​À Rikitea et Tureia, des “cicatrices” qui ont du mal à se refermer


Rikitea et Tureia, les 13 et 14 octobre 2022 – Le haut-commissaire Éric Spitz s’est rendu jeudi et vendredi dernier à Rikitea puis à Tureia. L’ont accompagné lors de ces déplacements, le chargé de mission auprès du Premier ministre sur les conséquences des essais nucléaires, Michel Marquer, ou encore la médecin chef au département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires de la direction générale de l’armement, Marie-Pascale Petit. À Mangareva, le tāvana a demandé à l’État “d’indemniser” son archipel et la maire de Tureia “d’apporter une aide spéciale à Tureia qui a donné des vies pour que la France détienne cette arme dissuasive”. Les deux élus considèrent n'avoir finalement que les “miettes” de ce qui a pu être apporté à la Polynésie, et que cela ne suffit pas à développer au mieux leur archipel ou atoll. “À la fin, on se retrouve avec le peu qu’on nous donne.” Des demandes soutenues par leurs populations qui ne comprennent pas, par exemple, que le centre de mémoire se fasse à Tahiti et non chez eux à Tureia. “L’État a fui devant ses responsabilités et il nous a laissé”, entend-on à Rikitea. Certains habitants, toujours autant meurtris dans leur chair, ont également demandé à ce que des études transgénérationnelles soient menées.
 

Vai Gooding, tāvana de Rikitea : “Qu’on indemnise notre archipel”

“Je ne veux plus regarder dans le rétroviseur. Je veux regarder de l’avant, sans pour autant demander à la population de ne pas aller demander au médecin atomi pour se faire consulter si toutefois ils sont malades et si la maladie est dans la liste des indemnisations… Pourquoi ne pas demander à être indemnisé ? OK, on va indemniser les personnes individuelles, mais je demande aussi à ce qu’on indemnise notre archipel.”
 

Jerry Gooding, habitant de Rikitea et membre de l’association 193 : “Une étude sur les maladies transgénérationnelles”

“C’est inquiétant pour moi qu’on mette autant d’appareils pour surveiller Mururoa. Mon sentiment, c’est qu’il y a un danger imminent et qu'on ne sait pas à quel moment cela va se passer (…). Ma maman biologique a eu deux cancers et elle n’est plus là aujourd’hui (…). J’aimerais demander au haut-commissaire de faire une étude sur les maladies transgénérationnelles, parce que les familles qui ont eu le cancer ont eu des enfants. Et peut-être que, plus tard, il y aura des enfants qui l’auront aussi (…). Chez nous à Rikitea, il y a des victimes qui sont décédées et leurs enfants ont le cancer aussi, alors qu’ils sont nés après les essais nucléaires. C’est pour cela que l’association 193 demande à ce qu’il y ait une étude transgénérationnelle (…). Ensuite, il y a un frein pour les indemnisations. C’est le 1 millisivert. Il faut le supprimer (...). Macron est allé demander pardon aux Harkis en Algérie, mais n’a pas demandé pardon aux Polynésiens. Il faut qu’il vienne demander pardon aux Polynésiens (…). Qui sont les bénéficiaires de cette dette nucléaire ? (…). Nous, les Gambier qui avons été les premiers touchés, on a eu zéro. Et j’aimerais qu’on pense un peu à nous et aux sites qui ont été touchés comme Tureia.”
 

​Benoît Urarii, habitant de Rikitea : “On demande à être plus proche de l’État”

“Tout le monde sait que Hiroshima était catastrophique et tout le monde savait que c’était dangereux pour la population. Le Général De Gaulle était au courant (…). On a choisi Mururoa car il y avait moins de populations. Mais c’est proche de nous, donc c’est nous qui sommes les premières victimes (…). Le premier tir en 1966 a été catastrophique pour nous, les Mangaréviens. Et on a été contaminés. Personne ne peut renier cela (…). On ne nous a pas demandé notre avis et on savait exactement la dangerosité des essais nucléaires. Il y a eu 147 tirs souterrains. N’y a-t-il pas de communications entre ces puits ? Et s’il y a glissement, est-ce que la dose n’est plus la même ? (…). Notre partenaire, c’est bien l’État. On a besoin de l’État aujourd’hui, car en 1966, l’État a fui devant ses responsabilités et il nous a laissés. Aujourd’hui, on demande à être plus proche de l’État pour qu’il nous accompagne pour notre développement. On a besoin de consolider notre relation commune avec l’État pour bâtir l’avenir des Mangaréviens.”
 

​Un habitant de Tureia : “Ce centre de mémoire devrait-être ici”

“J’ai été empoisonné à un niveau où il n’y a pas de remède. Ça c’est ma souffrance. Je marchais à quatre pattes pour aller aux toilettes, ça pissait par la bouche et ça pissait aussi par derrière. Et c’est ça notre grande révolte (…). Je n’ai pas été indemnisé, mais mon père a touché 14 millions de Fcfp sur lesquels la CPS lui a retiré 7 millions de Fcfp pour payer tous les soins qu’il a reçus (…). De quel droit, puisque cette indemnisation était directement pour mon père ? (…) Je vois mal que ce centre de mémoire se fasse à Papeete. Tureia est la place où ce centre de mémoire devrait être (…). Au moment où on a souffert à Tureia, qu’est-ce qu’ils faisaient à Papeete ? Ils ramassaient tout le fric que l’État a envoyé en Polynésie. Ils ont construit, développé… La preuve, on n'entend que des milliards aux Marquises, aux îles Sous-le-Vent, aux Australes, à Papeete n’en parlons pas… Mais rarement on entend parler de Tureia. Ce centre de mémoire devrait-être ici, c’est plus honnête. Mais pas un centre de mémoire pour eux, qui ont profité de toutes ces années de nucléaire à s’enrichir et bourrer leur compte en banque.”
 

Marie-Pascale Petit, médecin chef au département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires : “Les études épidémiologiques n’ont rien montré”

“Le cancer existait avant les essais nucléaires. Il existera après et on sait tous que le cancer n’est pas dû qu’aux essais nucléaires. Personne n’est capable de dire que celui-ci est un cancer dû aux essais nucléaires ou pas. On n’a pas encore de marqueur qui va faire la différence. Mais ce qu’on veut dire avec les études épidémiologiques, c’est qu’on voit dans une population s’il y a un peu plus de cancers qu’il ne devrait y avoir par rapport à une population qui n’aurait pas été exposée à ces essais nucléaires. L’État a reconnu qu’on avait augmenté le risque et a décidé d’analyser (…). Les chercheurs continuent à chercher dans ce domaine. Il y a eu des expérimentations faites sur des petits insectes et des souris, qui ont montré qu’il y avait des pathologies qui pouvaient se transmettre, dû aux rayonnements ionisants, de génération en génération. Et c’est ce qui a motivé les chercheurs à faire des recherches sur l’homme. Mais toutes les recherches, y compris les plus récentes (…) qui ont été faites sur l’homme, en analysant les grandes cohortes des survivants de Nagasaki et Hiroshima, en analysant les décontaminateurs de Tchernobyl, en analysant les grandes cohortes de patients qui avaient été traités par radiothérapie ou les travailleurs du nucléaire, pour l’instant, et je le dis en toute humilité, parce qu’il faut faire confiance aux scientifiques, aux chercheurs, et là on parle de recherches internationales, je vous parle d’articles et de recherches faits par des Américains, des Anglais, qui n’ont rien montré en ce qui concerne l’homme. Donc ne vous inquiétez pas plus que ça pour l’instant. Ne faîtes pas peur à vos enfants. Vivez sereinement (…). Les résultats sont attendus dans les trois, quatre, cinq ans à venir. Nous suivons avec intérêt et précisions tous ces résultats et on vous les donnera (...). Nous avons rencontré les gens de l’Inserm (…). Il y a des projets de recherche en cours qui pourront intégrer des patients polynésiens.”
 

​Tevahineheipua Brander, tāvana de Tureia : “Une aide spéciale pour Tureia”

“Il y aura toujours une méfiance de la population. (…) Ceux qui viennent nous dire aujourd’hui qu’il n’y a rien à craindre, c’est quand même ceux qui sont venus il y a 60 ans de cela. Peut-être que l’État a fait un grand pas aujourd’hui vis-à-vis du sujet du nucléaire, mais ma population restera toujours vigilante face à ce sujet. Nos anciens ont gardé beaucoup de souffrances vis-à-vis de ça. Et on va vivre avec, mais ce n’est pas pour autant qu'on est confiants, que l’État on est à 100% avec. On restera sceptiques vis-à-vis de tout cela. On parle beaucoup de développement (…). Aujourd’hui, on reçoit et on accepte ce que le Pays nous donne. On est quand même à l’autre bout du monde (…) et on attend que le Pays nous verse des millions pour tel ou tel projet. Mais ça ne nous permet pas de nous développer complètement. C’est pour cela que je me retourne vers l’État pour nous accorder une aide spéciale, car Tureia a quand même participé pendant des années (…). Il y a des vies qui ont été données pour servir la France (…). La commune reste le seul établissement qui recrute. Et des fois, on le fait par solidarité (…) et ce n’est toujours pas suffisant pour développer une île qui est à l’autre bout du monde. L’État aide la Polynésie, aide Tureia, mais toujours au travers du Pays. Et il faut attendre que cette aide vienne jusqu’à nous. À la fin, on se retrouve avec le peu qu’on nous donne (…). Ce qu’on réclame, c’est qu’on mérite une attention très spéciale de l’État pour avoir accueilli le CEP (…).”
 

​Éric Spitz, haut-commissaire : “Le Pays finance les collectivités locales, c'est un consensus entre tous les partis politiques”

“Là aussi je dois parler un langage de vérité (…). Quand l’État a financé 40% de relance, on a fait une convention avec le Pays, on a versé l’argent au Pays. Et après, c’est le Pays qui finance les collectivités locales. Il y a un consensus entre tous les partis politiques pour que cela se passe comme ça. Pour l’argent qui sera versé aux énergies renouvelables, je proposerai une gouvernance avec des appels à projet sélectionnés par le Pays et l’État. Mais c’est une vraie question, interrogez-vous aussi. Il y a un consensus entre tous les partis que cela se passe comme ça (…). Je souhaite que les choses soient un peu plus claires, pour que les communes des Tuamotu-Gambier notamment ne soient pas lésées. C’est un débat qu’on va avoir dans les semaines qui viennent (…). Nous, tout ce que nous pouvons, c’est, au sein des dotations comme la dotation de territoires ruraux, modifier les répartitions pour avantager les communes isolées. Ça c’est une dotation sur laquelle on a la main à 100%. Et quand je répartis cette dotation entre les différents administrateurs, je tiens compte des endroits plus isolés, plus difficiles d’accès. Et c’est ce qu’on a fait pour cette commune (…). J’ai toujours dit, partout en Polynésie, quand les dossiers sont bons, prêts et pour le bien-être de la population, nous les financerons sans hésiter. Mangareva sort un peu du lot. En Polynésie, nous avons du mal parfois à trouver des projets de manière à dépenser tout l’argent dont on dispose. Et c’est la raison pour laquelle Mangareva dispose de cette manne financière parce que tous les projets qui nous ont été présentés étaient mûrs et nous les avons financés.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Dimanche 16 Octobre 2022 à 19:27 | Lu 1773 fois