Violée : "Il me disait que tous les papas faisaient ça"


Agressée sexuellement durant son enfance, Tevahine* vit aujourd'hui dans la crainte depuis la sortie, il y a 4 mois, de son bourreau.
PAPEETE, le 16 avril 2018 - Tevahine* a été victime de viols durant son enfance, de la part de son "géniteur". À bientôt 40 ans, elle vit sous antidépresseur. Elle craint pour la sécurité de ses enfants depuis que son père a fini de purger sa peine. Témoignage.

Tevahine* avait moins de 5 ans quand elle a subi les agressions de son "géniteur". "Il me caressait sur tout le corps, il me faisait faire des fellations. Il piquait son doigt dans mon sexe, je me rappelle de ça parce que j'avais mal. Il me battait aussi quand je refusais. Il me frappait et il m'enfermait aussi dans un placard. C'était un alcoolique", raconte-t-elle.

À bientôt 40 ans, il est toujours difficile pour elle de revenir sur ce douloureux chapitre de sa vie. "Il me parlait de mariage, et comme je ne fréquentais pas d'autres enfants, je pensais que c'était normal", ajoute-t-elle.

SES SŒURS AUSSI ONT ÉTÉ AGRESSÉES

Une fois, Tevahine se trouvait avec lui en bord de mer, et son "ancien employeur passait par là, et il l'a vu en train de me donner de l'alcool et de couper mon plâtre sur le bras. Son ancien employeur m'a donc envoyée chez les gendarmes."

Selon Tevahine, son géniteur n'en était pas à son premier essai. "Il avait déjà fait de la prison avant de s'en prendre à moi. Il avait fait la même chose sur une de mes sœurs. Ensuite, quand il est sorti, il s'en est pris à moi, puis il est retourné en prison. Il s'en est pris après à une autre de mes sœurs, puis sur notre dernière."

Son calvaire a duré pendant de longues années, et "quand je suis arrivée au collège, et que j'ai eu mon tout premier copain, c'est là en fait que j'ai compris qu'un papa n'a pas à faire des choses comme ça à son enfant."

"J’ÉTAIS SOUS SON EMPRISE"

Le plus douloureux pour cette mère de famille est que personne ne l'a aidée : "Tout le monde savait que c'était un pédophile, mais personne n'a rien dit. Tous les jours, je pleurais".

Aujourd'hui, Tevahine vit sous antidépresseur. "Quand je n'arrive pas à dormir le soir, je prends des cachets. Il a gâché mon enfance, mes études parce qu'avec tout ce qui s'est passé, je n'arrivais pas à aller loin à l'école. J'ai arrêté en seconde et j'ai commencé à me rebeller. Mes autres sœurs ont réussi. Elles ont fait des efforts. Moi, je n'arrivais pas, partout où j'allais, je voyais ce qu'il faisait", décrit-elle.

"Je n'ai jamais fugué parce que j'étais sous son emprise, je ne pouvais rien faire. Quand il était à Nuutania, j'étais libre, je me sentais comme une enfant normale."

Même à l'école sa souffrance était insoutenable. "Je voyais des papas déposer leurs filles et ils se faisaient des câlins. Moi, je n'avais pas connu ça. C'est un manque que j'avais, je n'avais pas de papa", regrette-t-elle.

VICTIMES LEVEZ-VOUS

À cette époque, la jeune femme se sentait seule. "Quand il s'était fait emprisonner, personne ne venait pour voir si j'allais bien. J'ai dû travailler sur moi et essayer d'oublier. Mais on ne peut pas oublier", assène-t-elle.

"Si j'ai décidé d'en parler aujourd'hui, c'est pour alerter les victimes. Je sais qu'il y a beaucoup de victimes à Tahiti qui n'osent pas en parler, qui n'osent pas porter plainte. Je leur dirai d'aller porter plainte et de sortir de ce vice, parce que ça vous pourrit la vie. Et ce n'est pas normal qu'un papa fasse ça à son enfant". Tevahine alerte aussi les personnes qui auraient des doutes "qu'un papa touche sa fille ou sa nièce, il faut alerter. Faites un signalement à la gendarmerie, c'est déjà un début pour sauver la victime."

Trente ans plus tard, Tevahine tombe de haut. "En décembre, j'avais reçu un coup de fil d'un membre de ma famille pour me dire qu'il était sorti. Quand j'ai appris ça, mon téléphone portable est tombé, et j'ai suffoqué sur mon lit, tellement j'avais peur. Je revoyais tout ce qu'il faisait avant et ce qu'il pouvait faire à mes filles". Et de poursuivre : "On ne nous dit même pas s'il a le droit de s'approcher de nous ou pas. Une fois, il est entré dans la cour de mes sœurs et nous en sommes arrivés aux mains."

La crainte est omniprésente pour Tevahine et sa famille. "Au lendemain de sa sortie, je suis allée acheter une matraque pour nous défendre. Partout, où on va, on regarde de tous les côtés. Ma fille ainée qui est adulte, me reprochait de trop la protéger. Je lui ai donc tout raconté, il n'y a pas longtemps, et elle a compris pourquoi je les enfermais trop."

"Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai confiance en aucun homme, à part mon mari. Mais les autres hommes, non. J'ai toujours peur qu'ils touchent mes enfants, jusqu'aux instituteurs. Même mes cousins, mes tontons, quand je les vois à côté de mes filles, je ne suis pas bien. J'appelle mes filles, sinon, je vais m'asseoir à côté d'elles", explique Tevahine.

Même si leur "géniteur" a purgé sa peine, Tevahine et ses sœurs demandent à ce que la justice fasse ce qu'il faut pour les protéger. "Pendant des années, même s'il était en prison, je faisais des cauchemars. Et ça m'arrive de faire encore des cauchemars aujourd'hui. Si je me retrouve toute seule à la maison, je panique. Je revois tout ce qu'il a fait et je vois mes filles, aussi. C'est pour ça que je demande à la justice de se réveiller et de faire quelque chose pour nous."





(*) prénom modifié

Rédigé par Corinne Tehetia le Mardi 17 Avril 2018 à 06:00 | Lu 21716 fois