Vanuatu: 15 ans de prison pour les chasseurs de sorcières


PORT-VILA, mercredi 22 avril 2015 (Flash d’Océanie) – Le tribunal de Luganville (île d’Espiritu Santo, Nord de Vanuatu) a condamné en fin de semaine dernière cinq hommes de l’île d'Akham (proche de Mallicolo) à une peine de quinze ans d’emprisonnement chacun, après qu’ils aient été reconnus coupables de l’exécution par pendaison de deux hommes, auparavant accusés de sorcellerie, en novembre 2014.
Au terme des audiences, le juge a dans un premier temps reconnu les cinq accusés coupables de meurtre avec préméditation.

Fin novembre 2014, la police vanuatuane avait procédé à plusieurs arrestations, dans le cadre de l’enquête ouverte après l’exécution publique des deux victimes.
Parmi ces suspects, plusieurs étaient soupçonnés d’être activement impliqués dans ce qui a été dès l’abord considéré comme un homicide volontaire avec préméditation.
Les faits se sont déroulés mi-novembre 2014, sur la petite île d’Akaham, tout près de l’île de Mallicolo (Nord).
Deux hommes, respectivement âgés de 67 et de 40 ans, ont été exécutés par pendaison, au vu et au su de tout le village.
Ils avaient auparavant été accusés de pratiques de magie noire, très répandues dans la région et jugés responsables de plusieurs décès jusqu’ici inexpliqués au sein de la communauté.
Les premières accusations seraient venues de missionnaires et dirigeants religieux, dont l’autorité morale avait ensuite encouragé les notables coutumiers de ce village à passer à l’acte et à se faire justice eux-mêmes.
Leur condamnation à mort extrajudiciaire était venue d’une sorte de conseil villageois, réunissant chefs coutumiers, anciens et mêmes responsables religieux.
Les cinq condamnés font tous partie de l’un (et parfois de plusieurs) de ces groupes de notables.

Dès l’ouverture de l’enquête, Aru Maralau, chef par intérim de la police nationale, avait promis que les personnes à l’origine de cet homicide seraient arrêtées et déférées devant la justice.

Ce nouvel incident avait indirectement relancé à Vanuatu le débat sur la peine de mort : un député et ancien ministre, Willie Jimmy, avait profité de cette actualité macabre pour se prononcer ouvertement en faveur de la peine capitale concernant des personnes reconnues coupables de pratiques occultes.
Il avait même annoncé son intention de faire en sorte qu’un texte en ce sens soit examiné au Parlement.
Il avait aussi tenté de justifier ces mesures « anti-sorcellerie » en rappelant que ces pratiques de magie noire étaient particulièrement vivaces à Vanuatu, avec quelques îles (Ambrym et Mallicolo) se targuant même d’être des spécialistes de la discipline, le plus souvent à l’aide de feuilles, de décoctions, de restes humains ou de pierres supposées magiques.

Dans le reste de la Mélanésie, ce genre d’actes punitifs, sous forme d’expéditions et autres exécutions sommaires de personnes accusées publiquement de pratiquer la sorcellerie, est aussi particulièrement répandu en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Dans ce pays de sept millions d’habitants, ces exécutions communautaires se sont multipliées ces dernières années, faisant des dizaines de victimes, le plus souvent des femmes ou des personnes âgées.
L’exécution la plus brutale avait eu lieu début 2013, lorsqu’une jeune mère accusée publiquement de pratiques occultes avait été brûlée vive, en public, sur un tas d’immondices.
Ces faits avaient alors alerté l’opinion internationale, choquée par des photos de la jeune femme brûlée vive sur un bûcher de pneus, devant des centaines de personnes, le tout sur un tas d’immondices.

Nouvelle opération sauvetage en cours

Une nouvelle fois de retour sur le devant de la scène médiatique, ce dossier sensible a fait l’objet, ces derniers jours, d’une vigilance toute particulière de la part de la police.
Elle tente en effet de calmer les esprits dans la province des Hauts-Plateaux où les dirigeants d’un village seraient sur le point d’exécuter quatre personnes, accusées de sorcellerie.
Il s’agirait de deux hommes et deux femmes originaires du village de Kaiwe, près de la ville de Mount Hagen (province des Hauts-Plateaux du Sud).
Selon les informations collectées par des ONG de défense des droits humains et par la police, ces quatre personnes auraient ces dernières semaines fait l’objet de tortures pour qu’elles « avouent ».
« Ils ont été torturés et ont fait l’objet d’interrogatoires au cours desquels on leur a demandé s’ils étaient sorciers, comment ils s’y prenaient pour jeter des sorts, quels ingrédients ils utilisaient », a expliqué en début de semaine à Radio Australie Kamane Wauga, chargé d’un programme « Sorcellerie » de l’ONG Oxfam dédié à la lutte contre ce genre d’exécutions extrajudiciaires.

Serait ensuite venue une autre menace : celle de faire venir le voyant du village, le « GlasMan », pour qu’il révèle qui, parmi les quatre, était coupable de pratiques de magie noire.
En fonction de quoi, des bûchers seraient mis en place, à grand renfort de pneus, pour brûler vifs les coupables, ont expliqué les militants associatifs de défense de droits humains.
En attendant le verdict de l’extralucide, les quatre personnes ont été autorisées à résider chez des parents ou proches, dans l’enceinte du village, mais sous bonne garde.
Comme dans la plupart des cas de ce genre, les accusations ont commencé à circuler après l’apparition de maladies (y compris le VIH-SIDA) non immédiatement expliquées par les habitants de ces régions reculées.
Depuis ce week-end, la police a dépêché sur place une équipe principalement composée de négociateurs et d’enquêteurs.
Ces derniers tentent depuis de déterminer le point de départ de ces accusations.
Selon eux, soit il s’agit, derrière ces dissimulations, d’un conflit de type foncier, soit de rivalités entre familles.

En janvier 2015, dans des conditions similaires, quatre femmes sur le point d’être exécutées dans la province d’Enga avaient pu être sauvées in extremis d’une exécution certaine grâce à l’intervention de la police et le concours des missionnaires locaux.
Elles avaient été accusées de sorcellerie après l’apparition de cas de rougeole et la mort de plusieurs personnes au cours du dernier trimestre 2014.

Début juin 2014, c’étaient les forces armées de Papouasie-Nouvelle-Guinée qui avaient dû mener une opération spéciale en vue de libérer trois femmes détenues par un groupe de villageois dans la province d’Enga, qui les accusait de pratiquer la sorcellerie.
Ces trois femmes avaient été capturées lors d’une expédition punitive menée par un groupe de villageois, persuadés que le récent coma d’une autre jeune femme était dû à des pratiques de sorcellerie et d’envoûtement.
Elles avaient ensuite été torturées à plusieurs reprises.

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, les cas impliquant des groupes d’individus, formés en milices punitives de fait et décidant de se faire justice eux-mêmes en exécutant des personnes soupçonnées de sorcellerie (principalement des femmes) se sont multipliés ces dernières années dans ce pays, où les croyances en des pouvoirs occultes sont encore très vivace.
En réponse à ce phénomène, mais aussi à une hausse constante de la criminalité, mi-2013, le Parlement papou a décidé de voter pour la remise en vigueur de la peine de mort.

Résonnances fidjiennes

À Fidji, entre-temps, un tribunal de la capitale Suva a condamné fin mai 2014 un pasteur de l’église méthodiste pour avoir organisé une séance d’exorcisme qui, au final, a entraîné la destruction d’une maison entière, mise à sac jusqu’aux fondations par de prétendus « nettoyeurs ».
L’affaire remonte à 2007, sur la petite île de Gau, où cette influente église avait entrepris d’intervenir pour « exorciser » une maison jugée « maléfique ».
La maison, alors inoccupée par ses propriétaires, a été littéralement mise à sac.
Motif invoqué par le pasteur en audiences : sa conviction selon laquelle Ravuama Vonu, le propriétaire, y aurait pratiqué des séances de magie noire, à l’aide d’un crâne humain.
Ces convictions, selon le pasteur, avaient été acquises en avril 2007 lors d’une séance de prières au cours de laquelle l’un des participants « a soudain été possédé par un esprit », qui a ensuite accusé le propriétaire de cette bâtisse.
Résultat : une opération de « nettoyage » qui, du point de vue de la justice, s’est soldée par une entrée avec effraction, des dégâts considérables y compris jusqu’à la dalle de béton, détruite à coup de barres à mines, et le terrain au-dessous entièrement retournée, supposément pour mener à bien cette opération de chasse au malin.
Pour les besoins de la cause, les religieux et les villageois s’étaient attiré la sympathie des forces locales de police.
En rendant son verdict, fin mai 2014, la Haute Cour de Suva a condamné le pasteur Simione Koroi et à travers lui l’église méthodiste à payer sous trentaine une amende de 28.000 dollars fidjiens (environ onze mille euros) pour « abus d’autorité ».
« Il n’a pas seulement failli à soin devoir guide (religieux), mais il a aussi incité les gens de ce village à détruire les biens de plaignants. C’est donc sans hésitation que je le tiens pour responsable des dégâts causés aux plaignants », a tranché clairement le juge Chandrasiri Kotigalage, qui entendait cette affaire.

En réaction à ces récents cas, le Conseil des Églises du Pacifique (Pacific Council of Churches, PCC, à prédominance protestante), parla voix de son Secrétaire Général, le Tahitien François Pihaatae, a fermement condamné tout ce qui pourrait être apparenté à un recours à la violence au nom de la foi.
Faisant directement référence à l’affaire fidjienne et à son épilogue judiciaire, le responsable religieux a notamment exhorté les églises de cet archipel à rappeler à leurs ouailles que de tels actes « ne sont pas Chrétiens ».
Il a profité de l’occasion pour préciser que cet appel était aussi valable pour les églises de Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans un contexte notoire et récurrent d’exécutions sommaires de personnes accusées de sorcellerie.

pad

Rédigé par PAD le Mercredi 22 Avril 2015 à 05:10 | Lu 749 fois