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Une loi sur les pratiques commerciales pour améliorer le droit de la concurrence


PAPEETE, le 14 décembre 2014 - La loi sur les pratiques commerciales a été votée. Obligation d'établir des factures, interdiction du chantage commercial, établissement d'un délai de paiement par défaut… Le texte se vend comme un instrument pour défendre les petits producteurs contre les gros distributeurs. Les commerçants, eux, dénoncent un interventionnisme abusif.


Surnommé "petit droit de la concurrence", la loi de pays sur les relations commerciales a été votée en novembre dernier. Elle ajoute un chapitre entier au droit de la concurrence, le "Livre IV – La transparence et la loyauté des relations commerciales".

Le texte formalise ainsi un ensemble d'obligations pour tous les agents économiques :

- établir des factures et y mentionner le prix unitaire et les ristournes accordées
- mettre à disposition de tout professionnel qui le demande ses conditions générales de vente (qui incluent les barèmes unitaires et les ristournes accordées), ou à défaut établir un devis détaillé
- l'obligation de payer les sommes dues sous 30 jours sauf si ce délai est prévu par contrat (et dans ce cas il ne peut dépasser 60 jours après l'émission de la facture)

Protéger les petites entreprises

Sandra Levy-Agami, rapporteur de la loi, explique qu'outre la formalisation des échanges entre entreprises, le texte s'attache surtout à protéger les petites sociétés contre leurs gros partenaires commerciaux : "le droit de la concurrence voté en juillet est venu organiser un cadre pour défendre les consommateurs, et là, on organise les pratiques entre professionnels pour protéger les petits producteurs."

Par exemple les agents commerciaux ont désormais l'interdiction d'imposer un prix minimal de revente, une pratique qui est actuellement courante. D'autres pratiques sont interdites : les clauses dites "de la nation la plus favorisée" ; l'obligation de payer pour être référencé ; les remises ou ristournes rétroactives ; l'interdiction de revendre des créances (l'escompte bancaire).

Le texte limite aussi "les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs, en contrepartie de services spécifiques." Par exemple quand la grande distribution facture à ses fournisseurs les têtes de gondole. Ces pratiques restent autorisées, mais "doivent faire l'objet d'un contrat, qualifié de contrat de coopération commerciale" dont la portée est limitée par la loi.

Aider les producteurs locaux face à la grande distribution

Les agriculteurs, horticulteurs, pêcheurs et éleveurs locaux bénéficient de protections supplémentaires :

- ils doivent être payés en moins de 10 jours à compter de la réception des marchandises s'ils réalisent moins de 500 000 Fcfp de chiffre d'affaires mensuel avec le distributeur, un délai rapporté à 15 jours s'ils sont au-dessus de cette limite
- leurs produits "ne peuvent faire l'objet de remises différées, de droits d'entrée, de primes ou commissions de référencement"
- Sandra Levy-Agami affirme également que la loi va permettre aux petits producteurs de "négocier des accords avec les distributeurs pour éviter les fluctuations de prix."

Dans tout le texte, les amendes prévues sont globalement de 500 000 Fcfp pour une personne physique et de 8,9 millions Fcfp pour les entreprises. Il y a quelques exceptions, comme le fait d'imposer un prix minimal qui n'est passible "que" de 1,7 million Fcfp d'amende, ou les pratiques déloyales (voir encadré) qui, elles, risquent jusqu'à 230 millions Fcfp d'amende civile. Elles sont doublées en cas de récidive dans les deux ans.

Ce sont les agents de la direction des affaires économiques (DGAE) qui vont chercher les infractions concernant la facturation, les conditions de vente, les délais de règlement et les coopérations commerciales. Concernant les pratiques déloyales, "l'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt ou le ministère public."

Extrait des dispositions concernant la "loyauté commerciale"

Toute société engage sa responsabilité et devra réparer les préjudices qu'elle cause si elle :
1° Obtient ou de tente d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ;
2° Soumet ou tente de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
4° Obtient ou tente d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;
5° Rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie (…) ;
9° Passe une commande de produits ou de prestations de services à un prix différent du prix fixé à l'issue de la négociation commerciale.


Gilles Yau
Gilles Yau
La Fédération générale du commerce reste opposée au texte

Gilles Yau, président de la Fédération générale du commerce (FGC), était opposé à la loi sur le droit de la concurrence votée en juillet, et reste vent debout contre ce nouveau texte :

"Nous constatons que la plupart de nos remarques et celles du CESC, des professionnels et des universitaires qui ont été consultés n'ont pas été retenues. Ces dispositions visent à créer plus de contraintes, on va exactement dans le sens inverse d'une simplification des procédures et de la facilitation de la vie des agents économiques. Ce qui est prévu, c'est un harcèlement administratif qui s'impose à tous jusqu'au secteur primaire. Les producteurs de taro, de légumes, les vendeurs de firi firi ou de plats emportés vont devoir entrer eux-aussi dans le formalisme juridique et établir des factures sous peine d'amende. Tout cela cache en fait une volonté de l’administration d’encadrer toute l’économie, pour mieux les taxer. Plus de contraintes administratives, plus d’amendes, plus de peine de prison… chaque opérateur économique sera à la merci de la dictature des petits chefs, est-ce cela la loi sur la concurrence ? En quoi cela va-t-il rendre les prix plus attractifs et permettre une concurrence saine et loyale ?"

Le point qui mobilise le plus les commerçants : "les amendes sont beaucoup plus élevées que celles prévues en métropole, et ce texte donne tout l'arsenal répressif et de contrôle à la direction des affaires économiques (DGAE), alors que l'on créé la Haute autorité de la concurrence pour s’occuper de ce dossier. Les agents assermentés de la DGAE refusent de lâcher la moindre parcelle d'autorité. Ils vont juste pouvoir user encore plus de leur pouvoir discrétionnaire pour imposer des amendes mirobolantes, et les procédures contradictoires ne sont pas respectées."

Il termine par une petite phrase assassine : "plus que jamais, il vaut mieux être fonctionnaire que commerçant !"

Et l'Autorité de la concurrence ?

L'Assemblée a également voté une résolution demandant à l'État d'appliquer à la Polynésie des dispositions qui autoriseraient l'Autorité de la concurrence à prononcer des sanctions pénales. Dès qu'elles seront en place, peut-être au premier semestre 2015, l'Autorité pourra être mise en place puisque son financement a été intégré au budget du Pays.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Dimanche 14 Décembre 2014 à 16:43 | Lu 3672 fois