​L'obligation vaccinale, oui, mais pas pour les élus


Tahiti, le 16 février 2022 – Au terme d'une séance de la session extraordinaire politiquement haletante mercredi, les élus de la majorité ont rejeté unanimement –à l'exception de l'intéressée– l'amendement de leur collègue Lana Tetuanui destiné à supprimer l'amende pour non-respect de l'obligation vaccinale, mais tout en refusant en fin de séance d'appliquer cette même obligation vaccinale aux élus…
 
Après deux jours d'intenses tractations politiques au sein de la majorité, la première séance de la session extraordinaire s'est ouverte mercredi matin à Tarahoi dans un climat politique tendu pour le Tapura. Les élus étaient principalement réunis pour le troisième passage à l'assemblée de la loi du Pays sur l'obligation vaccinale des personnes à risque, des personnels de santé et des personnes en contact avec du public. Un nouvel examen destiné cette fois-ci à abaisser l'amende administrative pour non-respect de l'obligation vaccinale de 175 000 à 80 000 Fcfp. La proposition avait été faite par le président du Pays, Édouard Fritch, aux partenaires sociaux lors de la dernière grève générale de novembre dernier. Mais elle n'avait pas été incluse dans le protocole d'accord de fin de conflit. “Nos partenaires sociaux ne le voulaient pas”, a tenu à rappeler le président du Pays.
 
Premier à prendre la parole sur le sujet, Édouard Fritch est resté droit dans ses bottes en justifiant le maintien de l'obligation vaccinale par l'évolution inquiétante de la vague Omicron en Polynésie. Évoquant le décès du 7 février dernier, l'hospitalisation d'une adolescente de 14 ans actuellement en réanimation ou encore le doublement du taux d'incidence en une semaine… le président a tout de même annoncé une ouverture dans sa politique d'obligation vaccinale. Si les résultats de l'étude de séroprévalence actuellement menée par l'ILM démontrent que l'immunité collective des personnes vaccinées ou contaminées dépasse les “95%” et si le taux d'incidence “amorce sa baisse”, alors il acceptera de lever l'obligation. “Le plus tôt sera le mieux”, a assuré Édouard Fritch, qui a avancé l'estimation d'un “pic” lors des deux premières semaines de mars.
 
Lana sous-amendée
 
Côté opposition, Nicole Sanquer a défendu son amendement destiné à abroger la loi, rappelant qu'elle n'était “pas contre le vaccin” mais contre “cette loi inefficace, inapplicable et liberticide”. Au Tahoera'a, qui n'a pas encore changé de nom de groupe, Teura Iriti a également affirmé qu'elle était désormais opposée à la loi que les élus orange avaient pourtant votée en août dernier. “À présent la situation sanitaire et vaccinale a évolué de façon positive”, s'est expliquée l'élue, reprenant l'un des arguments les plus déployés par l'opposition et par la représentante et sénatrice de la majorité, Lana Tetuanui. Au Tavini, Éliane Tevahitua, qui avait elle aussi voté la loi en août dernier, a défendu cette fois-ci la “suppression pure et simple de l'amende” qui “ne se justifie plus six mois après le vote de l'obligation vaccinale”. Et dans la majorité, c'est la présidente du groupe et candidate aux législatives, Tepuaraurii Teriitahi, qui s'est montrée la plus active pour soutenir la position exprimée par le président du parti et du Pays.
 
Particulièrement attendue, Lana Tetuanui a ensuite défendu son amendement proposant la suppression de l'amende administrative. Expliquant avoir “observé notre population”“et pas ceux qui gagnent plus de 300 000 Fcfp”– l'élue des Raromata'i a maintenu sa position. Première surprise politique de la journée, Virginie Bruant a alors dégainé un “sous-amendement” pour réduire encore l'amende de 80 000 à 50 000 Fcfp. Intervention immédiatement suivie d'une suspension de séance à la demande du groupe Tapura. Au retour, les cartes ont été abattues. Lana Tetuanui s'est retrouvée isolée. Les 37 autres élus du Tapura ont voté pour le “sous-amendement” sans même vraiment discuter l'amendement Tetuanui. Bronca dans l'opposition. Mais trop tard. Lana Tetuanui a abdiqué. “Je prends acte de la décision de mes collègues de la majorité”, a timidement réagi la sénatrice. “J'aurai eu au moins le mérite de faire savoir les cris de la rue”.
 
Et pour les élus ?
 
Le reste des amendements déposés par l'opposition pour abroger la loi, abaisser l'amende au franc symbolique ou retirer la disposition imposant l'obligation aux “personnes en contact avec du public” ont tous été balayés par la majorité, moins l'abstention de Lana Tetuanui… Et ce jusqu'à la question, bien plus sensible qu'il n'y paraissait, de la vaccination des élus. Le jeune représentant Tahoera'a, James Heaux, avait en effet prévu dans ses quatre amendements une proposition destinée à entériner dans la loi du Pays le principe de la vaccination obligatoire pour les représentants à l'assemblée, les membres du gouvernement et les parlementaires. Réaction immédiate du groupe Tapura : une deuxième suspension de séance a été demandée pour le second conciliabule des élus majoritaires de la journée…
 
À la reprise pourtant, les élus de la majorité ne se sont pas plus exprimés sur le sujet. Et ce sont les opposants à l'obligation vaccinale qui sont au contraire montés au créneau pour soutenir cette position particulière de l'obligation vaccinale des élus. “Au titre de l'exemplarité”, le président du groupe Tavini, Antony Géros, a annoncé que son groupe soutenait la démarche, et a même proposé d'intégrer les tāvana dans cette nouvelle salve de personnes visées par l'obligation vaccinale. Position en revanche plus complexe pour les trois élus A Here ia Porinetia, puisque Nicole Sanquer a annoncé l'abstention des non-inscrits mais en demandant de la cohérence à la majorité. “Il n'y a pas d'amende pour les élus non vaccinés”, a martelé la députée. “C'est mentir à la population que de dire l'inverse”. Mais alors que le vote de l'amendement devait enfin avoir lieu, une troisième suspension de séance a été demandée par le groupe Tapura.
 
Non… mais oui… mais non
 
Le sujet de la vaccination des élus a visiblement grandement agité la majorité, mais ses membres n'ont pas donné pour autant beaucoup d'explications sur leurs éventuels débats internes. Intimés par Antony Géros à exposer leur position avant le vote, aucun des élus de la majorité n'a souhaité s'exprimer. Comme pour l'amendement de Lana Tetuanui, la stratégie politique était arrêtée. Les élus Tapura présents –plusieurs avaient déjà quitté l'hémicycle à l'heure du déjeuner– ont tous voté contre l'obligation vaccinale des élus. Amendement rejeté.
 
L'éclaircissement du groupe Tapura est venu après coup, remportant la palme de l'explication de vote la plus bancale de l'année : “L'amendement est tout à fait justifié”, a entamé la présidente du groupe Tepuaraurii Teriitahi. “Il doit s'appliquer à tous les élus et nous sommes d'accord que dans notre philosophie d'origine, ce texte s'applique à l'ensemble des élus. Le Conseil d'État est venu dire ça différemment. Il nous semble que si l'on veut étendre cette obligation, il faut l'étendre à l'ensemble des élus et à l'ensemble des institutions. Auquel cas, effectivement, à ce moment là, nous pourrons le soutenir. Nous pourrons le proposer à une prochaine séance, lorsqu'on le révisera. Mais de toutes façons, le président s'est engagé à retirer cette obligation à terme. C'est pourquoi nous rejetons cet amendement.” Et le prix de la pirouette politique est attribué à…
 

Gaston Tong Sang, Docteur président et Mister tāvana

Le président de l'assemblée et maire de Bora Bora a visiblement gardé de ses années de présidence du Pays en période d'instabilité politique sont sens inné du grand écart. Non vacciné et ouvertement opposé à la vaccination, le président de l'assemblée s'est encore illustré mercredi en votant sans ciller pour le maintien de l'obligation vaccinale et contre tous les amendements qui auraient pu égratigner cette obligation. Il y a pourtant deux mois à peine, Gaston Tong Sang déclarait une nouvelle fois longuement sur Radio Bora Bora qu'il fallait absolument “arrêter” cette obligation vaccinale, ramassant d'ailleurs à l'époque un retour de bâton assez sec du service de communication de la présidence.
 
Mieux, mercredi matin le président de l'assemblée s'est même évertué à expédier à la hâte, et dès qu'il les estimait “hors contexte”, les commentaires des élus de l'opposition anti-obligation vaccinale pourtant sur la même position que lui… Tancé par Nicole Sanquer ou Antony Géros sur sa propre situation vaccinale, Gaston Tong Sang est resté totalement muet sur son cas personnel. Plus pro-vaccination que les pros-vaccination, on aurait à peine été surpris qu'il vote en faveur de l'application de la loi pour les élus.
 

​Tepuaraurii Teriitahi, présidente du groupe Tapura à l'assemblée : “Retenez que nous sommes exemplaires”

Pourquoi avoir rejeté l'amendement sur l'obligation vaccinale des élus ?

“Pour être précis, cet amendement ne concernait pas tous les élus. Raihere Heaux l'a rédigé en ne visant que trois publics, c'est-à-dire les représentants, les parlementaires et les membres du gouvernement. Et effectivement, comme le président du Tavini l'a souligné, l'idéal aurait été que ce soit étendu à l'ensemble des élus.”
 
Est-ce que ce n'était pas été un bon début ?

“Effectivement, c'est un bon début. Mais comme je l'ai dit depuis le début, en ce qui nous concerne, quand nous avons voté cette loi, nous avons voté en notre âme et conscience en étant conscients et persuadés que cette loi s'appliquait à tous les élus et que nous n'y échapperons pas. Et je l'ai largement répété, l'amende à notre sens s'applique à tous les élus.”
 
Vous auriez pu voter un sous-amendement pour compléter cet amendement comme un peu plus tôt avec celui de Lana Tetuanui ?

“Ça aurait pu faire l'objet d'un sous amendement. Maintenant, on n'exclut pas que ça puisse passer dans une autre séance où on le soumettra. Mais ce n'est pas une idée contre laquelle nous sommes. Nous sommes pour la vaccination des élus. Et nous nous soumettons. (…) Finalement, cet amendement visait deux personnes en particulier, bien sûr Tearii Alpha et Gaston Tong Sang. À côté de ça, on oublie tous les élus qui sont vaccinés. À chaque fois, vous nous questionnez là dessus, mais vous oubliez que sur toute la majorité, il n'y a que ces deux personnes qui ne sont pas vaccinées. Donc, à côté de ça, nous on se dit que nous sommes exemplaires. Retenez que nous sommes exemplaires.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 16 Février 2022 à 20:26 | Lu 7193 fois