Vie chère, une mission nationale au fenua


Tahiti, le 23 aout 2023 – Lors de sa visite au fenua, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a annoncé la mise en place d'une mission de lutte contre les monopoles et la vie chère. Une initiative qui va inévitablement s'inscrire en corrélation avec le rôle de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC).
 
“On va proposer au président Brotherson de travailler ensemble pour lutter contre ces monopoles parce que quand il y a des monopoles, il y a des prix très élevés. Et quand il y a des prix très élevés, ce sont les Polynésiens du quotidien qui n’arrivent pas à s’en sortir”, a déclaré le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, la semaine passée, lors de sa visite en Polynésie, en compagnie du nouveau ministre délégué aux Outre-mer, Philippe Vigier. Des propos qui dans un premier temps ont fait réagir quant à la définition exacte d'un monopole, que Gérald Darmanin juge “trop nombreux” au fenua. “Les monopoles au sens stricto sensu, ils n'en existent pas en Polynésie. Mais dans le langage courant, quand on parle de monopole, et qu'on n'est ni juriste, ni économiste, on se réfère à des positions qui sont largement leader et ultradominantes sur un marché. Je suppose que le ministre a utilisé ce terme de la sorte”, a d'ailleurs expliqué la présidente de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC), Johanne Peyre, interrogé par Tahiti Infos.
 
Outre ce problème de forme, ce qu'il est important de retenir de cette allocution, c'est l'annonce d'une mission gouvernementale nationale pour lutter contre la vie chère, en Polynésie comme dans le reste des Outre-mer. Si pour l'instant, les contours de ce projet sont encore à dessiner, il est indéniable qu'une telle initiative va s'inscrire dans un renforcement de la concurrence de marché et donc s'appuyer sur les missions que possède déjà l'APC depuis sa création en 2016. “Même si je ne sais pas comment sera structurée cette mission, je suis d'avis que plus on a de cerveaux, plus on sera efficace. J'espère et je suppose que tous les acteurs économiques en rapport avec le droit de la concurrence seront sollicités pour participer à ce projet”, s'est réjouie Johanne Peyre. À noter que l'économie est une compétence locale exclusive et que cette future initiative du gouvernement Macron ne pourra être menée au fenua qu'en accord avec le Pays.

Problème de marge
 
La future mission annoncée par Darmanin a donc dans le viseur le coût de la vie, anormalement élevé en Polynésie et dans les autres territoires ultramarins. Bien que ce problème puisse être justifié par l'éloignement géographique, les frais de transport ou encore les taxes de douanes, ces facteurs ne suffisent pas à expliquer les différentielles de prix par rapport à l’Hexagone. “En 2019, l'APC a émis plusieurs avis, notamment sur les mécanismes d'importation. On en a déduit que 40 % des prix des produits restent captés dans la marge de l'entreprise. La question qui faut se poser c'est donc, comment inciter ces entreprises à laisser une partie de cette marge dans leurs prix de revente aux consommateurs. Si elles ne sont pas incitées à le faire, c'est sûrement qu'il n'y a pas assez de concurrence”, a détaillé la présidente de l'APC. Apporter de la concurrence certes, mais sans crucifier les grands groupes locaux. “Il y a des acteurs incontournables et tous les petits territoires ont besoin d'acteurs économiques importants. C'est bénéfique, car avoir ces groupes apportent du dynamisme et sont essentiels pour avoir une économie d'échelle (correspond à la baisse du coût unitaire d'un produit en fonction de sa quantité, NDLR).”
 
Et si cette problématique n'est pas nouvelle au fenua, il semblerait que les parlementaires français commencent à se pencher réellement sur ce sujet. En effet, outre la future mission du gouvernement central annoncée par Gérald Darmanin, en juillet dernier, la commission d'enquête de l’Assemblée nationale a rendu son rapport sur la vie chère en Outre-mer. Une commission similaire a d'ailleurs été menée par le conseil économique, social et environnemental (Cese).

Manque d'outils législatifs
 
Si Johanne Peyre s'est réjouie de l'annonce du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, elle déplore tout de même qu'à l'échelle locale, trop peu de moyens sont à sa disposition pour mener à bien ses missions. En effet, le rôle de l'APC est de lutter contre les créations et le renforcement de position dominante sur le marché économique, tout en sanctionnant les abus. Cependant, les outils législatifs à la disposition de l'organisme ne permettraient que de lutter contre l'émergence de futures positions dominantes et non de contrôler celles déjà existantes. Selon elle, plusieurs instruments juridiques pourraient grandement renforcer les champs d'actions de l'APC, comme “l'interdiction des exclusivités d'importation” ou encore la possibilité de “prendre des injonctions contre certains groupes et le forcer à céder certains actifs, s'il est considéré que la structure de l'entreprise est à l'origine d'un défaut de concurrence”. Deux outils qui font partie de la loi nationale Lurel de 2012 et qui ont pourtant été retirés de l'arsenal législatif du droit de la concurrence polynésien en 2018 par l'assemblée de la Polynésie française, deux années après la création de l'APC, sans que l'organisme n'ait pu les utiliser. “Sans même vouloir rentrer dans des changements de fond de la loi du Pays, il faut apporter quelques modifications. Il est impératif pour qu’une loi soit efficace et utile qu’elle évolue avec le temps au regard des besoins qu'on identifie.”  Mais si une chose est sûre pour la présidente de l'APC, c'est que la concurrence est essentielle pour le tissu économique local, comme en témoigne les arrivées récentes de Vodafone ou encore d’Air Moana qui ont ouvert la voie à une réduction significative des prix qui a profité aux consommateurs.
 

L'APC s'ouvre à l'international

Toujours dans son interview donnée à Tahiti Infos, Johanne Peyre a déclaré que l'un de ses objectifs était d'inscrire l'APC au niveau international. “C'est l'une des missions et orientations principales que je me suis fixées pendant mon mandat de présidente. Je ne veux pas fonctionner en vase clos. Je souhaite créer des coopérations avec d'autres autorités de la concurrence du Pacifique, comme Fidji, la Papouasie Nouvelle-Guinée ou encore la Nouvelle-Zélande.” Selon elle, les marchés économiques des îles voisines présentent des similitudes certaines avec le marché local. “On a monté un réseau entre autorités pour identifier les problématiques communes. C'est l'échange de bonnes pratiques. Et l'APC ne pourra en tirer que du positif”, a-t-elle conclu.

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 23 Aout 2023 à 20:30 | Lu 2683 fois