​“La maladie n’attend pas”, met en garde le docteur Julien Reichart


Tahiti, le 8 janvier 2024 - Julien Reichart est le premier taote polynésien en médecine nucléaire. À quelques jours de son départ pour la métropole, il dresse avec Tahiti Infos un bilan de ce qui devrait être mis en place au Fenua “pour pouvoir répondre aux besoins sanitaires de la population et notamment vis-à-vis des cancers”. Pour lui, “le temps est très important et il faut agir le plus rapidement possible car la maladie n’attend pas”. Il est question du centre de médecine nucléaire à princesse Heiata, du TEP-scan couplé du cyclotron et des économies qui vont être faites grâce à ce matériel.   
 
Après douze années d’études dont quelques-unes pour se spécialiser en médecine nucléaire, taote Julien Reichart, enfant du pays, est revenu quelque temps au Fenua pour mettre à profit son expérience auprès de la population polynésienne. Il est actuellement praticien hospitalier contractuel au Mans, au centre de cancérologie de la Sartre, un nouveau centre de lutte contre le cancer, “un peu comme l’Institut du cancer de Polynésie française (ICPF)”, précise le jeune médecin qui envisage de revenir s’installer ici. “Je me suis toujours demandé ce que je pouvais apporter à mon pays. Et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de service de médecine nucléaire ici et j’ai rencontré le professeur Olivier Couturier, un médecin nucléaire qui m’a donné envie de faire cette spécialité. Et je me suis dit oui, car on peut changer la donne dans pas mal de pathologies (...). Moi, en tant que Polynésien, ce n’est pas juste une volonté de rentrer chez moi, c’est un peu une question de devoir envers ma population, il faut que je puisse l’aider, apporter ce que je sais”, assure le jeune médecin. Le recrutement du taote Reichart est encore en discussion mais toujours pas finalisé.
 
La médecine nucléaire est “une spécialité d’imagerie médicale”, où on utilise des médicaments, très faiblement radioactifs. Elle est surtout là pour “diagnostiquer les cancers et d’autres maladies inflammatoires et infectieuses, mais elle a également une activité thérapeutique où on est plus dans un but de traiter la maladie, notamment les cancers comme les cancers de la thyroïde, les tumeurs neuroendocrines, digestives et également les cancers de la prostate”.
 
“C’est un traitement totalement innovant car on arrive à cibler uniquement les cellules cancéreuses et préserver au maximum les cellules saines autour. La chimio tue principalement les cellules cancéreuses (…) et malheureusement, les cellules saines aussi. C’est pour cela qu’il y a des effets secondaires.”
 
Le TEP-scan et le cyclotron : “une urgence sanitaire”
 
Taote Julien Reichart assure que pour ce qui est des cancers, “le temps est très important et il faut agir le plus rapidement possible car la maladie, elle, n’attend pas”. Il affirme que la Polynésie a “vingt à trente ans de retard par rapport à ce qui se fait en métropole vis-à-vis de la médecine nucléaire (…). C’est une urgence sanitaire et qu’il y ait le TEP-scan couplé au cyclotron au Fenua, c’est très important”. Taote Reichart insiste d’ailleurs sur le fait que le TEP-scan est “inutile sans le cyclotron car il ne fonctionnerait qu’à 10% de son potentiel, ce sera uniquement pour les cancers de la prostate, alors qu’il y a d’autres cancers. Il faut absolument les deux machines sur le territoire”. Il rappelle d’ailleurs que pendant le Covid, la Polynésie “était extrêmement dépendante des autres pays pour ce genre de technologie”, tels que la Nouvelle-Zélande ou la France. “On ne peut plus se permettre de dépendre d’autres pays, surtout qu’on a un énorme handicap, notre isolement. Il faut qu’on ait tout sur place pour pouvoir répondre aux besoins sanitaires de la population et notamment vis-à-vis des cancers. Pendant la période Covid, la Nouvelle-Zélande a fermé ses frontières et les patients polynésiens ont eu des pertes de chance.”
 
Des économies énormes
 
Taote Reichart rappelle que le Pays comptabilise plusieurs évasans annuellement pour un TEP-scan qui coûte environ 100 millions de francs à la Caisse de prévoyance sociale (CPS). “Au Fenua, le besoin en termes de TEP-scan s’évalue entre 3 000 et 4 000 TEP-scan par an pour toute la Polynésie. Donc si on n’a pas cet appareil pour les 2 900 autres personnes atteintes de cancer, c’est une perte de chance vis-à-vis de la maladie. Et il faut que cela change et c’est l’objet de mon retour pour essayer de changer tout ça et de changer la donne vis-à-vis de la maladie, car cela fait déjà trop longtemps qu’on a du retard, trente ans, c’est quand même énorme !”
 
De facto, les évasans pour un TEP-scan vont arrêter puisqu’“on va pouvoir répondre aux besoins. De plus, on va pouvoir faire des économies de santé indirectes car pour certains cancers, les traitements coûtent environ un milliard de francs par an à la CPS. Et du coup, on peut évaluer si ce traitement est efficace en l’espace de quelques semaines avec le TEP-scan et si ce traitement ne fonctionne pas, cela ne sert à rien de continuer à le prescrire”. Taote Reichart ajoute également que même sur les hospitalisations, la CPS pourrait faire des économies avec ce matériel en trouvant notamment l’origine de la maladie des patients.   
 
Le projet à princesse Heiata
 
Taote Reichart regrette que le projet de la construction du centre de médecine nucléaire ne se fasse plus à princesse Heiata comme prévu initialement. “On a un projet qui est déjà finalisé, un endroit où on peut commencer les travaux dès demain si on a une décision politique adaptée, on attend plus qu’un retour du gouvernement pour commencer et pour répondre aux besoins de la population polynésienne le plus rapidement possible”, assure le jeune médecin.
 
La proposition du ministre de la Santé, Cédric Mercadal, de mettre ces appareils au centre 15 du CHPF inquiète les médecins, notamment l’état de la rotonde qui “n’est pas aux normes”. “De plus, il y a un conflit entre le Pays et les assurances, les locaux ne sont pas adaptés. On manquera de place et dans ces locaux-là, on ne pourra jamais répondre aux besoins de la population polynésienne en termes de médecine nucléaire. Et on ne pourra jamais travailler dans de bonnes conditions car ces locaux ne sont pas faits pour”, insiste le médecin. Il explique en effet qu’un cyclotron pèse plus 50 tonnes et s’il est mis au centre 15 dans la rotonde, “le bâtiment, déjà fragilisé, ne tiendra pas debout”. Il explique également qu’au Fenua, le rapport avec le nucléaire est “particulier et qu’on ne peut pas mettre le cyclotron qui crée de la matière radioactive dans un bâtiment où il y a des étages et où il y a d’autres personnes”. Raison pour laquelle, selon taote Reichart, cette machine doit être installée sur “un terrain vague, loin de tout pour maîtriser les risques au maximum. Et le seul projet qui préconise et qui maîtrise les risques au maximum, c’est le projet de princesse Heiata. Et c’est le seul moyen de vraiment faire un bon service nucléaire”, conclut-il.

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Lundi 8 Janvier 2024 à 17:34 | Lu 3233 fois