​"On n'est plus en 2004, on a changé d'époque"


Tahiti, le 1er mai 2023 – Résultats des territoriales, préparation du gouvernement, premières mesures… Moetai Brotherson répond aux questions de Tahiti Infos au lendemain de la victoire du Tavini aux territoriales.
 
Comment analysez-vous les résultats ? Peut-on dire que l'alliance Tapura-Amuitahira'a a plutôt fonctionné, mais que le Tavini avait un énorme réservoir de voix ?
 
"Ce n'est pas aussi tranché. Je pense que cette alliance a fonctionné pour partie. Il y a toujours un vote affectif qui se fait, mais elle n'a quand même pas fonctionné à la hauteur des espérances du Tapura et du Amuitahira'a. C'est vrai qu'à Faa'a, on avait un réservoir de voix qui était prévisible qu'on avait annoncé. Faa'a s'est levé au second tour, Faa'a i te rima ve'ave'a, donc il n'y a pas de souci de ce côté-là. Et on a fait des bons scores partout. À Raromata'i je suis très content, car on a augmenté notre score par rapport au premier tour. Donc c'est de bon augure et puis c'est une satisfaction pour tous ceux qui ont participé à la campagne. (…) J'ai un message à envoyer à l'ensemble des tāvana, c'est celui de l'apaisement. Demain, on ne va pas leur demander d'être Tavini. Ce n'est pas ce qu'on leur demande. S'ils veulent rester Tapura, ils y restent. S'ils veulent aller chez Heiura-Les Verts ou A Here ia Porinetia, il faut qu'ils le fassent avec conviction et leurs convictions doivent être respectées. On va travailler en bonne intelligence avec les tāvana quelle que soit leur couleur."
 
A la base de cette pratique, il y a un système qui est organisé pour que les maires soient dépendants des financements du Pays et donc du gouvernement en place. Est-ce que ça ne se réforme pas un système comme cela ?
 
"Cela se réforme et d'abord cela se dépolitise. Ensuite, il y a un transfert de compétences qui doit s'opérer. Beaucoup de tāvana demandent à co-exercer les compétences dans le social. Ils le font déjà objectivement, mais c'est un peu borderline sur le plan juridique. En revanche ils demandent à ce qu'on récupère la gestion des déchets, qui est hors de portée de la plupart des communes. On est favorable, c'est une demande qui a été exprimée par une immense majorité des maires et il y a une logique là-dedans. Ne vous inquiétez pas tāvana ma, on n'est pas là demain pour vous punir d'avoir été Tapura. Ce n'est pas du tout l'esprit du gouvernement qui sera issu de ces élections."
 
Vous avez commencé à annoncer quelques noms pour votre gouvernement ?
 
"Eliane Tevahitua sera vice-présidente, en charge de l'enseignement supérieure, de la culture, de l'artisanat et de la recherche. Jordy Chan sera ministre des Grands travaux, de l'équipement et d'autres domaines encore. Un jeune homme extraordinaire, diplômé des ponts et chaussées. Il a travaillé à la Banque Mondiale, à Natixis et dans de grandes entreprises à l'internationale. Aujourd'hui, il est numéro deux du Port autonome. Une espèce d'ovni mais dans le bon sens du terme avec des neurones qui fonctionnent bien et une envie de servir son Pays. Rony Teriipaia à l'éducation, seul agrégé de reo Tahiti en Polynésie. Il était à la base professeur des écoles. Il connaît bien le secteur et est je pense tout à fait en phase avec notre vision de l'éducation qui doit nous ressembler plus. C'est ce qu'on veut en tout cas obtenir avec ces écoles d'immersion et une adaptation des filières aux besoins du fenua et une éducation qui n'est pas cantonnée à l'école. Notre vision de l'éducation commence dans la famille, ça se poursuit à l'école et se poursuit dans les associations. Vannina Crolas sera ministre de la Fonction publique et ensuite de domaines connexes. C'est une grande spécialiste de la fonction publique et elle a été directrice générale à la mairie de Faa'a pendant des années. Juriste de formation, elle a travaillé au service de l'OPT il y a fort longtemps. C'est quelqu'un, sans concession, un peu comme Eliane Tevahitua. C'est pour cela que je les adore, car ce sont des dames qui disent ce qu'elles pensent. Donc parfois cela ne plaît pas toujours à tout le monde. Moi j'aime bien. Je préfère avoir des gens qui me disent 'là tu fais une bêtise', que des gens qui rongent leur frein mais n'en pensent pas moins."
 
Ces personnes sont toutes prêtes à travailler dans le futur gouvernement ?
 
"Oui tout à fait. Il faut d'abord constituer son équipe et chaque cabinet doit être efficace et prêt à travailler. Mais c'est aussi un plan d'action car il y a un programme en général. Il y a la vision politique du gouvernement au travers de son président. Mais cela se décline ministère par ministère. J'ai demandé à chacune de ces personnes de commencer à travailler son plan d'action, puisque là-aussi il faut que le ministre imprime sa personnalité. Ce que je demande à tous les ministres qui intégreront le gouvernement, c'est de ne pas considérer leur ministère comme un silo étanche. Un ministère, ce n'est pas un domaine personnel où personne d'autre en peut mettre les pieds et il faut savoir travailler en inter-ministérialité. Il y a des sujets qui sont transversaux par nature comme l'environnement, le tourisme, l'éducation, la santé… Il y a des sujets qui sont transversaux et il y en a beaucoup plus qu'on ne le pense."
 
Quel délai vous vous donnez pour la mise en place des premières mesures ?
 
"Il y a une première priorité, qui n'est pas forcément visible de tous, c'est celle du maintien de la confiance avec l'Etat ou avec le tissu économique. J'ai une série de rencontres qui commencent aujourd'hui puisque c'est le 1er mai avec les syndicats. Je rencontre le Medef et le président du Medef France vendredi. Il y a ces discussions à avoir pour leur expliquer quand n'est pas dans une posture de rupture. On est dans une posture de continuité, que ce soit dans la commande publique et sur ce qu'ils attendent. Contrairement à d'autres, le livre blanc du Medef je le connais quasiment par cœur. Ce dialogue est important, aussi bien du côté des syndicats des travailleurs que du patronat. Et ensuite il y a ce dialogue avec l'Etat. Je me réjouis d'avoir vu les deux communiqués de Gérald Darmanin et de François Carenco, qui nous félicitent de cette victoire et qui s'inscrivent dans la continuité en disant que l'Etat est prêt à discuter. On n'est plus en 2004, on a changé d'époque. Et il faut préparer cette continuité. Je rencontre bientôt le haut-commissaire pour préparer ce dossier, les renouvellements des conventions qui arrivent à leur terme d'ici la fin de l'année. Tout cela doit se faire en bonne intelligence."
 
Des mesures plus "concrètes" vont être rapidement engagées ?
 
"Il y a le démarrage de la suppression programmée de la TVA sociale. On va expliciter comment on le fait. Il y a également la réforme des CAE, pour les dépolitiser et les mettre là où il y a un réel besoin. C’est-à-dire dans les très petites entreprises. Il y a aussi une réforme de la fiscalité qui s'applique à ces mêmes TPE, avec des idées assez innovantes. Là-aussi, on veut en discuter avec les concernés. Ce sont des discussions qu'on a eu en période électorale, donc on a testé d'abord s'il y avait une adhésion à ces idées-là. Et maintenant il faut qu'on confirme cela, on ne veut pas prendre de décisions dans notre coin, on veut le faire en concertation."
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Lundi 1 Mai 2023 à 22:30 | Lu 6735 fois