​La dissolution, un test risqué pour le Tavini


Tahiti, le 9 juin 2024 - Moetai Brotherson était à la recherche depuis quelques mois d’un soutien à sa politique. Dimanche, le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale avec l’organisation de nouvelles législatives dans trois semaines. Le Tavini, ainsi que le gouvernement, vont pouvoir tester la solidité de leur assise électorale.

 
C’est finalement la grande surprise du scrutin de ce week-end. Non pas la victoire de l’exclusion et du repli sur soi à l’échelle nationale, mais le retour aux urnes pour rebattre les cartes au Palais Bourbon. Dimanche matin, peu après 9 heures, les députés Tematai Legayic, Mereana Reid Arbelot et Steve Chailloux perdaient leurs mandats à la faveur de la dissolution décidée par le président de la République.
 
Et si le vrai bilan de la gouvernance de Moetai Brotherson et de la présidence de l’assemblée de la Polynésie française était réalisé à l’occasion de ces élections ? Les 30 juin et 7 juillet prochains, il n’y aura pas de vote assis/débout à Tarahoi pour confirmer le soutien Polynésiens au président et au Tavini. Pas non plus de monologues complaisamment télévisés.
 
Dans 20 jours, c’est toute la politique menée depuis un an par le camp indépendantiste qui va être confortée, ou non, et alors que la grogne sociale ne cesse de monter – hausse des prix, système de santé à l’agonie, loi fiscale bloquée, etc. – le parti indépendantiste a l’occasion de confronter son autosatisfecit à la réalité du terrain. Et ce dans un temps très court qui va donner du fil à retordre pour les candidats de tous bords.

Une majorité fragilisée

Alors que par le passé, le Tavini avait pu utiliser les élections de moindre importance comme des tests grandeur nature, cette année, c’est l’abstention qui a été prônée par le parti indépendantiste, ce qui rend illisible son électorat, ce lundi matin. Un an après des territoriales remportées, le Tavini va se confronter au vote des Polynésiens, avec un changement majeur entre temps. Si les territoriales 2023 étaient marquées par le rejet du Tapura et de sa gestion de la crise Covid, les législatives 2024 seront-elles une promenade de santé pour les bleus ?
 
Rien n’est moins sûr. Le parti est divisé entre l’action présidentielle (Brotherson), l’action législative (Géros), et une présidence vieillissante incarnée par Oscar Temaru qui ne tient plus, ni ses troupes, ni la cohérence de ses discours. En témoignent les publications sur les réseaux sociaux de la vice-présidente déchue, Éliane Tevahitua, ou ce post amusé dimanche (“OMG le Karma”, avec un emoji de roue qui tourne) de Hinamoeura Cross.
 
Les escapades sans logique en Azerbaïdjan, la création d’une commission de décolonisation, les prix qui ne baissent pas, le système de santé sur le point d’exploser et un cap économique bien flou rendu encore plus compliqué par une loi fiscale mal votée sont autant d’épines dans le pied.
 
Quant à l’action des députés, elle aura été plus marquée par le cavalier législatif tenté récemment à l’occasion du vote de la loi modificative du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, que par l’ensemble des autres interventions. L’heure est désormais au choix pour le Tavini de reconduire les trois députés en place, ou de tenter un changement.
 
Mereana Reid Arbelot n’avait pas été enchantée à l’idée de prendre la succession de Moetai Brotherson après son élection à la présidence du Pays. Le moment pour elle de passer la main et de laisser sa place à quelqu’un de “plus bleu qu’elle”, à moins qu’elle n’ait finalement pris goût aux ors de la République.

L’opposition divisée

Face aux indépendantistes, les autonomistes n’ont toujours pas cicatrisé les plaies du second tour des territoriales en 2023 et celles des législatives 2022. Surtout, c’est un camp autonomiste toujours aussi divisé même si des bribes de rapprochements percent par-ci, par-là : soutien au même candidat, Moerani Frébault, pour le Tapura, le Amuitahira et Ia ora te nunaa aux européennes, mais encore les discussions communes menées entre le Tapura et A here ia Porinetia dans le cadre des travaux parlementaires à l’assemblée de la Polynésie française ou encore dans les recours intentés contre la loi fiscale.
 
Mais difficile d’imaginer qu’en trois semaines, les principales entités autonomistes soient capables de mettre de côté cinq années de rancœurs politiques en présentant une candidature commune.
 
Dans ces conditions, impossible de prédire si les mêmes causes auront les mêmes effets et si la population a digéré le mariage de Tearii Alpha et les polémiques sur la vaccination des élus et de la population.
 
C’est un mois passionnant et dont l’issue est bien incertaine, qui vient de s’ouvrir.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Dimanche 9 Juin 2024 à 17:05 | Lu 8192 fois