Une cérémonie de réconciliation à Paris entre protagonistes d'Ouvéa


PARIS, 9 novembre 2011 (AFP) - L'avant-première parisienne, lundi, du film "L'Ordre et la Morale" sur les événements d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie en 1988 (sortie le 16 novembre) a permis une cérémonie de réconciliation selon la coutume kanake entre les protagonistes, a raconté mercredi à l'AFP le producteur, Christophe Rossignon.

"Les Kanak ont organisé une coutume de réconciliation, dans mon bureau, avec les familles des gendarmes et Philippe Legorjus", ex-capitaine du GIGN initialement chargé d'une médiation pour obtenir la libération des 27 gendarmes retenus en otages, a rapporté M. Rossignon à l'AFP.

"Il y avait la soeur d'Alphonse Dianou (le chef du commando), son neveu qui joue son rôle dans le film, les acteurs qui ont participé à la prise d'otages et la veuve d'une gendarme tué lors de l'attaque (de la gendarmerie), d'anciens otages de la grotte, dont un blessé par balle..".

Le producteur évoque une cérémonie empreinte "d'émotion, de larmes, de compréhension ... ce que j'aime dans l'humain".

"Je n'avais pas anticipé ça en faisant ce film", confesse-t-il en rappelant qu'au départ, une partie de la population kanak était hostile au film qui passait par la trame narrative du capitaine Legorjus, "un traître".

"Mais les sages nous ont demandé de nous expliquer, ce que j'ai fait pendant trois heures après Mathieu Kassovitz. Au bout de trois heures, ils ont donné leur accord", se souvient-il.

"L'Ordre et la Morale" de Mathieu Kassovitz revient sur les graves événements qui ont secoué la Nouvelle Calédonie en 1988: le 22 avril, des indépendantistes kanak attaquaient la gendarmerie d'Ouvéa, emmenant vingt-sept personnes en otage. Le 5 mai, le gouvernement et le président de la République autorisaient un assaut militaire dans la grotte où ils étaient retenus, faisant 21 morts, dont 19 Kanak.

Le capitaine des gendarmes d'élite Philippe Legorjus, envoyé sur place pour tenter une médiation, considère qu'il n'a pas eu le temps de conduire sa mission alors que les négociations étaient encore en cours.

ach/fa/fm

Christophe Rossignon, producteur de "L'Ordre et la Morale", pour un "cinéma de l'humain"

A la tête de Nord-Ouest Films, Christophe Rossignon a accompagné la difficile genèse du film de Mathieu Kassovitz, "L'Ordre et la Morale" (sortie le 16 novembre), tourné en Polynésie.

Après "Présumé coupable", "Welcome", "La Haine", le producteur revendique un "cinéma de l'humain": "des films qui donnent à penser sans imaginer changer le monde", explique-t-il à l'AFP.

Q: "L'Ordre et la morale" fut un film compliqué à monter: parlez-vous de censure pour autant?

R: Ce fut un parcours long, compliqué, des heures de démarches. Après des mois, le ministre de la Défense de l'époque, Hervé Morin, m'a reçu pour me dire que l'armée ne nous soutiendrait pas: elle estimait que le seul fait de relater cette histoire la mettrait à mal. Même si Michel Rocard a reconnu que des exactions s'étaient produites lors de l'assaut contre la grotte. Et que Kassovitz s'est gardé de toute caricature.

Puis nous avons dû renoncer à tourner en Nouvelle-Calédonie, les plaies étaient sans doute encore trop ouvertes. Et récemment, le distributeur local, un exploitant privé qui avait signé pour une copie sur le Territoire, a changé d'avis, jugé le film trop partisan et fait état de possibles troubles à l'ordre public... Finalement on sortira quand même le film en Calédonie sur trois copies, en décembre.

Q: Est-il particulièrement difficile en France de revisiter la mémoire récente au cinéma?

R: Est-ce plus facile ailleurs? demandez aux Japonais si c'est facile de faire des films relatant les exactions commises sur les Chinois pendant la Seconde Guerre mondiale ! En Amérique, c'est culturel, ils reviennent facilement sur le passé. Mais j'ai l'impression que le reste du monde n'y parvient pas.

Ici, ce n'est pas le pouvoir qui bloque: ce sont les militaires, les fonctionnaires... Pour "Présumé Coupable", le patron de la pénitentiaire était l'ex-procureur de la République de Douai pendant l'affaire Outreau: il n'a pas eu envie de nous faciliter la tâche.

J'ai produit beaucoup de films difficiles pour lesquels il a fallu se battre: "La Haine", en banlieue, "Joyeux Noël", en Roumanie... l'armée - déjà- ne voulait pas entendre parler du film: des types qui ont fraternisé dans les tranchées sont des traitres à la patrie. Même cent ans plus tard.

Q: "Présumé coupable", "Welcome", "L'Ordre et la morale", "Toutes nos envies": Outreau, l'immigration, Ouvéa, le surendettement... vous aimez susciter le débat?

R: Je fais des films qui parlent à l'humain, qui parlent des humains, qui donnent à penser, sans jamais imaginer qu'ils vont changer le monde. Quand Philippe Lioret me raconte "Welcome", je suis ému par ce jeune homme kurde qui veut traverser la Manche pour rejoindre la fille qu'il aime; par les Kanaks dont veut parler Mathieu (Kassovitz); par l'histoire d'Alain Marécaux que raconte Vincent Garenq.

Je ne veux pas refaire l'histoire ni changer le monde. Je suis un faiseur instinctif: c'est ma liberté.

On peut traiter des sujets qui fâchent, en France; mais on n'en a pas toujours l'envie, ni dans le public ni parmi les cinéastes.

(propos recueillis par Anne CHAON)

Rédigé par AFP le Mercredi 9 Novembre 2011 à 11:53 | Lu 869 fois