​In extremis


Tahiti, le 24 avril 2022 – Réélu président de la République au niveau national mais vainqueur d'une courte tête avec 51,8% des suffrages en Polynésie française, Emmanuel Macron n'a pas permis au Tapura huiraatira de lancer sa campagne pour les législatives et les territoriales dans les meilleures conditions possibles. Dans l'opposition, le front anti-Tapura jubile mais aura du mal à capitaliser sur ses victoires éparses dans 17 des 48 communes polynésiennes. Surtout avec une abstention aussi impitoyablement haute.
 
C'était une victoire difficile à célébrer dimanche pour le Tapura huiraatira d'Édouard Fritch. Réélu avec 58,6% des voix sur l'ensemble du territoire national, Emmanuel Macron ne l'a emporté que d'une courte tête en Polynésie française avec 51,8% des très rares suffrages exprimés : 42 890 voix contre 39 913 pour Marine Le Pen. Outre un nouveau record d'abstention à 57,7%, le parti majoritaire n'a pas réussi à mobiliser ses troupes autour de son candidat. En 2017, le Tapura s'était arrogé une victoire très nette au second tour en soutenant le futur Président de la République : 58,4% des votes mais surtout 52 378 suffrages. Cinq ans plus tard, Édouard Fritch a peiné à impliquer ses cadres et surtout ses fameux tāvana pour remporter plus avantageusement cette élection. Plus inquiétant politiquement, le parti majoritaire s'est fait cueillir avec cet attentisme par la stratégie du front anti-Tapura dans plusieurs de ses propres communes. “On n'a pas suffisamment travaillé sur le terrain”, ne s'y trompait pas Édouard Fritch dimanche matin, reconnaissant une “alerte” pour son parti.
 
Mahina, Hitia'a o te Ra, Bora Bora, Huahine, Papara, Taiarapu Est, Rangiroa… Dans 17 des 48 communes polynésiennes, et surtout dans 8 des 11 communes de Tahiti, c'est la candidate du Rassemblement national qui est arrivée en tête au second tour. Une remontada au goût de “victoire” pour le représentant de Marine Le Pen au fenua, Éric Minardi, qui se disputait dimanche avec Gaston Flosse la revendication de ce coup politique à deux mois des législatives et à un an des territoriales. Rapporté aux trois circonscriptions pour les prochaines élections législatives, ce résultat fait même sortir Marine Le Pen en tête sur deux des trois zones électorales découpées pour la députation (voir encadré). Reste à savoir ce que cette opposition de circonstance au Tapura pourra faire de ce résultat. “C'est dommage qu'on ne puisse pas se regrouper avec d'autres”, concédait dimanche Gaston Flosse. L'autre parasite à cette grille de lecture politique étant une abstention à un niveau a priori beaucoup plus haute que pour les deux futures élections locales, législatives et territoriales.
 
Chacun son explication
 
Victoire en demi-teinte ou vote sanction, chacun des camps politiques avait son analyse et surtout son interprétation des résultats dimanche. Pour Édouard Fritch, c'est la crise Covid de ces deux dernières années et la TVA sociale de ces derniers mois qui ont érodé l'électorat Tapura. “J'ai pris des décisions difficiles. A la fin de l'année dernière, les critiques envers le gouvernement étaient très fortes”, estimait le président du Pays, affirmant qu'il “prenait en compte” et qu'il “assumait” cette responsabilité, mais seulement “en partie”. Dans le coin Le Pen, Gaston Flosse estimait que “cette abstention est un avertissement contre le gouvernement Fritch”, pointant du doigt des “difficultés, chômage, pauvreté” de la population. Éric Minardi, de son côté, se persuadait de l'impact du programme et de la personnalité de sa candidate –pourtant bien en deça de ces résultats au soir du premier tour il y a deux semaines– dans ces résultats. Enfin si Oscar Temaru ne s'est pas exprimé dimanche –il le fera lundi en conférence de presse–, le député Tavini Moetai Brotherson n'oubliait pas de désigner l'abstention “grande gagnante” de cette élection. “Elle exprime un rejet du gouvernement en place et de la majorité au pouvoir. Macron arrive en tête des suffrages exprimés, grâce à une sorte de front républicain qui a encore opéré”, analysait le candidat sur la troisième circonscription aux législatives.
 
Seule certitude dimanche, ces résultats ont lancé une séquence électorale plus complexe à négocier qu'il y a cinq ans pour le Tapura. De quoi aiguiser les appétits électoraux maintenant l'apéritif présidentiel terminé. Pour les entrées, la campagne des législatives sera servie dès cette semaine.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Dimanche 24 Avril 2022 à 18:48 | Lu 1731 fois