​A Rurutu, la crise relance l'agriculture


Rurutu, le 23 juin 2020 - La crise sanitaire a eu divers effets en Polynésie, mais pas tous négatifs. A Rurutu, la population a su s’appuyer sur les produits agricoles de base pour subvenir à ses besoins alimentaires pendant et depuis le confinement. Un retour aux sources qui pourrait même constituer la piste d'une relance économique durable pour l'île des Australes.
 
En attendant la reprise des activités, et suite au confinement strict appliqué à Rurutu aussi bien qu'aux autres îles de Polynésie française, de nombreux habitants de l'île des Australes se sont (re)mis, comme leurs aïeux, à labourer les champs de taro. Et ceci, aussi bien pour nourrir leurs familles que pour l’export vers les autres îles de la Polynésie. Un travail physique, dur, qui porte ses fruits à ceux qui s'en donnent la peine, car la filière ne demande qu'à se développer. A Tahiti, la demande des grandes surfaces et des particuliers reste forte. Et les nombreuses taraudières de Rurutu, centrées sur l'exportation, ne suffisent pas à satisfaire la demande. Pourtant, une grande partie des terres reste à l'abandon.
 
En 2019, plus de 60 tonnes de taro ont été exportées vers Tahiti par une poignée d’agriculteurs. Un chiffre déjà en augmentation, selon Cyril Teinauri, agent de la direction de l'agriculture à Rurutu, chargé de surveiller les exportations agricoles. Mais ces exports ne représentent pourtant qu’un tiers de la production actuelle, largement écoulée en troc et en autoconsommation. "Le plus grand problème est de satisfaire la demande, de trouver assez de taro et des personnes qui peuvent te fournir régulièrement", constate Meta Teuruarii, seul producteur de taro congelé labellisé bio à Rurutu. Il explique et regrette que les jeunes attendent aujourd'hui des retombées financières immédiates, alors que la rentabilité de la culture du taro ne peut se faire qu'après plusieurs mois, le temps de la maturité. Pour assurer sa production, Meta Teuruariia donc dû faire appel à un CAE, une mesure qui l'aide à court terme et donne un revenu à l'employé, mais qui n’aide pas forcement à former les futurs agriculteurs.
 

​Timide regain du café

 
Le fameux café des australes, une variété d’arabica doux et savoureux, a également reçu un coup de pouce inattendu à cause de la pandémie. Ferdinand Rangimakea, exportateur de produits agricoles sur Tahiti, avoue "qu'avec le confinement" il s'est "penché sur la récolte du café, en attendant le retour du bateau et des vols commerciaux pour pouvoir exporter du taro et des citrons". A la coopérative de café de l’île, le changement est notable. Alors que l’année dernière, elle n'avait quasiment pas reçu de café. Depuis le début de cette année, deux tonnes de graines vertes ont déjà été récoltées et d'autres volumes devraient être envoyées depuis Rimatara.
 
Selon Célestine Flores, une des responsables de la coopérative, ce regain d'intérêt a permis à certaines familles démunies de trouver une nouvelle source de revenus et donc de mieux s’en sortir pendant la crise. Le constat est encourageant, car ces dernières décennies la production de café vert à Rurutu, comme ailleurs aux Australes, n’évoluait que dans le mauvais sens. Si Rurutu compte plus de 60 hectares de caféiers matures, qui n’attendent qu’un peu d’entretien avant la cueillette, moins de 8 hectares seulement sont actuellement exploités, selon Jacques Delbos, un autre producteur de café torréfié en activité depuis 2003.
 
La "facilité" des CAE
 
Pour Jacques Delbos, la variation de la production est plus liée aux prix des grains achetés, ainsi qu'au nombre de personnes qui bénéficient des mesures d’aides à l’emploi du Sefi. "En 2012, quand le nombre de Sépia (anciens emplois aidés, NDLR) attribué aux communes était limité, j’ai produit 6 tonnes de café sec, du jamais vu auparavant, ni depuis !". Aujourd’hui encore, les nombreuses conventions de CAE attribuées à la commune (une quarantaine en activité actuellement) freinent paradoxalement la création d’entreprises et le développement de projets économiques durables. Car les stagiaires n’accèdent que très rarement à l’embauche. Les porteurs de projets agricoles, y compris certains exploitants des champs de café se plaignent souvent du refus de leurs demandes d’aide à l’emploi, alors que la commune s'en octroie beaucoup.
 
Toujours selon Jacques Delbos, le prix du kilo de café vert n’attire pas l’attention des nombreux chercheurs d’emploi. Ils préfèrent la facilité d’un CAE. Pourtant le marché a déjà été porteur. Dans les années 60, la production de café aux Australes excédait 100 tonnes par an. Aujourd’hui la production moyenne ne dépasse les 3 à 4 tonnes. Comme le taro, cette quantité est très insuffisante pour répondre à la forte demande du marché à Tahiti. Sans parler d'ouverture vers le marché international. Ce café de qualité est prometteur, reste à lui redonner ses lettres de noblesse au prix d'une politique de développement et d'autosuffisance. La balance commerciale est là pour rappeler tout le travail qui reste à fournir. En 2017, nous importions pour 43 milliards de denrées agricoles pour seulement 6.7 milliards d'exportation.
 

Manque de structures

Le potentiel agricole de l’ile de Rurutu est énorme, avec ses produits vivriers comme le tarua, le manioc et les patates douces qui apprécient le climat frais des Australes, tout comme le café et la vanille, en abandon quasi-total depuis des années. Pour Ferdinand Rangimakea, qui rêve de créer sa propre coopérative, c’est l’organisation des structures de distribution qui fait défaut. Il a donc son propre réseau de distribution sur Tahiti pour écouler sa production aux grandes surfaces et aux particuliers. "Entre les litchis, le café, le taro et les agrumes c’est rentable, mais je cherche à m’associer avec d’autres producteurs de confiance". Pour lui les projets du passé étaient mal gérés et surtout le partage  des bénéfices avec les producteurs n'était pas équitable.


Rédigé par Elin Claridge le Mercredi 24 Juin 2020 à 09:16 | Lu 2840 fois