Vaccination : "La défiance a toujours existé"


Tahiti, le 22 novembre 2021 - Invité par l’association Proscience, le professeur Pierre Saliou, médecin, biologiste et enseignant, animera mardi soir à l'UPF une conférence intitulée “De la vaccine à l’ARNm, l’exaltante histoire de la vaccination”. Un rendez-vous qui prend tout son sens en période de crise sanitaire.

Vous allez nous éclairer sur la vaccination, peut-on savoir de quoi l’on parle, qu’est-ce que la vaccination ?

“La vaccination est l’inoculation d’un vaccin. Un vaccin est une préparation qui contient un microbe ou virus rendu totalement inoffensif soit parce que le pathogène est atténué soit parce qu’il est inactivé- ou contenant un fragment parfaitement défini du microbe. Une fois la préparation introduite dans le corps, le microbe inoffensif ou le fragment de microbe est confronté au système immunitaire, notre système de défense. Lequel va réagir. Le système immunitaire va considérer le microbe du vaccin comme un étranger et va fabriquer des armes spécifiques que sont les anticorps spécifiques. Quelques temps plus tard, lorsque que l’organisme rencontrera le microbe qu’on pourrait appeler sauvage, celui de la vie quotidienne, la réaction immunitaire se fait sans attendre. Grâce à cela, les personnes vaccinées ne développent pas la maladie ou, pour le cas du Covid par exemple, ne développent pas de formes graves.”

À quand remontent les premiers vaccins ?

“En fait, il y a eu un premier vaccin né des observations d’un médecin de campagne britannique qui s’appelait Edward Jenner. À la fin du XVIIIe siècle, on savait que les vaches pouvaient contracter une maladie non transmissible à l’homme appelée vaccine. Jenner avait remarqué en parallèle que des vachers ne tombaient pas malades de la variole en cas d’épidémie. Il a fait un lien entre les deux alors qu’on ne connaissait à l’époque ni les bactéries, ni les virus ! Et c’est en ce sens que l’histoire est vraiment passionnante. Il a prélevé du liquide de pustules directement sur les vaches qu’il a inoculé à des gens dès 1796. Cette date signe le début de l’histoire de la vaccination. J’en donne tous les détails dans mon intervention et je présente même quelques photographies de l’époque.”

Le vaccin ensuite a évolué et permis finalement d’éradiquer la variole, c’est bien cela ?

“En effet, en 1972, un dernier cas de variole a été identifié en Europe, puis en 1975 en Inde, en 1977 en Somalie et en mai 1980, un certificat d’éradication a été rédigé. En 1981, la vaccination antivariolique a été abolie puisque la maladie n’existait plus. Le virus de la variole est le seul virus connu qui ne circule plus sur la planète aujourd’hui. Et ce, grâce à la vaccination.”

Pour revenir au vaccin et à l’immunité induite par ce procédé, en combien de temps et pour combien de temps sommes-nous immunisés ?

“Tout dépend du virus. Il faut bien souvent faire des rappels pour être sûr d’avoir une immunité suffisante. Dans le cas d’un nouveau virus, il est difficile de prévoir le nombre de doses, de rappels, les temps de réponse, les délais entre doses et rappels. En janvier 2021, lorsque la vaccination contre le Covid-19 a commencé, nous ne savions pas combien de temps durerait l’immunité. Un rappel était à prévoir, mais sans savoir à quelle date. Aujourd’hui nous avons le recul. Le schéma vaccinal est parfaitement efficace avec deux doses et un rappel.”

Faudra-t-il prévoir une 4e ou 5e dose ?

“Nous ne pouvons pas le savoir mais vu le taux formidable d’immunité après le rappel, sans doute pas tout de suite. Reste que nous avons toujours au-dessus de la tête une épée de Damoclès, à savoir les variants.”

Qu’est-ce qu’un variant ?

“C’est un virus qui est génétiquement différent de la première souche, mais la différence est si petite que l’on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’un autre virus. Pour l’instant, des variants du Covid19 ont vu le jour mais sans modifier de manière significative la fameuse protéine Spike.”

Revenons sur cette protéine, et dites-nous en quoi elle est importante ?

“La protéine Spike se trouve sur l’enveloppe du virus. Elle est importante pour lui car c’est elle qui lui permet d’entrer dans les cellules de l’organisme. Elle est aussi importante pour nous car c’est elle que nous visons avec la vaccination, c’est notre molécule d’intérêt.”

Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

“Différents vaccins ont été mis au point. Les Chinois Sinovac et Sinopharm, ainsi que le franco-autrichien à venir sous peu Valneva sont des vaccins dits classiques car constitués de virus inactivés. Il y a le Moderna et le BioNTech Pfizer qui utilisent l’ARNm du SARS-CoV-2, et enfin Oxford, Astra-Zeneca, Jansen, Spoutnik qui sont issus de génies génétiques. Tous ont le même objectif, la production d’anticorps spécifiques, capables de reconnaître la protéine Spike du SARS-CoV-2. Si jamais le virus venait à muter et à changer sa protéine Spike, alors il faudrait changer la formulation des vaccins. Mais cela irait très vite, et notamment pour les vaccins à ARNm.”

Qu’est-ce que l’ARNm ?

“Il faut, pour le comprendre, revenir à l’ADN. Cette molécule se trouve dans les noyaux de chaque être vivant, sauf certains virus qui n’en possèdent pas et qui ont donc besoin d’un hôte pour survivre. Ils utilisent leur ADN. L’ADN porte l’information génétique. Mais il ne sort jamais du noyau de la cellule, or toute la machinerie capable de fabriquer les enzymes, protéines et autres molécules utiles au corps se trouve à l’extérieur du noyau. L’ADN est donc transcrit en ARNm, m pour messager, qui lui se trouve à l’extérieur du noyau, il ne rentre jamais dans le noyau. L’ARNm est, si l’on peut dire, une copie de l’ADN. La machinerie de fabrication lit l’ARNm pour assurer la production de protéines de l’organisme. Les vaccins Moderna et BioNTech Pfizer utilisent de l’ARNm.”

Comment fonctionne-t-il ?

“Dès l’apparition du virus en décembre 2019, des chercheurs ont séquencé le génome du SARS-CoV-2. Ils ont établi la séquence qui donne les indications de fabrication de la protéine Spike. En laboratoire, ils ont fabriqué l’ARNm qui entre dans la composition des vaccins. Fragile, cet ARN est enrobé dans une nanoparticule. Nano étant un terme qui veut dire petit. Il divise une unité par un milliard ! Une fois entré dans l’organisme, l’ARNm, qui n’entre pas dans le noyau je le rappelle et ne peut donc pas entrer en contact avec l’ADN, est pris en charge par toute la machinerie de synthèse. Cette machinerie produit des protéines Spike. Le corps découvre ces protéines, les considèrent comme étrangères. Et c’est alors que le système immunitaire se réveille pour fabriquer des anticorps spécifiques contre les protéines Spike. Le principe, grâce aux rappels de vaccination, est d’inscrire cette fabrication spécifique dans la mémoire immunitaire.”

Et en janvier 2021 nous avions déjà des vaccins ? C’est très court pour réaliser tout cela...

“D’habitude, c’est vrai, il faut plusieurs années entre l’idée et la mise sur le marché. Cela passe par la fabrication, des preuves de concept à fournir, des phases cliniques 1, 2 et 3. Mais il faut savoir que la technique de l’ARNm n’est pas nouvelle, elle a au moins 20 ans. Dès 2017, une publication scientifique faisait état de travaux sur un vaccin contre le Zika utilisant l’ARNm. Il y a eu énormément de moyens attribués pour la mise au point de vaccins et l’évaluation clinique. Il y a eu énormément de cas de maladie, ce qui a permis d’aller très vite statistiquement. Il y a aussi depuis un très grand suivi. En novembre 2021, 7 milliards de doses ont été administrées, nous avons du recul. Et, actuellement, les effets indésirables graves restent anecdotiques.”

Quels sont les avantages de l’ARNm ?

“La synthèse chimique a un rendement extraordinaire. Il s’agit d’une photocopie à grande échelle. Il n’y a pas d’étape de purification ni besoin d’adjuvant. Enfin, en cas d’apparition de nouveaux variants qui résisteraient aux vaccins existants, une adaptation serait possible rapidement. Le bémol est que l’ARNm est une molécule extrêmement fragile. La conservation du vaccin est contraignante, elle requiert du froid tout au long de la chaîne.”

Comment expliquer la défiance vis-à-vis des vaccins ?

“La défiance a toujours existé et a été cyclique dans l’histoire. Les réseaux sociaux accentuent actuellement cette défiance. Face aux hésitations, l’éducation pour la santé est indispensable, de même qu’une meilleure formation des professionnels de santé en vaccinologie.”
 

De la médecine à l’enseignement

Le professeur Pierre Saliou a d’abord été médecin puis biologiste des hôpitaux dans l’armée, professeur agrégé au Val de Grâce à Paris avant de quitter l’hôpital pour prendre le poste de directeur médical de Pasteur Vaccins. Un poste qu’il a occupé 17 ans. Il était en charge du développement médical des nouveaux vaccins et de leur suivi médical. Aujourd’hui retraité, il continue à partager son savoir notamment dans le cadre du cours international francophone de vaccinologie dispensé à Bordeaux. La vaccinologie est un concept récent, il date d’une vingtaine d’années. Il est entré dans le dictionnaire de l’Académie nationale de Médecine des termes médicaux mais aucun spécialiste n’est officiellement reconnu dans ce domaine. Pierre Saliou décrit la vaccinologie comme “l’ensemble des matières qui s’occupent des vaccins depuis la biologie en amont, jusqu’au suivi de vaccination en passant par la conception, le développement, les essais précliniques et cliniques”.
 

Pratique

Mardi 23 novembre 17h30, entrée libre, gratuite. Amphithéâtre A3 à l’université de Polynésie française.

Rédigé par Delphine Barrais le Lundi 22 Novembre 2021 à 17:36 | Lu 1573 fois