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Voyage inaugural de l'Aranui 5 : le rêve marquisien


Iles Marquises - 15 janvier 2016 - Plus imposant, plus luxueux, plus de personnels, plus de passagers. L'Aranui 5 voit grand. Pour remplacer l'Aranui 3, Philippe Wong et son oncle Jul-Chom Wong, ont voulu offrir aux Marquises un cargo mixte encore jamais vu dans les eaux Polynésiennes. Rien qu'au port de Papeete, il dépasse les autres navires à quai de plusieurs ponts. En projet depuis 2009, le navire a été construit en Chine puis acheminé pendant un mois jusqu'à Tahiti avant de prendre la mer pour la première fois direction les Marquises.

Le 12 décembre, l'Aranui 5 est prêt a effectué son voyage inaugural dans les eaux marquisiennes. Au sein de l'équipage, sur le pont et en machine, chacun est à son poste et concentré. Vatea Sitjar, 36 ans, est le nouveau commandant. La famille Wong au grand complet sera à bord pendant la croisière. Il faut dire que la Compagnie polynésienne de transport maritime (CPTM) est une affaire de famille. Philippe Wong fait partie de la troisième génération qui gère cette activité. Tout a commencé avec son grand-père en 1959. Celui-ci a eu 8 enfants. Trois de ses garçons ont repris l'affaire Aranui en 1984 dont le père de Philippe Wong. Depuis, les navires "cargo-mixte" se sont succédé jusqu'à l'arrivée de l'Aranui 5 en 2015. Pour la première croisière, près de 220 personnes sont montés à bord, contre 150 pour l'Aranui 3.

LE GRAND DEPART

Comme chaque samedi de départ de l'Aranui depuis le port de Papeete, les passagers sont accueillis par un spectacle des Toa Huhina, une troupe de danseurs marquisiens assez connus à Tahiti pour leur prestation à l'Intercontinental. Pour ce voyage, la troupe a embarqué avec les passagers afin de se rendre au festival des arts des îles Marquises qui s'est déroulé à Hiva Oa du 16 au 19 décembre.

C'est le moment de quitter la terre ferme. Chaque croisiériste doit se plier à l'exercice d'abandon du navire avant de profiter de ses premiers moments de détente sur le "pont piscine" où sont installées les chaises longues. Direction Takapoto pour une première halte au Tuamotu avant de rejoindre l'archipel tant attendu des Marquises. A Takapoto, comme sur de nombreuses autres îles Marquisiennes, les passagers sont débarqués sur des barges à fond plat et empoignés par les puissants marins tatoués.


Au petit jour, Nuku Hiva s'offre aux voyageurs. Bien différente de l'île de Tahiti, beaucoup plus sauvages avec ses vallées verdoyantes. C'est la plus grande île des Marquises avec une superficie de 387 km2 et ses presque 3 000 habitants. Elle fait également office de chef-lieu administratif avec la subdivision des îles Marquises, qui représente l'Etat Français, et son unique hôpital de l'archipel. Après une visite du bourg de Taihoae, les passagers sont amenés en 4x4 à la cathédrale datant de 1973 où Monseigneur Le Cleac'h officiait. Ce prêtre est une figure des Marquises : à la fin des années 1970 un mouvement culturel et humaniste est né autour de la fédération Motu Haka. Cette fédération était portée par Monseigneur Le Cléac'h et a permis de remettre à l'honneur les traditions ancestrales des Marquises et créer le premier festival des arts des îles Marquises en 1987 à Ua Pou. Monseigneur Le Cleac'h a également traduit la bible en Marquisien.

C'est l'heure de reprendre la route, direction le site de pétroglyphes de Kamuihei débroussaillé par les archéologues dont Pierre Ottino, bien-aimé de la population de Nuku-Hiva. Sous le grand banyan, des danseurs effectuent la traditionnelle danse du cochon, caractéristique par son bruit de gorge et ses mouvements de bassin évocateurs. Puis c'est l'heure du repas chez mamie Yvonne. Après l'ouverture du traditionnel four marquisien où le cochon est enterré pour être cuit, Mamie Yvonne, figure emblématique de la vallée d'Hatiheu raconte comme elle a contribué à restaurer le site archéologique et créer une salle patrimoniale pour conserver les découvertes des archéologues dans les îles Marquises. " Notre patrimoine est très riche, il est très important de remettre notre culture à sa place. Ça me fait mal de voir des objets à l'extérieur des Marquises ", confie-t-elle.

LE FRET

La particularité de ce bateau réside dans le transport simultané de croisiéristes et de marchandises pour l'archipel. C'est pourquoi l'Aranui 5 est appelé "cargo-mixte". Pendant que les visiteurs foulent pour la première fois le sol des Marquises, les marins déchargent les marchandises. Commence alors le balai des fenuicks et les files d'attente pour récupérer les colis commandés, les sacs de ciment, les denrées venus de Tahiti, la bière Hinano …

Pour le quatrième jour de croisière : arrêt à Ua Pou, capitale de la pierre fleurie avec ses pitons érigés comme des trophées qui accueille les navigateurs. Comme sur toutes les îles où le nouveau bateau passera, les habitants des îles seront curieux de connaître le nouvel Aranui 5. Des jeunes émerveillés se voient déjà travailler à bord plus tard. Autour du navire, c'est toute une vie économique qui s'organise. Par exemple, la coopérative agricole Te oa pohue o Ua Pou, qui regroupe 80 agriculteurs envoie à Tahiti 5 à 6 tonnes de fruits par bateau et des fûts de Noni. A chaque passage de l'Aranui, l'agriculteur de la coopérative est payé. Près de 50 % de la production agricole de Ua Pou est vendue par la coopérative.


LE FESTIVAL DES ARTS DES ILES MARQUISES

Comme tous les deux ans, l'Aranui amène ses passagers au Festival des arts des îles Marquises. Le navire est accueilli par la population d'Hiva Oa avec ferveur. Près de 200 danseurs, juchés sur la digue et sur le quai ont dansé et chanté jusqu'à ce que le bateau s'amarre. Les femmes lançaient d'une voix forte et répétitive "Mave mai" signifiant "bienvenue" en Marquisien. Pour l'occasion, le président Edouard Fritch était présent. L'émotion de l'armateur Philippe Wong était palpable. " C'est extraordinaire d'avoir réalisé ce rêve" indique-t-il. La terre des hommes, Henua Enana, ne faillit pas à sa réputation, elle reste très accueillante.

Pour le Matavaa ou festival des arts des îles Marquises, 1350 marquisiens composent les délégations ainsi que les danseurs de Rapa nui, de Rikitea et Tahiti. Au son des pahu (tambours), c'est toute une population qui vibre. Les marquisiens ne viennent pas là pour concourir mais pour représenter fièrement leur culture. Danse du cochon, danse de l'oiseau, chants traditionnels… Le Mataava concentre tout ce que la culture marquisienne a de plus beau. Le premier festival s'est déroulé en 1987 à Ua Pou grâce à la fédération culturelle Motu Haka. Un bon festival ne peut pas se passer d’un bon kaikai (repas). 600 kg de cochons, 400 kg de chèvres, 100 kg de poulets locaux, une quarantaine de régimes de bananes, une vingtaine de régimes de fei et beaucoup de 'uru ont été cuisinés. Les feux des 17 fours marquisiens avaient été allumés la veille.

Impossible de passer à Hiva Oa sans un détour par les tombes de Jacques Brel et Paul Gauguin qui surplombent le village d'Atuona. Un musée leur est même consacré. Pour faire de "l'art simple", Paul Gauguin avait besoin de se "retremper dans la nature vierge", est-il écrit au musée. Le peintre est arrivé à Atuona en 1901.

Non loin de la maison, se trouve un hangar contenant l'avion de Jacques Brel, le célèbre Jojo qui a d'ailleurs été transporté par l'Aranui 2 en 1995 pour être restauré et trouver sa place au musée. Jacques Brel et sa compagne Madly sont arrivés en 1975 à Hiva Oa. A cette époque, personne ne les a reconnus. "Aucun marquisien ne connaît les chansons de Brel", raconte une guide de l'Aranui. Passionné d'aviation, il ramène un beechcraft nommé Jojo et emmènera les élèves à l'école ou à l'hôpital. La population se souvient encore du dévouement du couple.

PARADIS ISOLE

Après deux jours de festivités uniques au monde pour le Matavaa, direction Fatu Hiva, plus intimistes avec des 600 habitants répartis dans les vallées d'Omoa et d'Hanavave. Pour les passagers de l'Aranui, c'est l'heure du sport avec 17 km de randonnée pour arriver dans une des plus baies au monde : la baie des vierges. Ils découvriront aussi la confection du tapa. Le soir venu, les passagers de l'Aranui 5 ont admiré le coucher de soleil se reflétant dans la baie ancestrale. Puis c'est l'heure de l'Aranui Band. Quelques membres de l'équipage composent ce groupe comme William le cuisiner, Mila la guide au Ukulélé ou encore Kiki, le pointeur, à la contrebassine. Les marins Jean-Denis et Tere sont les premiers à inviter les demoiselles pour leur apprendre quelques pas de rocks tahitiens.


Le lendemain, le navire fera escale à Tahuata. Les Marquises ont été annexées par la France par le vice- amiral Dupetit-Thouars qui avait débarqué sur Tahuata le 4 août 1838. A son arrivée, l'archipel dénombrait encore 6000 habitants. Mais la venue des marins a amené de nouvelles maladies et décimé la population. En 1920, les Marquisiens n'étaient plus que 2000. Pour faire entendre leur voix et dynamiser leurs îles, les communes de l'archipel se sont regroupées en 2010 au sein de la CODIM, première communauté de communes des Marquises menée par Felix Barsinas, le maire de Tahuata.
Les habitants de l'île sont également fiers de présenter la première aire marine éducative qui a été lancée en 2013 par l'école primaire de Vaitahu. La zone maritime littorale est gérée de manière participative par une école ou un groupe d’élèves. Depuis, Ségolène Royal s'est inspiré du concept pour la Rochelle, en métropole. L'arrêt à Tahuata sera aussi l'occasion d'assister à une messe pour les passagers. Que l'on soit chrétien ou non, les chants envoûtants de la cathédrale ont conquis les croisiéristes.


Retour sur le navire pour la dernière île : Ua Huka. La plus aride de toute mais d'une beauté à couper le souffle. Avec ses quatre musées, l'île fait vivre son patrimoine. Les énormes pamplemousses des Marquises au goût sucré proviennent en abondance de cette île. Léon Litchlé fait visiter son jardin botanique où depuis des années il a planté près de 220 variétés sur 32 hectares. Il a notamment planté du santal, un arbre endémique en voie de disparition, notamment à cause des rats. Ancien ministre de l'agriculture et des sports sous Oscar Temaru, Léon Litchlé n'a pas sa langue dans sa poche quand il s'agit de politique. Les croisiéristes ont eu droit à un cours accéléré de politique locale. Les sculpteurs s'affairent pour produire des sculptures de Tiki vendus 1000 francs aux passagers. L'artisanat local, sur chaque île permet de faire vivre les habitants lors du passage de l'Aranui 5, chaque mois.

Au bord de la plage de Ua Huka, les coprahculteurs attendent de charger leur sacs sur les baleinières. Il ne faut pas l'oublier que les horaires de l'Aranui 5 sont calqués sur les tonnes de frêt à charger et décharger. Le navire est une liaison indispensable entre ces îles du bout du monde. Au retour, le navire passe l'atoll des Tuamotu de Rangiroa puis effectue son dernier arrêt à Bora Bora. Les passagers pourront passer la journée dans le lagon bleu azur tout en dégustant un ma'a sur le motu tapu.
Ce voyage hors du temps à dépayser plus d'un croisiériste, certains verseront même quelques larmes en étreignant chaudement les membres de l'équipage au retour à Papeete.

Texte et photos Noémie Debot-Ducloyer

Un navire plus écologique

L'Aranui 5 est construit sur de nouvelles normes de sécurité et environnementale

La gestion de l'eau transportée pour assurer la stabilité du navire (eaux de ballast) se fait de manière plus écologique. Cette eau est traitée afin de ne pas rejeter des bactéries et virus d'un port à l'autre. Le navire s'est également doté d'une machine pour compacter le verre, le papier et le carton. Les restes de nourriture sont broyés et rejetés à la mer. Les huiles usées des moteurs sont également traités à bord et brûlées.

L'Aranui 5 est le premier navire français construit sous des normes Safe Return to port (SRTP), une norme mise en place suite à l'accident du Costa Concordia pour les navires de plus de 120 mètres. Cela signifie qu'en cas d'avarie majeur, le navire doit continuer de maintenir la vie à bord des passagers et de l'équipage. Tous les équipements du navire, de la passerelle à la salle machine sont doublés pour plus de sécurité.

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Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Vendredi 15 Janvier 2016 à 10:40 | Lu 4896 fois