Une philosophe des sciences lance la fête de la science 2017


Régis Plichart de l'association Proscience, maître d'œuvre local de l'organisation de la fête de la science en Polynésie et Bernadette Bensaude-Vincent, professeure de philosophie des sciences et des techniques.
PAPEETE, le 9 octobre 2017 - La fête de la science 2017 aura lieu du 11 au 13 octobre. Bernadette Bensaude-Vincent, professeure de philosophie des sciences et des techniques servira un "apéritif" à l'événement, une conférence sur l'éthique dans la recherche et l'innovation. Trois autres conférences suivront mercredi et jeudi sur des thèmes qui lui sont chers comme le rôle du public, l'impact des techniques sur l'humanité, sa vitesse d'évolution…

Tahiti infos : Vous allez parler d'éthique, qu'est-ce que l'éthique ?
Bernadette Bensaude-Vincent : "C'est une question, qui n'est pas seulement morale. Une question qui repose sur des valeurs mais aussi sur notre mode de vie, nos habitudes. Elle doit concerner tout le monde, les scientifiques, ingénieurs, techniciens, pouvoir public et grand public. Car la science et les technologies ont un grand impact sur nos vies, sur notre quotidien."

Tahiti Infos : À quoi sert l'éthique ?
Bernadette Bensaude-Vincent : "À tirer la sonnette d'alarme. Ce n'est pas elle qui réglemente ou régule, mais elle alerte, pose des éléments de réflexion. L'éthique a émergé après les procès de Nuremberg qui ont jugé les criminels de la seconde guerre mondiale. Des expériences sur les humains avaient été menées dans les camps de concentration, dans ce contexte une première commission d'éthique et les premières règles ont été posées pour que la science et les technologies avancent pour le bien des hommes. Depuis, toutes les grandes agences de recherche, les hôpitaux… ont des comités d'éthique."

Tahiti infos : Que font-ils ?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Nous avons un rôle consultatif, nous sommes saisis par les instituts ou nous travaillons sur des sujets donnés après auto-saisine. Aux instituts ensuite d'en tenir compte, ou non."

Tahiti Infos : Et le grand public dans tout ça, quel est son pouvoir ?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Celui de ne pas consommer tel ou tel produits par exemple, d'agir, parfois violemment, malheureusement, comme les faucheurs d'OGM pour lancer le débat. C'est vrai qu'il n'a pas de place dans les comités d'éthique, mais il doit participer aux débats."

Tahiti infos : Vous posez par ailleurs la question du dépassement, l'humanité peut-elle être dépassée par les techniques dites-vous, c'est-à-dire?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Un certain nombre de découvertes, de nouvelles techniques peuvent, il est vrai, apporter des solutions. Je pense par exemple aux nanotechnologies, aux implants auditifs. Ces découvertes réparent, soignent, mais dans quelle mesure resteront-elles utilisées pour de seuls traitements? Où se trouve la différence entre guérir un organisme et l'améliorer. Pourquoi ne pas utiliser cet implant pour améliorer les capacités d'un homme en bonne santé? Un courant se dessine quant à la nécessité de cet homme augmenté."

Tahiti infos : Quel est-il?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Certains pensent que nous ne pouvons plus agir sur l'environnement, nous ne pouvons plus trouver de solutions aux problèmes qui apparaissent, reste à agir sur l'homme pour qu'il puisse s'adapter à l'environnement de demain…"

Tahiti Infos : Vous abordez-là la question de l'homme augmenté? Quel problème ou questions à ce propos?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Celui, notamment, des inégalités sociales qui vont se creuser. Elles existent déjà aujourd'hui mais vont être exacerbées demain. Certains auront les moyens d'être des hommes ou des femmes augmentées, d'autres non. Et quel chemin pour ces personnes augmentées dans l'environnement d'aujourd'hui, dans le cadre légal qui le nôtre actuellement?"

Tahiti Infos : Quel(s) message(s) souhaitez-vous transmettre au public à l'occasion de vos conférences?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Qu'il se saisisse des questions dans le domaine des sciences et technologies, qu'il soit alerté, qu'il se sente concerné car cela nous concerne tous. Ce qui me fait le plus mal c'est d'entendre et de voir des personnes indifférentes à ces questions, que ces personnes ne s'intéressent pas au sujet, qu'elles restent loin considérant qu'elles ne comprennent rien. Ça demande du travail d'essayer de comprendre mais c'est nécessaire. La science et les technologies ont un tel impact sur notre vie, prenez par exemple les phtalates, ces perturbateurs endocriniens. Si aucune étude ne le prouve encore, leur présence est fortement corrélée à la grande augmentation de stérilité masculine."

Tahiti Infos : Vous dites-là que l'information du public est la solution ?
Bernadette Bensaude-Vincent : "Oui, à condition de réfléchir aux conditions d'information. Il n'y a jamais d'information neutre. Parlons par exemple d'environnement, utiliser le terme urgence par exemple est déjà un biais."

Qui est Bernadette Bensaude-Vincent ?

Professeur émérite de philosophie des sciences et des techniques à l'université de Paris 1 –Panthéon-Sorbonne, elle a dirigée plusieurs programmes de recherche sur l'histoire et la philosophie des sciences et techniques (nanotechnologies, biologie de synthèse) comme sur les rapports entre science et public. Elle siège dans plusieurs comités d'éthique, est membres de l'académie des technologies et chevalière de la légion d'honneur.

Rendez-vous

Mardi 10 octobre à 18 heures dans l'amphithéâtre de la Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) : pourquoi une éthique de la recherche et de l'innovation?
Mercredi 11 octobre de 10 à 11 heures salle J. Teariki dans le hall de l'assemblée de Polynésie française : quel rôle pour le public dans les sciences et techniques?
Mercredi 11 octobre de 16 à 17 heures salle J. Teariki dans le hall de l'assemblée de Polynésie française: l'humanité peut-elle être dépassée par les techniques?
Jeudi 12 octobre 12 à 13 heures salle J. Teariki dans le hall de l'assemblée de Polynésie française : faut-il ralentir?

Pourquoi une éthique de la recherche et de l'innovation, le pitch

L'éthique est devenue un passage obligé dans le monde de la santé comme de la recherche université. Et, cette obligation est parfois regardée comme une corvée, une contrainte, par les chercheurs et les industriels. À quoi répond cette exigence nouvelle : à des abus, des oublis, à des changements de valeurs, de pratiques de recherche et d'innovation? On présentera les courants d'éthique mis en œuvre dans la recherche et l'innovation, notamment au sein de la commission européenne. On discutera des avancées réalisées au cours des dernières décennies en matière de régulation et des obstacles rencontrés.

Rédigé par Delphine Barrais le Lundi 9 Octobre 2017 à 17:08 | Lu 1424 fois