​Déchets : le grand surplace


Tahiti, le 20 octobre 2021 - Dans son rapport sur la gestion du Pays en matière d’eau, d’assainissement et de déchets entre 2015 et 2020, la Chambre territoriale des comptes (CTC) réalise un tour d’horizon des actions ou inactions dans ces matières. L’examen, plus approfondi sur la problématique des déchets, met en lumière une absence de formalisation d’une politique stratégique, des trous normatifs non bouchés, ou encore de nombreuses actions incohérentes ou au point mort… Florilège.
 
Finalement, le choix de l’animal a peut-être été fait à dessein. Cette tortue et son petit balai, symbole de la collecte et du traitement des déchets en Polynésie depuis plus de deux décennies, semble vouloir symboliser la lenteur des actions et la faible mobilité du Pays dans ce domaine qui relève aussi pour partie de la compétence des communes.
Le dernier rapport d’observations définitives de la CTC sur “la gestion de la collectivité de la Polynésie française au titre des politiques en matière d’eau, d’assainissement et de déchets” depuis 2015 fait en effet état d’une navigation à vue, sans stratégie validée, qui n’est pas sans impact sur le faible avancement des actions au regard des enjeux.
 
La politique qui se fait attendre
 
Niveau stratégie, c’est toujours le néant. Le Code de l’environnement prévoit en effet qu’un “schéma territorial de prévention et de gestion des déchets” doit être validé. Ce schéma, arrêté par le Conseil des ministres, doit servir de guide. Il a en effet pour objet “de définir des objectifs, orientations et actions de prévention et de gestion des déchets pour l'ensemble des archipels de la Polynésie française”. Un acte fondamental qui doit donc orienter l’action publique et qui se fait longuement attendre. Un projet est finalisé en 2014. Sa validation est présentée comme une priorité en 2016. Reprise en 2019, son élaboration “n’a cependant pas encore abouti”. Une carence qui n’incite pas les communes à élaborer leurs plans municipaux de gestion des déchets, plans devant être en cohérence avec ce schéma. Si de nombreuses et coûteuses études ont bien été réalisées entre 2015 et 2019, “ce temps de réflexion doit désormais entrer en phase opérationnelle” selon la CTC. L’absence de schéma directeur pénalise en quelque sorte le syndicat mixte Fenua Ma qui navigue à vue et explique également des cafouillages et patinages sur certains sujets.
 
Une réglementation à la traîne
 
Le traitement des déchets dans les iles éloignées pose par exemple problème. Difficile d’y construire des infrastructures d’enfouissement à un coût supportable pour les communes. D’où l’idée de mettre en place des centres d’enfouissement technique simplifiés (CETS) destinés à remplacer les décharges actuellement en service. Le code de l’environnement est modifié en 2018 pour rendre cela possible à titre expérimental pour une durée de cinq ans. Un arrêté de février 2020 désigne Tatakoto et Manihi comme sites pilotes. Mais les deux communes ne semblent pas pressées de jouer les bêta-testeurs. A Manihi, le maire a indiqué “se rapprocher du Pays pour évoquer son éventuel retrait en tant que site pilote pour la réalisation d’un CET simplifié en raison notamment du risque de pollution”. A Tatakoto, on avance “l’absence de moyens” au niveau du traitement. En l’absence de membrane de protection dans les CETS, un tri insuffisant des déchets conduirait à “un risque de pollution accru”. Des projets pas encore mis à la poubelle, mais presque.
 
Plus problématique, la non-mise en application de la Responsabilité élargie des producteurs (REP). La REP correspond au principe pollueur/payeur dans le domaine des déchets. Elle vise à obliger les producteurs, les importateurs, ou les distributeurs de produits qui concourent à la création de déchets à participer à la gestion de ces déchets et à leur traitement. Si le principe est déjà inscrit dans le Code de l’environnement, sa mise en pratique est au point mort. Un projet de loi est dans les tuyaux depuis 2017 mais il était conditionné à une baisse de la Taxe pour l’Environnement, l’agriculture et la pêche (TEAP). Cette taxe s’applique aux importations et est censée couvrir le coût du traitement des produits importés. Les importateurs voient rouge et double : Il ne veulent pas payer et la taxe, et une cotisation à un éco-organisme. Un constat fait dès février 2013 et qui n’a pas encore permis de trouver une solution. Si des “discussions interministérielles” et des “travaux” ont eu lieu, “ce projet de REP n'a actuellement pas abouti” et il s’agit pour l’instant plus d’une responsabilité dégagée des producteurs.
 
La cohérence en inaction
 
Le Contrat de projets 2015-2020, signé entre l’Etat et le Pays, a permis le financement de dix opérations relatives à la problématique des déchets pour un montant de 1,2 milliard de francs. Cependant, “ces financements ne répondent que partiellement aux enjeux” intéressant les compétences communales selon la CTC. Ainsi, pour transporter et traiter leurs déchets recyclables vers Tahiti, les îles éloignées ne sont pas aidées par le Pays. Si les communes veulent rapatrier ces déchets vers Motu Uta, elles doivent supporter des tarifs de Fenua Ma presque sept fois plus élevés en tant que non membres de ce syndicat. “Un frein à l’envoi” selon la CTC qui recommande au Pays de réfléchir à mettre en place une aide financière pour augmenter les volumes rapatriés, jusqu’ici ridicules. Cette absence de financement est même jugée “paradoxale”. “Alors que le Pays subventionne l’importation dans les îles, notamment par la prise en charge du fret de certains produits, il serait donc logique que le Pays finance en partie, leur rapatriement à Tahiti”. Bref, il finance en quelque sorte la pollution des îles mais pas leur dépollution.
 
Sur Tahiti et Moorea, il s’agit d’anticiper depuis plusieurs années la fin d’exploitation du CET de Paihoro, prévue entre 2032 et 2035. Des scénarios envisageant des nouveaux modes de traitement sont étudiés sous toutes les coutures. Le but est alors de mieux valoriser, par le compost par exemple, et de moins enfouir, avec l’incinération ou la gazéification. Or, la Chambre relève “qu’en dépit de ces nombreuses études portant sur le mode de traitement des déchets, c’est le statu quo qui a prévalu au cours de la période 2015/2020”. Les volumes apportés à Paihoro n’ont clairement pas baissé et, selon la juridiction,  ce “statu quo” n’est “pas cohérent avec l’objectif du contrat de projets d’anticiper l’évolution du CET”. Un surplace qui concerne également la construction de déchetteries et la réhabilitation des décharges.
 
Déchetteries et réhabilitation des décharges au point mort
 
Dès 2016, la mise en place d’un réseau de déchetteries et de mini-déchetteries sur Tahiti et Moorea est envisagée. Mais le syndicat Fenua Ma, dans lequel sont présents les maires des communes des îles du Vent sauf Faa’a, “n’a ni validé ni rejeté la création de ce réseau”. L’étude de faisabilité montrait pourtant “la rentabilité élevée de l’investissement” avec un gain de 300 millions de Fcfp par an. Il entraînerait en effet la suppression de la collecte des déchets verts et des encombrants en porte-à-porte. Une solution pratique et financièrement avantageuse qui a laissé insensible les tāvana.

La plupart de ces derniers continuent par contre à alimenter un ou plusieurs dépotoirs, pas vraiment aux normes environnementales, dont il assurent parfois la gestion. Un recensement en 2016 a permis d’identifier 257 sites sur Tahiti et Moorea. Ces dépôts sauvages ou décharges privées ou communales nécessitent d’être résorbés et donc une forte mobilisation des pouvoirs publics sur les sites prioritaires. Le rapport de la CTC ne témoigne pas d’une très forte réactivité en la matière. “Les actions réalisées suite à cet état des lieux ont été les suivantes. Des réunions se sont tenues avec l’ADEME et les communes de Papara et Faaa pour élaborer la feuille de route de fermeture/réhabilitation de leurs décharges respectives. Suite à ces réunions, il n’y a pas eu de feuille de route globale établissant des priorités de réhabilitation de décharges”. Selon la juridiction, “le frein principal est la crainte, de la part des communes, de charges de réhabilitations délicates à financer sans le soutien du Pays et de l’Etat”. Le coût pourrait en effet atteindre 20 milliards de Fcfp pour réhabiliter les cinq décharges les plus dangereuses. Et si le nouveau Contrat de développement et de transformation 2021-2023 entre l’Etat et le Pays prévoit explicitement un accompagnement financier pour la réhabilitation des décharges communales, cela ne pourra se faire que sur “des décharges dont la commune maîtrise le foncier”. Une clause qui exclut de fait Faa’a, la commune n’étant pas propriétaire du terrain concerné à Saint-Hilaire. Dans le domaine des déchets, il n’y a pas que le tri qui est sélectif, il y a aussi les subventions.

 

Rédigé par Sébastien Petit le Jeudi 21 Octobre 2021 à 16:22 | Lu 8609 fois