Une prime pour les gouverner tous


Tahiti, le 27 avril 2023 – Le second tour des élections territoriales ce dimanche verra la liste arrivée en tête décrocher 19 sièges de “prime majoritaire” à l'assemblée de la Polynésie française. Un mode de scrutin établi depuis 2011 pour éviter l'instabilité, mais qui a changé la pratique de la vie politique polynésienne ces dernières années, comme l'explique le politologue Sémir Al Wardi.
 
Un peu plus de 210 000 électeurs polynésiens sont appelés aux urnes ce dimanche pour le second tour des territoriales. Un second tour à l'issue duquel les 57 sièges des représentants à l'assemblée de la Polynésie française seront répartis pour les cinq prochaines années entre les trois listes toujours en lice : le Tavini huiraatira, le Tapura huiraatira et le A Here ia Porinetia. Particularisme du mode de scrutin en vigueur depuis 2011 pour cette élection, la liste arrivée en tête décrochera une “prime majoritaire” d'un tiers des sièges à Tarahoi. Soit 19 sièges de représentants, à hauteur de 4 sièges pour chacune des trois sections des îles du Vent, 3 sièges pour la section des îles Sous-le-Vent et 1 siège pour chacune des quatre sections des Tuamotu de l'Est et de l'Ouest, des Marquises et des Australes. Qu'il gagne d'une voix comme de dix-mille, le vainqueur sera ainsi assuré d'une large, et surtout “stable”, majorité à l'assemblée.
 
Outre ces 19 sièges de prime, le reste des 38 sièges de représentants à Tarahoi est réparti proportionnellement en fonction du score atteint par les listes qualifiées au second tour. Pour les matheux, c'est à la règle de la plus forte moyenne que sont répartis les derniers sièges de chaque section. Pour les chanceux, c'est au plus âgé des candidats que le siège est attribué en cas d'égalité parfaite des voix… On peut s'amuser à relever que ce mode de scrutin a pour l'instant donné la même répartition des sièges à chaque fois qu'il a été utilisé en 2013 et en 2018 au fenua : 38 au vainqueur, 11 au second et 8 au troisième. Il y a cinq ans, le Tapura avait obtenu 38 sièges pour 49,2% des voix, le Tahoera'a 11 sièges pour 27,7% et le Tavini 8 sièges pour 23,1%. Il y a dix ans, le Tahoera'a avait raflé 38 sièges avec ses 45,1%, le Tavini 11 sièges avec 29,2% et le A Ti'a Porinetia 8 sièges avec 25,6%... La comparaison avec le mode de scrutin proportionnel des territoriales de 2008 est éloquente. Le To Tatou Ai'a n'avait alors emporté "que" 27 sièges en terminant avec 42,8% des voix, juste devant un Tavini à 20 sièges pour 37,1% et un Tahoera'a à 10 sièges pour 17%...
 
À l'époque de la proportionnelle…
 
Comment en est-on arrivé à cette prime majoritaire en 2011 ? Celle-ci a été “imposée” par l'État pour en finir avec l'instabilité politique qui prévalait depuis le Taui de 2004, rappelle le politologue Sémir Al Wardi. Pour autant, ce n'est pas la première fois qu'un scrutin majoritaire était utilisé lors des élections territoriales en Polynésie française. Et il est paradoxal de relever que la toute première utilisation du scrutin majoritaire l'a justement été… en 2004 ! Avec les conséquences politiques que l'on connaît. “Lorsqu'on regarde l'histoire politique, on a toujours eu une représentation proportionnelle avec, à partir de 1982, des coalitions gouvernementales”, explique Sémir Al Wardi. “Puisque personne n'avait la majorité, le Tahoera'a s'est par exemple allié avec le Ai'a api, ensuite encore avec Here Ai'a, etc.  Mais comme le Tahoera'a arrivait en tête, c'est lui qui présidait la coalition.” Un changement est intervenu lors des territoriales de 1996. “Après les émeutes de 1995, Gaston Flosse a obtenu une majorité absolue à la proportionnelle. Ce qui est extrêmement rare. Même chose en 2001. Donc, en réalité, entre 1996 et 2004, c'était la première fois que le Tahoera'a de Gaston Flosse gouvernait seul. Ce qui est, j'insiste, exceptionnel vu le mode de scrutin.”
 
En 2004, la réforme du statut d'autonomie conduit à un retour aux urnes. Le mode de scrutin évolue. Il n'est plus proportionnel, mais devient majoritaire à l'intérieure de chacune des six circonscriptions. “Alors, c'est là qu'on est toujours un peu étonné. Pourquoi Gaston Flosse a-t-il voulu à tout prix changer le mode de scrutin et mettre en place une prime majoritaire par circonscription, alors que c'est ce qui a entraîné sa chute ?”, commente le politologue. “Alors que s'il n'avait pas changé le mode de scrutin, il avait la majorité. C'est sa décision, d'ailleurs par un amendement qu'il avait déposé à l'époque, qui a précipité sa chute.” Lors des territoriales partielles de 2005, c'est le même scrutin majoritaire par circonscription qui a été utilisé. Avant d'être changé en 2007 par deux fois. Un premier mode de scrutin est adopté en février 2007. Il ne sera jamais utilisé. Un second est voté en décembre 2007. Celui qui sera appliqué pour les territoriales de 2008.
 
La prime et les effets de la prime
 
Entre 2004 et la réforme de 2011, pas moins de 13 gouvernements et 9 alternances à la présidence se sont succédé. “Du coup, on s'est retrouvé avec une instabilité très forte entre 2004 et 2013. D'où l'idée de la République de changer de mode de scrutin, pour s'inspirer d'un mode de scrutin qui existait déjà à l'époque : celui des régions”, poursuit Sémir Al Wardi. À l'époque, l'instabilité chronique des 20 régions en Métropole avait été réglée par l'instauration d'un nouveau mode de scrutin avec une prime majoritaire. “On a donc décidé d'imposer à la Polynésie française un mode de scrutin arrangé pour qu'il corresponde au territoire. C’est-à-dire une seule circonscription et une prime équivalente tout de même à un tiers des sièges. C'est considérable.” Avantage du système, celui-ci a garanti une majorité stable depuis 2013 aux gouvernements successifs. Inconvénient, il ne reflète pas exactement l'expression démocratique du vote aux territoriales. “On peut toujours dire qu'on n'a pas une photographie réelle des forces politiques en présence, mais en même temps c'est peut-être le prix à payer pour arriver à une stabilité. Tant qu'il y a une instabilité, on ne peut pas faire de réforme”, résume Sémir Al Wardi.
 
Reste que ce changement de mode de scrutin en 2011 a profondément modifié le comportement de la classe politique au fenua. “D'abord, le premier point, c'est qu'il y a eu une circonscription unique”, explique notre politologue. “Ce qui veut dire qu'on a des listes à l'échelle de la Polynésie française. Auparavant, vous aviez aux Marquises des partis politiques marquisiens, qui attendaient la fin des élections pour décider de se rapprocher du pouvoir en place, donc de ceux qui avaient gagné les élections, et surtout pour se rapprocher des subventions et pour bénéficier des financements publics”. Aujourd'hui, les élus marquisiens tiennent leur archipel et appartiennent tous au même grand parti politique. “Ensuite, les petits partis politiques n'ont aucune chance. Auparavant, par le jeu de la proportionnelle, il était toujours possible d'être représentés a minima. Alors qu'aujourd'hui non. Ça veut dire clairement que les petits partis sont éliminés.” Exit les scénarios dans lesquels Nicole Bouteau et Philip Schyle pouvaient apparaître avec un seul siège chacun à l'assemblée, comme en 2004.
 
Il y a deux semaines, le seuil pour arriver au second tour était de 15 544 voix. Et il a éliminé quatre listes représentant plus de 20% de l'électorat. Soit 25 000 voix qui vont compter plus que jamais ce dimanche. Pour le second tour.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 27 Avril 2023 à 20:35 | Lu 3900 fois