son avocat, Stanley Cross : “Il me semble que cette participation active de ma cliente doit être prouvée et caractérisée”. Il a rappelé que la décision de mettre à disposition le restaurant avait été prise sans son aval, que le jour de l’événement elle était chez elle. Il s’étonne en outre que les autres responsables de l’entreprise n’aient pas eu à comparaitre et demande la relaxe de sa cliente.
Fait exceptionnel pour le tribunal de police, le jugement a été mis en délibéré. Une décision est attendue le 2 juin prochain.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 7 Avril 2022 à 18:36 | Lu 6834 fois