​Fritch maintient le cap, un "déni de réalité" pour l'opposition


Tahiti, le 15 septembre 2022 – Pour le dernier discours d'ouverture de session budgétaire de sa mandature, le président du Pays a défendu son bilan et détaillé sa feuille de route avec de nombreuses annonces fleurant à plein nez la campagne de 2023. L'opposition a dénoncé le décalage entre cet exercice “d'autosatisfaction” et la “réalité” des difficultés des Polynésiens.
 
Imperturbable. Trois mois après la déroute des élections législatives et alors que son parti reste en proie à des tensions internes, Édouard Fritch a confirmé qu'il ne changerait pas de cap pour les six derniers mois de son mandat. Dans un nouveau discours fleuve prononcé jeudi matin en ouverture de la session budgétaire à l'assemblée, le président du Pays a détaillé la feuille de route qu'il a tracée pour le Pays jusqu'aux territoriales de 2023. Et bien au-delà.
 
L'occasion, tout d'abord, d'un bilan sur le contexte désormais post-Covid de la Polynésie française, avec une mise en garde immédiate sur la “situation internationale incertaine”, le “modèle à revoir” et les “risques à ne pas sous-estimer”. Dans ce contexte, Édouard Fritch l'a martelé : “notre économie va mieux.” Chiffres de l'IEOM, de l'ISPF ou note de Moody's à l'appui, le président du Pays s'est efforcé de montrer à quel point la Polynésie s'était déjà relevée de la crise Covid. Démonstration implacable de la réussite de l'action de son gouvernement, a assuré le chef de la majorité. Souvent sur la défensive, Édouard Fritch a d'ailleurs multiplié les procès en “populisme” ou en “démagogie” à ses détracteurs politiques, à “ceux qui cherchent à semer la discorde dans notre pays”, ou encore à “celles et ceux qui aiment se complaire dans la critique facile et porter des commérages de bas étage, tant sur les réseaux sociaux que par voie de presse”.
 
Des annonces à foison
 
Mais surtout, le discours d'ouverture de la session budgétaire a été l'occasion pour Édouard Fritch de formuler plusieurs annonces concrètes dans un contexte de pré-campagne d'échéances électorales cruciales. Résumées en sept points par la présidence dans l'après-midi, elles s'articulent principalement autour d'une promesse de gain de pouvoir d'achat et de l'assurance d'investissements structurants à venir.
  Chèque énergie et panier bloqué  
Pour limiter la perte du pouvoir d'achat liée à l'inflation, le président a répété que la hausse à venir des tarifs de l'électricité se ferait progressivement sur trois ans avec la garantie d'un “gel des tarifs de l’électricité de la première tranche de facturation”. Celle qui touche les petits consommateurs. Il a également annoncé la mise en place du “chèque énergie”, à l’instar du dispositif existant en métropole et destiné exclusivement aux plus démunis. Par ailleurs, sur la consommation des ménages, Édouard Fritch a annoncé la mise en place un “panier bloqué contenant une liste de produits de base dont les prix seront “gelés dans les commerces de Polynésie.
  Moni rū’au, allocations et aide alimentaire  
Toujours sur le volet pouvoir d'achat, le président a annoncé également la revalorisation du Moni Rū’au, la revalorisation des allocations familiales “sans distinction du régime d’appartenance et enfin le versement d’une aide alimentaire exceptionnelle de l’État d’un montant de 250 millions de Fcfp destinée aux ménages les plus modestes.
  Baisses de charges et exonérations  
Des “baisses de charges ont également été annoncées ou confirmées avec la baisse des cotisations maladies à la charge des salariés. La défiscalisation et l’exonération des charges fiscales et sociales portant sur les primes que les employeurs versent à leurs salariés, dans le cadre des dispositifs de départ à la retraite et d’intéressement aux résultats ou aux performances de l’entreprise. L’exonération des charges sociales pour la prime de pouvoir d’achat accordée par les employeurs à leurs salariés. Et enfin la stabilisation des taux de fret pour les habitants des archipels.
  Coup de pouce fiscaux sur l'immobilier  
Sur l'accès à la propriété, les dispositifs de défiscalisation locale seront modifiés pour favoriser les opérations immobilières destinées à de l’habitat intermédiaire en faveur des jeunes ménages, primo-accédants, dont le salaire est inférieur à 4 Smig. Les seuils de taux réduits portant sur les droits d’enregistrement afin de baisser d’autant le coût d’acquisition du logement principal seront revus à la hausse pour englober davantage de demandeurs.
  Grands projets  
Au registre des annonces sur les grands investissements économiques du Pays, Édouard Fritch a évoqué la “réouverture des hôtels actuellement fermés”, le lancement de l'appel à candidature pour le Village tahitien, la finalisation du choix de la concession de l'aéroport, la réalisation du pôle de santé privé unique d’Outumaoro à Punaauia, l’inauguration en 2023 du câble Natitua Sud qui reliera Tahiti à Rurutu et à Tubuai, ou encore “la consolidation de notre autonomie énergétique par le développement des énergies renouvelables par les centrales solaires de Tahiti et les centrales hydrides des îles”.
  Les communes pas oubliées  
Le président du Pays a insisté sur l'accompagnement financier des communes avec un FIP en augmentation de 3 milliards de Fcfp l'an prochain pour atteindre 18,5 milliards de Fcfp. Et surtout, il a évoqué l'ouverture de la “réforme de la fiscalité communale pour “permettre que ces acteurs publics de proximité puissent disposer de ressources propres notamment pour ceux qui accueillent des établissements hôteliers.
  Panier garni  
Pêle-mêle enfin, Édouard Fritch a annoncé la mise en place d’une feuille de route État-Pays sur quatre sujets : Investissement, énergie, environnement et solidarité nationale. Il a promis l'uniformisation des taux de TVA à 5% pour les pensions de famille, annoncé l'ouverture d’un débat public sur la légalisation du cannabis thérapeutique et affirmé œuvrer à la sécurisation des approvisionnements de la Polynésie avec les compagnies maritimes internationale pour “limiter l’impact de l’augmentation des taux de fret”.
 

​La leçon de Tong Sang contre l'instabilité

C'est l'usage, le président de l'assemblée, Gaston Tong Sang, a ouvert la session budgétaire par un discours solennel. Il a évoqué le “caractère particulier” de ce dernier “cycle législatif” d'une mandature “qui aura bousculé les esprits et les hommes tant elle aura été surprenante et éprouvante”. L'occasion de saluer un redémarrage économique amorcé “grâce aux mesures courageuses et ambitieuses du gouvernement”, non sans rendre un hommage appuyé à l'État pour son soutien pendant la crise. Un “accompagnement bienveillant” de Paris “que certains esprits chagrins réduisent de manière éhontée à de la mendicité”, a tancé Gaston Tong Sang, évoquant l'importance de la “force protectrice” de la France dans le contexte géopolitique actuel.
 
Outre un bilan de son action à la tête de l'institution, le président de l'assemblée a insisté sur sa “satisfaction” que la mandature actuelle ait permis une meilleure “ouverture” politique à l'opposition. Mais ceci pour s'attarder ensuite sur ses “regrets” tournant en réalité autour d'un seul et même message politique : “Je regrette profondément la légèreté avec laquelle certains d’entre nous traitent la sacralité du mandat que nous ont confié les électeurs.” Au lendemain du départ de trois élus de la majorité, Gaston Tong Sang a redit de son président qu'il était “l'homme de la situation” et souhaité mettre en garde contre “les tourments de l'irresponsabilité politique”. L'élu de la majorité fustigeant ”l'instabilité” qui a été “au cours des années passées, la crise la plus scélérate, la plus accablante et la plus dommageable pour l'équilibre de notre pays”. Gaston Tong Sang n'a pas lésiné sur la leçon de morale politique : “J’ai foi en nos électeurs et regrette profondément que leurs suffrages se retrouvent tristement piétinés et souillés par le nomadisme politique pré-électoral, par les alliances secrètes et improbables, les transfuges contre nature, les consignes de vote déconcertantes, la fragilité ou l’immaturité des convictions.” L'ancien président du Pays ayant visiblement oublié, le temps d'un discours, avoir lui-même noué quelques alliances très opportunes lors de ces fameuses années de crise politique “scélérate”, “accablante” et “dommageable pour l'équilibre de notre pays”
 

Tepuaraurii Teriitahi, présidente du groupe Tapura : “La gestion, tellement critiquée, porte ses fruits”

“La majorité est satisfaite évidemment de ce que le président annonce, parce qu'on voit bien à travers ces annonces qu'on tient compte des demandes de la population. Des demandes exprimées lors des dernières élections, mais aussi des demandes exprimées au quotidien. Donc, on a un grand volet sur la cherté de la vie et des mesures concrètes pour lutter contre la hausse des prix, pour contenir les prix au maximum et aider à retrouver du pouvoir d'achat. On a également un volet tourné vers l'avenir, puisque les décisions que nous prenons aujourd'hui seront déterminantes pour notre avenir. Enfin, ce qui était important pour nous, c'était de montrer que toute la gestion qui a tellement été critiquée porte ses fruits. Aujourd'hui, vous voyez bien les chiffres avec la hausse des recettes annoncée par le président de l'ordre de 7 à 8%. Ces recettes qui ne serviront pas à financer le gouvernement, mais à être redistribuées justement pour pouvoir principalement aider les plus démunis. Et pas que. Nous avons aussi un large volet pour les classes intermédiaires, ces jeunes ménages qui ont les moyens et qui malgré tout ont du mal. Ils seront également aidés.”
 

​Nicole Sanquer, présidente du groupe A Here ia Porinetia : “Le Tapura reste dans un déni de réalité”

“C'est vrai qu'on a eu beaucoup d'annonces. On commence à en avoir l'habitude. Mais est-ce qu'elles vont être appliquées ? On ne sait pas. Nous nous attendions à une prise de conscience que l'année 2023 sera compliquée pour les Polynésiens, en terme budgétaire et financier. Malheureusement, nous n'avons pas trop entendu d'annonces en termes de réduction des dépenses publiques. Mais plutôt encore des redistributions. C'est un peu Noël avant l'heure pour essayer de séduire la population avant les prochaines échéances électorales. Maintenant, ils ne se cachent plus. Il y a des distributions pratiquement tous les jours. Et ça va continuer vues les annonces du président. Par contre, ce que je déplore encore une fois, c'est qu'on pensait voir une prise de conscience du Tapura avec les voix qui s'élèvent de l'intérieur. Malheureusement, ce matin on a encore entendu de la part de Gaston Tong Sang et d'Édouard Fritch une accusation de l'opposition 'démagogique' ou 'populiste'. On nous traite même de menteur et on voit que le Tapura reste dans ce déni de réalité de la situation des Polynésiens.”
 

​Antony Géros, président du groupe Tavini à l'assemblée : “On ferme les yeux sur la fracture sociale”

“C'est un discours de fin de mandat qui sonne quand même, avec la petite pathologie dont souffre actuellement la majorité, comme le chant du cygne. Avec la liste de plaidoyer (sic) qu'il nous a présenté et sa manière de dire qu'il reste encore beaucoup à faire, mais que ce qui reste à faire ne pourra pas être fait sans qu'il revienne aux affaires du Pays. (…) On est à peu près sourd à la situation dans laquelle on se trouve. On parle de tout, sauf du problème qui mine actuellement la majorité. Vous êtes un peu capitaine d'un bateau qui coule, dont on voit les passagers sauter à l'eau, mais vous continuez à dire que le bateau tient l'eau. (…) Sur les recettes fiscales, on s'y attendait. Tout gouvernement qui augmente les taxes va avoir comme résultat un volume de recettes supplémentaires, mais à côté de ça on ferme les yeux sur la détresse humaine. On ferme les yeux sur la fracture sociale. On ferme les yeux sur tous ceux qui viennent devant le portail de l'assemblée dire aux élus de faire autre chose. (…) (Les accusations de démagogie et de populisme) s'adressent à ceux qui font de la politique, mais ceux dont je parle ne font pas de politique. C'est la détresse humaine. Ceux qui descende dans la rue et qui viennent frapper aux portes de l'assemblée. C'est eux qui sont le baromètre de la situation.”
 

​Patrick Galenon, secrétaire général de la CSTP-FO : “La population n'entend pas que tout marche bien”

“On a entendu beaucoup d'autosatisfaction. Lorsque vous entendez un tel discours, oui il y a beaucoup de choses bien. Mais lorsque vous l'opposez à la vie que rencontrent beaucoup de gens et notamment les salariés et les retraités, la vie est très difficile. La population n'entend pas que tout marche bien. Le salaire moyen est de 230 000 Fcfp. Vous allez sur les réseaux sociaux, vous allez partout… Vous vous rendrez compte que pour vivre en Polynésie, il faut un peu plus que ça. Alors vous imaginez bien que les smigards sont en grande difficultés. Les salariés moyens, considérés comme dans la moyenne auparavant, sont aujourd'hui dans la pauvreté. Il y a un décalage entre le développement des entreprises et la vie de la société.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 15 Septembre 2022 à 21:46 | Lu 2261 fois