​Air Moorea : le dénouement approche


Manate Vivish, Freddy Chanseau et Andramamonjisoa Ratzimbasafy au palais de justice le 30 juin 2022.
Tahiti, le 30 juin 2022 – Quatre mois après la cassation partielle prononcée dans l'affaire du crash d'Air Moorea, le procès en appel de cinq des huit prévenus s'est tenu jeudi matin. Après avoir déploré des “défaillances conjuguées dans un processus de faillite collective”, le procureur général a requis la confirmation des peines de prison ferme déjà prononcées en appel. La cour rendra sa décision le 1erseptembre. 
 
Quinze ans après le crash d'un Twin Otter de la compagnie Air Moorea avec vingt personnes à son bord et au terme de dix ans d'instruction, de deux procès et d'une cassation partielle, l'affaire du crash d'Air Moorea va-t-elle connaître son point final ? Le procès en appel de cinq des huit prévenus - l'ancien directeur général de la compagnie, Freddy Chanseau, l'ancien directeur du GSAC en Polynésie, Andramamonjisoa Ratzimbasafy, l'ex-directeur technique d’Air Moorea, Jacques Gobin, l'ancien responsable de l'entretien de la flotte, Stéphane Loisel, et la compagnie en tant que personne morale, représentée par Manate Vivish - s'est ouvert jeudi devant la cour d'appel de Papeete. . En première instance puis en appel, ces cinq prévenus avaient été reconnus coupable du chef d'homicide involontaire et condamnés à des peines de prison doublées de fortes amendes. Ils avaient alors décidé de former un pourvoi devant la cour de cassation. La haute juridiction a prononcé, le 22 février dernier, une cassation partielle portant uniquement sur la nature des peines qui n'étaient, selon elle, pas assez motivées. 
 
C'est donc uniquement pour fixer ce quantum de peines que la cour d'appel s'est réunie jeudi matin en l'absence de Stéphane Loisel et de Jacques Gobin qui étaient néanmoins représentés par leurs avocats respectifs. Cette nouvelle audience ne portant que sur les peines, la présidente de l'audience a très brièvement rappelé les faits avant de donner la parole aux trois prévenus présents. Longtemps critiqué pour sa “froideur” lors des procès en première instance puis en appel, l'actuel directeur des escales au sein d'Air Tahiti et ancien directeur d'Air Moorea, Freddy Chanseau, a mis cette froideur si décriée sur le compte de sa “pudeur” “Cette tragédie m'a profondément impacté. Lorsque vous êtes directeur d'une compagnie, les priorités sont la sécurité et la réglementation. Or, force est de constater que nous n'avons pas mis les barrières sécuritaires pour éviter le crash.” Également “très affecté” et en proie à des “cauchemars” et des “palpitations”,Andramamonjisoa Ratzimbasafy a lui aussi expliqué à la barre que cet événement l'avait “mentalement fragilisé”.
 
“Dysfonctionnements récurrents”
 
Des “déclarations tardives” pour le procureur général qui a sévèrement taclé lors de ses réquisitions “les fautes caractérisées reprochées aux prévenus” qui ont fait preuve d'une “désinvolture généralisée” et se sont rendus coupables de “dysfonctionnements récurrents de nature à mettre en jeu la sécurité des passagers”.Concernant Freddy Chanseau, le représentant du ministère public a affirmé que l'intéressé, malgré ses compétences avérées, avait “sérieusement négligé la sécurité, pourtant primordiale dans ce type d'activités”.Quant à Jacques Gobin, qui exercait les “plus hautes fonctions techniques au sein de la compagnie”, il a, pour le représentant du ministère public, fait preuve d'un “manque de rigueur” et d'un “engagement professionnel limité”. A propos de Stéphane Loisel, le procureur général a soutenu qu'il avait “exercé ses fonctions en se bornant à copier le programme constructeur sans l'analyser ni même le comprendre”. Enfin, concernant l'ancien directeur du GSAC en Polynésie, Andramamonjisoa Ratzimbasafy, le magistrat a estimé qu'il n'avait pas “procédé à toutes les inspections utiles pour s'assurer de l'application de la réglementation”. Sentant probablement poindre la fin de l'épopée judiciaire de cette affaire, le procureur général a conclu ses réquisitions en dénonçant des “défaillances conjuguées dans un processus de faillite collective qui doivent être fermement sanctionnées”. Il a requis la confirmation des peines de prison ferme de 12 à 18 mois prononcées par la cour d'appel en janvier 2020 ainsi que les interdictions professionnelles.
 
La culpabilité des prévenus étant définitive, les avocats de la défense se sont attachés lors de leurs plaidoiries, à dénoncer la sévérité des peines de prison ferme prononcées à l'encontre de leurs clients. MeFrançois Mestre a ainsi soutenu qu'il y avait une “vérité judiciaire” mais pas de “vérité technique” dans ce dossier. Me Gilles Jourdainne a affirmé qu'il était reproché aux mis en cause d'avoir été dans le “déni” alors qu'ils étaient concentrés sur un “système de défense basé sur l'analyse technique”. Enfin, Me Vallet a rappelé à la cour que la défense avait demandé – en vain – le dépaysement du dossier car le “contexte local” n'était pas propice à un jugement serein. Après avoir pris bonne note de ces observations, la cour d'appel a sa décision pour le 1er septembre prochain. 

​Historique

9 août 2007 : Un Twin Otter de la compagnie Air Moorea s'écrase quelques minutes après avoir décollé de l'aéroport de Temae avec vingt personnes à son bord. Ouverture d'une enquête préliminaire puis d'une information judiciaire pour homicides involontaires. 
 
Décembre 2008 : Rapport d'analyse du BEA sur les causes de l'accident imputables à la rupture du câble à cabrer de la commande de profondeur. 
 
Avril 2009 : Mises en examen des directeur général, directeur technique, responsable de production et du responsable du bureau d'études et de documentation d'Air Moorea ainsi que du directeur du Service d'État de l'aviation civile.
 
Août 2013 : Clôture de l'instruction.
 
2013 à 2017 : Demandes d'expertises et recours contre les mises en examen auprès de la chambre de l'instruction et de la Cour de cassation.
 
Avril 2015 : Premier procès sur les intérêts civils.
 
Mars 2017 : Le juge d'instruction en charge de l'information judiciaire ordonne le renvoi en correctionnelle de six prévenus mais prononce un non-lieu pour Andramamonjisoa Ratzimbasafy et l'ancien directeur de l'aviation civile, Guy Yeung. 
 
Juillet 2017 : La chambre de l'instruction ordonne le renvoi de Guy Yeung et de Andramamonjisoa Ratzimbasafy devant le tribunal correctionnel. 
 
Septembre 2018 : Procès en appel sur les intérêts civils.
 
Janvier 2019 : Procès en première instance, sept des huit prévenus sont reconnus coupables du chef d'homicide involontaire. Guy Yeung est relaxé. 
 
Novembre 2019 : Début du procès en appel. 
 
Janvier 2020 : La cour condamne quatre prévenus à 12 à 18 mois de prison ferme et la compagnie à 25 millions de Fcfp d'amende. Elle relaxe l'ex-responsable de production de la compagnie ainsi que l'ex-contrôleur de production et confirme la relaxe de Guy Yeung. Les prévenus condamnés forment un pourvoi en cassation. 
 
22 février 2022 : La Cour de cassation annule partiellement l'arrêt de la cour d'appel sur le quantum des peines au motif que ces dernières n'ont pas été assez motivées. 
 
30 juin : Nouveau procès en appel sur les peines. Décision le 1er septembre prochain. 
 
 

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 30 Juin 2022 à 19:45 | Lu 3471 fois