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​Crash d’Air Moorea : les prévenus demandent le dépaysement du dossier


Maîtres Quinquis, Mestres, Jourdaine et Fromaigeat ont confirmé mardi qu'ils envisageaient saisir la cour de cassation d'une demande de dépaysement du procès en appel dans le dossier du crash d'Air Moorea.
Maîtres Quinquis, Mestres, Jourdaine et Fromaigeat ont confirmé mardi qu'ils envisageaient saisir la cour de cassation d'une demande de dépaysement du procès en appel dans le dossier du crash d'Air Moorea.
PAPEETE, 22 janvier 2019 - Sept des huit prévenus dans le procès du crash d’Air Moorea annoncent vouloir saisir la cour de cassation d’une demande de dépaysement du procès en appel en raison d’une "suspicion légitime des juridictions de Papeete". Une demande que les plaignants voient comme une nouvelle procédure dilatoire, onze ans après les faits.
 
Le procès en appel de sept des huit prévenus pourrait avoir lieu du 11 au 24 juin prochain à Papeete. A moins qu’il ne soit dépaysé, comme le demandent les avocats de la défense.

Le tribunal correctionnel a rendu ce mardi son jugement après deux mois et demi de délibération, dans le dossier du crash d’Air Moorea. Cet accident aérien avait coûté la vie à vingt personnes, le 9 août 2007 et profondément choqué l'opinion locale. La thèse retenue par la justice est celle d'une rupture du câble de gouverne arrière du Twin Otter, à l'origine de l'accident. Cette défaillance matérielle étant elle-même la conséquence d'un processus de maintenance défectueux de l’avion. Défaillance imputable aux responsables en charge des services techniques et administratif de la compagnie, à l'époque.

Hormis Guy Yeung, relaxé en raison de l'absence de "faute caractérisée", six prévenus, anciens cadres d'Air Moorea, sont donc reconnus coupables d’homicide involontaire et condamnés à des peines comprises entre 24 mois avec sursis et 18 mois ferme (voir encadré). Cinq d’entre eux sont en outre condamnés à l’interdiction définitive d'exercer une activité d'encadrement ou de contrôle au sein d'une compagnie aérienne dans les domaines de la navigabilité ou de la maintenance aéronautique.

>> Lire aussi : Crash d'Air Moorea : les prévenus reconnus coupables d'homicides involontaires

La compagnie Air Moorea, personne morale également prévenue dans ce dossier, écope d'une amende de 25 millions de francs. Bien que sans activité depuis le crash de 2007, la société est maintenue en attendant l'issue définitive de la procédure judiciaire.

Dépaysement du procès en appel

Les avocats de la défense ont tenu une conférence de presse, mardi, pour annoncer qu’ils interjetaient appel de ce jugement, "grosso modo conforme à ce à quoi nous nous attendions et de surcroît conforme aux réquisitions du parquet", a souligné Me Quinquis, avocat de Freddy Chanseau, le directeur général d’Air Moorea à l’époque du crash et aujourd’hui directeur des escales internationales à Air Tahiti. "Il me semble évident que les premiers juges, en correctionnelle, n’ont pas pris forcément l’exacte mesure du dossier."

Si dans le camp de la défense on s'accorde pour contester le "décalage entre la teneur des débats", lors de l'instruction à l'audience en octobre dernier, et la thèse retenue aujourd'hui par la justice, l’ancien bâtonnier du barreau de Papeete soulève un "problème de droit" lié à "l’étendue de la saisine du tribunal" par l’ordonnance de renvoi : "Le juge d’instruction avait pris soin de bien indiquer les faits pour lesquels untel et untel devait être renvoyé. Le tribunal s’affranchit totalement de la liste ainsi indiquée par le juge d’instruction et j’estime que ce faisant, il excède sa saisine. Ce sera le point juridique que nous approfondirons en temps utile." Ce moyen sera sans doute défendu en appel.

Mais ce procès pourrait ne pas avoir lieu à Papeete. Les six prévenus reconnus coupables d’homicide involontaire dans ce dossier annoncent vouloir saisir la cour de cassation d’une demande de dépaysement du dossier. Le dépôt d'au moins une requête aux fins de suspicion légitime des juridictions de Papeete est envisagé : "il m’apparaît, déclare Me Quinquis, qu’une affaire de cette nature ne peut pas être jugée sereinement, dans un territoire aussi petit où l’émotion, à la suite du crash, est restée importante, ce qui peut se concevoir parfaitement ; la proximité des juges avec l’opinion, dans un dossier de cette nature, m’apparaît être contraire à la nécessaire sérénité des débats."  

Au surplus, selon lui, cette sérénité est "battue en brèche" par des rivalités locales au sein de l’appareil judiciaire : "si vous avez lu l’ordonnance de renvoi, vous verrez qu’il y a des inimitiés qui se font jour, entre parquet et l’instruction. Lorsque l’inimitié est aussi importante dans un dossier de cette nature, on peut douter de l’impartialité."

Et, pour compléter les moyens que la défense entend faire valoir dans sa demande de dépaysement, "j’ajoute, précise François Quinquis, que ce qui me choque profondément dans ce dossier, c’est la présence des croix, que vous pouvez voir (…) à l’entrée du palais de justice. (…) Les magistrats n’ont pas demandé le retrait de ces croix : pendant toute la durée du délibéré, ces croix étaient là pour rappeler aux juges « Faites bien votre travail dans le sens que l’on veut ». J’estime là que c’est tout à fait anormal : c’est la raison pour laquelle, là encore, le manque de sérénité m’apparaît avec la force de l’évidence."

Pour Nikolaz Fourreau, le président de l'association 987 des familles des victimes du crash d'Air Moorea, tous ces arguments peinent à donner une parure digne à ce qu'il voit comme un nouveau procédé dilatoire pour retarder l'issue d'une procédure judiciaire ouverte depuis onze ans : "Personne ne prend ses responsabilités dans cette histoire".

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 22 Janvier 2019 à 11:51 | Lu 4524 fois