Yvonne, la gardienne du patrimoine marquisien


Nuku-Hiva - le 13/01/2016 - Le site de pétroglyphes de Kamuihei est exceptionnel. Il a pu de nouveau voir le jour grâce à Yvonne Katupa et de nombreux archéologues dont Pierre Ottino. Rencontre avec une femme qui tente de conserver le patrimoine marquisien dans les îles Marquises.

À Nuku Hiva, tout le monde connaît mamie Yvonne. Figure emblématique de la vallée de Hatiheu, Yvonne Katupa milite pour la préservation du patrimoine marquisien depuis de nombreuses années. Elle est aussi connue aux quatre coins du monde grâce aux touristes qu'elle a rencontrés dans son restaurant ouvert en 1972. Elle accueille notamment les passagers de l'Aranui depuis 1984. Quand on lui demande pourquoi elle est si populaire, elle répond dans un sourire : "Je ne sais pas pourquoi les journalistes viennent me voir, tout le monde vient chez moi, je connais pas mal de gens." C'est surtout son engagement pour le site exceptionnel de Kamuihei qui lui a valu d'être connue et reconnue. À quelques kilomètres de chez elle, plus d'une centaine de pétroglyphes ont été découverts grâce à son engagement et celui de plusieurs archéologues. Certains rochers gravés offrent de nombreuses figures anthropomorphes et animales exceptionnelles. L'archéologue Pierre Ottino, entre autres, s'est occupé du site pendant plusieurs années et a contribué à le faire connaître. Pour valoriser ces richesses, Yvonne a ouvert, en 2013, une salle patrimoniale pour préserver les découvertes des archéologues sur le territoire et ainsi garder la culture marquisienne dans les Marquises. "Notre patrimoine est très très riche, il est très important de remettre notre culture à sa place. Cela me fait mal de voir des objets à l'extérieur. Mais d'un côté, ils sont préservés, nous n'avons pas les moyens de conserver ces objets chez nous", explique-t-elle.

Quand Yvonne s'est rendue au musée de l'Homme à Paris, il y a quelques années, elle a appris que les tambours marquisiens étaient en peau de requin auparavant alors que maintenant ils sont en peau de vache. Une découverte pour elle qui a toujours vécu aux Marquises. Avec la salle patrimoniale, elle espère désormais donner à son archipel les moyens de sauvegarder son histoire. Mais les moyens manquent dans les îles éloignées. Même avec l'aide des cinq employés de la commune, elle n'arrive plus à restaurer l'ensemble du site archéologique. Ce qui la désole un peu : "Toutes les communes de Nuku Hiva sont associées, on est soudés. Mais si on avait de l'argent, il n'y aurait pas de soucis", continue la dame de de 77 ans "et demi". Yvonne connaît bien les rouages de l'administration car depuis 1985, elle est maire déléguée d'Hatiheu. Son mari, Severin Katupa, aujourd’hui décédé, a également été maire pendant 22 ans.

Pour elle, les enfants devraient "grandir dans leur culture", elle préconise même l'intervention d'un archéologue à l'école. "Dans le temps, les enfants grandissaient avec leurs parents dans leur culture. Maintenant, ils sont toujours à l'école, à l'extérieur de leur maison, ils ne connaissent plus nos fondements", regrette-t-elle.

Les touristes et Yvonne

Cette année, le restaurant d'Yvonne a accueilli sept paquebots. Pour elle, les groupes de danse, les artisans, les guides locaux doivent se préparer à l'arrivée des touristes. "Mais ce n'est pas toujours facile de convaincre les habitants d'ici. Et pourtant, il n'y a pas de travail, nous devons mettre en valeur notre vallée. Sans clients, pas de travail !", rappelle-t-elle. "La jeune génération ne se projette pas." Alors, à la cuisine, elle pousse ses employés à bien travailler pour que les touristes prennent plaisir à revenir "au bout du monde".

Dans les années 1970, les fonctionnaires venaient à cheval pour manger chez Yvonne. Comme le trajet était parfois long, elle a construit trois petits bungalows pour qu'ils puissent se reposer. Yvonne a appris la cuisine avec ses grands-parents puis l'a transmise à ses enfants adoptifs. Son cochon au four marquisien est l'un des plus réputé de l'île. Elle prépare aussi du poulpe pêché devant chez elle, du poisson cru, du poisson pané… "Il faut une journée pour tout préparer, aller chercher le bois, tuer le porc et faire bouillir la chèvre" explique-t-elle. Si elle ne voit pas d'un bon œil l'installation d'un hôtel à Hatiheu, elle aurait bien aimé agrandir son restaurant mais elle n'a pas réussi, à cause de la loi des 50 pas du roi. Une loi qui s'applique au littoral d'Outre-mer pour définir le domaine public maritime naturel. Mais rien n'arrête jamais Yvonne. Lors du passage de l'Austral, un bateau de croisière de la compagnie Ponant, on lui a demandé d'installer son four marquisien sur le site archéologique. "Les touristes étaient très contents, nous leur avons montré notre magnifique lieu. C'est bien les vallées qui bougent, il faut un cœur pour qu'elles puissent vivre…"

Hatiheu
Hatiheu est une localité située sur la côte nord de l’île de Nuku Hiva, au fond d’une baie dominée par d’impressionnants pitons de basalte. Elle fut le lieu de séjour préféré de l’écrivain Robert Louis Stevenson.

La vallée de Taipivai

L'écrivain Herman Melville (1819-1891) a rendu célèbre la vallée de Taipivai lors de la publication de son roman Taipi, en 1845, après son séjour à Nuku Hiva. Herman Melville est également connu pour son roman Moby Dick.

Tiki

Le tiki est le nom du premier être humain à avoir été divinisé aux Marquises. Issue d’un passé ancestral, sa représentation anthropomorphe est encore bien présente. Elle servait, entre autres, à recevoir l’esprit du disparu. Un culte pouvait ainsi lui être dédié. Le site de Paeke à Taipivai, sur l’île de Nuku Hiva est accessible en 20 minutes de marche. C'est un site sacré aux nombreux tiki dans une nature encore préservée.

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Mercredi 13 Janvier 2016 à 08:52 | Lu 2516 fois