Vaheana Chang fait du lien avec Anāvai


Crédit : Laurent Loussan.
TAHITI, le 15 février 2023 - À la tête de la fondation Anāvai, Vaheana Chang développe depuis trois ans la première plateforme de dons du territoire. Elle fait le lien entre les particuliers, les associations et les entreprises pour cofinancer les projets associatifs. Une aventure qui fait sens, pour celle qui a étudié pendant plusieurs années en Asie et travaillé dans de grandes entreprises de métropole.

Anāvai est une plateforme de financement participatif sans contrepartie pour les donateurs qui repose sur le modèle du don. Elle a été lancée il y a trois ans par Vaheana Chang sur une idée de Nuihau Laurey.

Au service des associations

Le projet est né d’un double constat. D’une part, les associations jouent un rôle sociétal majeur pour le développement économique et social du pays. Elles sont présentes dans tous les domaines (solidarité, jeunesse, sport, culture, etc.) et sont de plus en plus nombreuses. Le nombre exact de ces associations créées en Polynésie est difficile à connaître car certaines n’ont qu’une existence éphémère. Mais on peut estimer qu’il y en a aux alentours de 12 000. Le haut-commissariat a enregistré en 2022 une modification pour 8 354 d’entre elles, ce qui laisse penser qu’elles seraient en activité. Mais, leurs actions restent peu connues du grand public et elles manquent de moyens. D’autre part, de nombreux Polynésiens souhaitent contribuer au tissu associatif mais n'y parviennent pas en raison d’un manque d'informations, de confiance, de temps ou de moyens d'action. La plateforme digitale Anāvai se fait fort, dans ce contexte, de les aider à financer leurs projets mais aussi à se faire connaître et se structurer.

L'utilisation de la plateforme est gratuite pour les associations. Les dons collectés sont affectés à leurs projets mais aussi aux frais de fonctionnement et de collecte de la fondation. Pour pérenniser ses actions, Anāvai est à la recherche constante de partenaires car ce sont les entreprises qui apportent les fonds et font fonctionner le système. Mais surtout, pour Vaheana Chang, ce système “fait sens”.

À l’origine, il s’agissait de créer un site internet pour permettre aux Polynésiens “de cœur, de souche ou d’adoption, de s’impliquer dans la vie sociétale du territoire”, raconte Vaheana Chang. Ce site a depuis évolué. Anāvai est désormais une fondation qui relaie des appels aux dons et aux bénévoles, qui offre des formations en gestion, comptabilité, communication ou bien encore en environnement. “Le développement durable est devenu indispensable et il nous semblait important d’avoir des notions dans ce domaine pour toutes réalisations.

Anāvai aide diverses associations telles que Ohana Here, à l’origine du Noël solidaire.
Faciliter les liens sociaux

La plateforme est aujourd’hui un outil qui a beaucoup gagné en notoriété. Avec elle, des associations de toutes tailles peuvent passer à l’action. “Il existe bien des plateformes ailleurs, comme Ulule par exemple, mais à l’ère du consommé local, Anāvai fonctionne bien”, se réjouit Vaheana Chang. Elle aimerait aller plus loin et devenir, dit-elle en plaisantant, “le Google polynésien du tissu associatif”. Très sérieusement, elle aimerait répertorier un maximum d’associations sur le site internet de la fondation pour devenir une référence. Actuellement, 72 y sont répertoriées. “Faire grandir ce chiffre ne dépendra pas que de nous”, reconnait Vaheana Chang. Mais elle s’attèle à la tâche quotidiennement. “Le site ne remplacera jamais les liens sociaux, mais il peut les faciliter.”

Echange universitaire Singapour 2014.
Une filière générale pour se lancer

Vaheana Chang vient de fêter ses 30 ans. Son parcours est déjà riche de rencontres, d’expériences, de savoirs. Elle est née à Tahiti. Elle a été scolarisée à l’école Tamanui de Paofai, au collège de Tipaerui puis au lycée Gauguin. “Je n’ai pas beaucoup bougé. Je suis restée dans le même bloc”, s’amuse-t-elle. En 2011, son baccalauréat en poche, elle s’est lancée dans des études de commerce. “Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. J’ai mis du temps à trouver !” C’est d’ailleurs l’une des raisons qui la poussent aujourd’hui à intervenir dans en environnement scolaire, à la moindre sollicitation. “Je présente Anāvai, mais surtout je parle de mon parcours car je trouve qu’à l’école on n’est pas sensibilisé et préparé à la suite. En termes d’orientation, on est limité. Enfin, quand j’y étais en tous les cas, on l’était.” Quand elle était à l’école, les seuls conseils donnés aux bons élèves étaient d’entrer dans une école d’ingénieur, de faire médecine ou de suivre une filière de droit. Vaheana Chang a opté pour ce qu’il y avait de plus général : le commerce.

Elle a effectué une année de prépa aux écoles de commerce en métropole. “Mais le système ne me convenait pas : c’était beaucoup trop stressant.” Alors, elle a pris la direction de Montréal, “une destination qui était à la mode”. HEC Montréal proposait un système d’apprentissage “un peu à l’américaine, mais sans les frais que l’on connaît aux États-Unis”. Vaheana Chang a intégré une filière licence administration des affaires.

Lors de ce cursus, elle a effectué un échange universitaire de 6 mois avec l’université de Singapour. Ce qui lui a donné le goût des voyages, de l’Asie et de la découverte. Puis elle a effectué une année de césure à Hong Kong. “De là a émergé l’idée que j’étais capable de séjourner dans un pays – disons – un peu moins occidentalisé”, se rappelle-t-elle. “Je me sentais prête pour vivre en Chine. Je me suis donc inscrite en master à Shanghai.” Avant de démarrer, elle a tout de même fait trois mois dans une école de langue où elle a suivi des cours intensifs de mandarin. “J’ai fait mandarin en langue vivante au collège et au lycée, mais j’avais besoin de progresser.

Master Shanghai 2016.
En quête de sens

Vaheana Chang a passé deux ans à Shanghai. “Quel Plaisir !” Elle a particulièrement aimé le fait de côtoyer des étudiants venus du monde entier. “On était une quarantaine, il y avait 26 nationalités dont certaines que je ne connaissais pas avant d’arriver !

Après tout ce temps passé en Asie, l’Europe a commencé à lui manquer. Elle a fait son stage de fin d’étude en France, où elle est restée 6 mois chez Airbus à Toulouse avant de travailler un an et demi chez Danone. “Emmanuel Faber était alors le P-dg, il a commencé à intégrer des notions de développement durable dans l’entreprise ; à envisager d’autres manières de faire du business.” Vaheana Chang s’est aperçue qu’elle était sensible à ces sujets. Toutefois, “il y avait encore trop de blabla”. Elle avait de plus une attirance pour les ressources humaines, la formation. “Je me suis alors demandé si le moment n’était venu pour moi de travailler pour une association ou une startup ?”. D’autant que Vaheana Chang dit être d’une génération “en quête de sens”. Elle ajoute, “le monde part en ruine, quitte à être stressée autant faire quelque chose qui me parle”. Elle a aussi commencé à envisager un retour aux sources, chez elle, à Tahiti.

Au Tech4islands 2022.
J’ai beaucoup voyagé, saisi de nombreuses opportunités. Lors de mes études, j’ai déménagé 9 fois en 9 ans ! Il m’est arrivé au début de me dire : ‘Mais qu’est-ce que je fais ici, toute seule, dans un pays que je ne connais pas !’” Le mouvement, l’inconnu, la nécessaire adaptation que cela implique sont petit à petit devenus sa zone de confort jusqu’à ce qu’elle entende l’appel du fenua. “J’ai parlé de tout cela autour de moi à mes amis, ma famille.” C’est alors qu’elle a rencontré Nuihau Laurey qui avait imaginé Anāvai. “Ce projet cochait toutes les cases : il y avait du contact humain, je me sentais utile, c’était concret et je pouvais redonner toute ce que j’avais reçu jusqu’alors.”

En démarrant, sa principale difficulté a été de réussir à expliciter le concept de la fondation, les intérêts et enjeux. Cette difficulté revient encore de temps en temps. Mais Vaheana Chang, motivée, persévérante, tient bon. Elle a donné corps à la fondation, elle poursuit son développement. En trois ans, pas moins de 57 projets ont été financés et 29 millions de Fcfp collectés. La confiance est installée.

Vaheana Chang a encore “quelques dossiers à mettre en place”. Mais un jour elle passera la main. “Il serait bon que d’autres prennent le relais et apportent une nouvelle vision.” Elle envisage de s’engager dans la RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NDLR] et le développement durable pour accompagner les entreprises. “Cela serait une suite logique me semble-t-il.” Quoi qu’il arrive, elle annonce vouloir rester en Polynésie et continuer à agir. “Je suis rentrée il y a trois ans et demi et je ne regrette pas.” Selon Vaheana Chang, la qualité de vie à Tahiti vaut toutes les découvertes du monde. Elle conclut : “Plein de choses se passent ici et il y a tellement de choses à mettre encore en place ! Notre génération est allée voir ailleurs, s’est emparée d’outils et d’idées et souhaite maintenant les adapter localement.


Contacts

Site internet]url:http://www.anavai.org/ de la fondation.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 15 Février 2023 à 17:56 | Lu 3317 fois