Vers un futur sans moustiques


Tahiti, le 10 septembre 2021 – Cinq solutions polynésiennes figurent parmi les seize projets sélectionnés pour la finale du concours Tech4Islands 2021. C'est le cas du procédé de lutte contre les moustiques sans traitement chimique mis en place par l'Institut Louis Malardé à l'hôtel The Brando. Une technique qui repose sur la production et le déploiement de mâles porteurs d'une bactérie stérilisante pour l'espèce.

À Paea se trouve le laboratoire d'entomologie médicale de l'Institut Louis Malardé. Implanté depuis plus de 50 ans, il va se doter sous peu d'un tout nouveau centre de recherche opérationnel. La construction de ce dernier est la conséquence d'un succès du laboratoire qui remonte à 2015.

Comme toutes les îles, l'atoll de Tetiaora est infesté de moustiques. Le 1er juillet 2014, l'hôtel The Brando y est inauguré. Son directeur, Richard Bailey, s'inquiète alors des conditions dans lesquelles ses clients vont séjourner et fait appel à l'équipe du laboratoire d'entomologie de l'ILM pour la réalisation d'une étude d'impact et la proposition de solutions de lutte durable contre les moustiques, sans utilisation de produits chimiques. Un procédé de démoustication respectueux de l'environnement. “Ça tombait bien, car c'était en plein pendant notre essor de recherche et de développement vers des stratégies innovantes. On leur a donc proposé de nouer un partenariat afin de valider sur le terrain l'efficacité de ces fameux lâchers de moustiques mâles. Ces lâchers permettent de stériliser les populations de moustiques et de réduire la nuisance jusqu'à sa quasi-élimination”, explique le Dr. Hervé Bossin, chercheur et directeur du laboratoire d'entomologie médicale de l'ILM depuis quinze ans.
 
Après des mois de préparation, c'est donc en 2015 qu'est réalisé le premier lâcher de moustiques élevés par le laboratoire. Et c'est une véritable réussite. “Courant 2016, on avait supprimé la population de moustiques. Depuis, on fait des lâchers réguliers de façon à maintenir un statut de quasi-élimination de la nuisance”. Ce succès à Tetiaora fait alors office de tremplin pour la solution des lâchers de moustiques mâles stériles. “À travers un contrat de projet, nous avons présenté au Pays et aux autorités nationales une proposition de construction d'un nouveau centre de recherche opérationnel. Un centre qui était nécessaire pour appliquer cette solution a beaucoup plus grande échelle, pour des îles entières”. Le projet est accepté puis financé et les travaux de construction de l'enceinte démarrent fin 2018. Aujourd'hui, ces travaux sont presque terminés.

Des millions de moustiques mâles par semaine

Si l'ILM développe ce procédé, c'est qu'il y a plusieurs dizaines d'années, les scientifiques ont découvert que la bactérie Wolbachia avait la capacité d'interférer avec la reproduction de leur hôte. Cette bactérie symbolique est associée à près de 60% des espèces d'insectes connues, dont des moustiques. “Nous avons mis en application cette formidable propriété de la bactérie à des fins de lutte et de contrôle”. Pour rappel, ce sont uniquement les moustiques femelles qui piquent, quelle que soit l'espèce. “La seule chose que les mâles vont faire, c'est chercher un partenaire femelle et s'accoupler avec durant leur courte vie de quelques jours. Le résultat de cet accouplement, c'est une stérilisation des femelles”. La population ainsi traitée n'est plus capable de se renouveler et s'effondre naturellement sans l'utilisation d'un traitement chimique. Depuis 2015, l'hôtel The Brando n'utilise plus de produits chimiques pour combattre les moustiques.

Actuellement, l'équipe du laboratoire entomologique est composée d'une quinzaine de personnes amenée à se renforcer avec l'arrivée d'une production à grande échelle sur pas moins de 600 m2. “Jusqu'à maintenant, on devait produire de l'ordre de quelques dizaines de milliers de moustiques mâles par semaine artisanalement pour les besoins du Brando. Dans l'objectif de s'attaquer à des îles entières, on sera bientôt dotés d'une usine qui va nous permettre de passer à plusieurs millions de mâles produits par semaine”.
 
Une industrie naissante…

Hervé Bossin précise que les technologies acquises peuvent être mises en application dès maintenant. “Ce n'est plus une technologie du futur. Elle est opérationnelle et on a démontré qu'on pouvait produire des moustiques en grande quantité, les conditionner pour le transport par avion, et une fois qu'ils sont arrivés sur site, les lâcher. Au bout de quelques mois, la nuisance disparait”. Une industrie naissante se développe. Un appareil automatique pour le tri entre les mâles et les femelles et deux autres pour le comptage à haut débit des larves et des nymphes : le laboratoire se dote d'outils à la pointe de la technologie. À Tahiti, cette montée en capacité va permettre le recrutement de personnel, “notamment des jeunes diplômés locaux. C'est un vrai moteur de dynamisme et d'innovation”. Le nouveau laboratoire de Paea aura à cœur de développer les coopérations avec les autres territoires d'Outre-mer et du Pacifique. “À terme, ce centre va devenir aussi un hub de formation régional”.

Le Dr. Besson et son équipe ont fourni des moustiques au Brando pour éviter les piqures. Mais le directeur du laboratoire ajoute qu'il existe également une réponse à apporter pour “la demande publique en termes de lutte contre la transmission des maladies”. Ces espèces de moustiques transmettent des maladies, notamment la dengue, le zika, le chikungunya ou encore la filariose lymphatique. “Il y a le côté santé publique, le tourisme et le bien-être des personnes qui sont en jeux”.

Hervé Bossin est responsable du laboratoire d'entomologie médicale de l'Institut Louis Malardé à Paea depuis quinze ans.
…freinée par le Covid

Après la réussite de Tetiaora, d'autres opérations préliminaires de lâchers de moustiques avaient été réalisées par le laboratoire, notamment à Tahaa “avec un défi beaucoup plus complexe”, avoue Hervé Bossin. “Là-bas, il y a une abondance de moustiques beaucoup plus importante”. Mais dernièrement, les équipes de l'institut Louis Malardé ont été fortement sollicitées pour le dépistage du Covid et les ressources humaines du laboratoire de Paea se sont retrouvées réorientées pendant plusieurs semaines vers Papeete. “On a été obligé de mettre en sommeil nos activités sur le terrain. Aujourd'hui on ressort tout juste et les membres de mon équipe reviennent. On a qu'un espoir, c'est de pouvoir repartir dans les prochains mois et de reprendre les activités. Même à Tetiaroa, on ne fait pas de lâchers en ce moment”.

En temps de crise, Hervé Bossin aura au moins eu vent d'une bonne nouvelle. Le projet présenté en partenariat avec The Brando a été retenu parmi les seize finalistes du concours Tech4Islands. Le 20 septembre, le chercheur présentera au jury final ce procédé naturel et innovant de lutte contre les moustiques. “Ça va être un plaisir que de partager la solution que l'on propose et son côté éminemment durable pour la protection de l'environnement. C'est une solution qui est vraiment phénoménale et spectaculaire. Se balader dans une zone tropicale sans être assailli par les moustiques, c'est quelque chose d'unique. C'est un atout que l'hôtel Brando offre actuellement à ses clients. C'est encore aujourd'hui le seul resort au monde à bénéficier de ce procédé”.

Après une année de rodage et de réglages des paramètres du bâtiment, les projets d'envergure du nouveau laboratoire devraient débuter à l'horizon 2023. Hervé Bossin a déjà hâte d'y être. “On a à cœur de pouvoir mettre en application ce que l'on a développé à des échelles plus importantes. Ça va changer la vie de beaucoup de personnes. Vivre sans piqures de moustiques et sans risques de maladies, ça change la donne”.


Rédigé par Etienne Dorin le Jeudi 9 Septembre 2021 à 19:55 | Lu 4589 fois