Une cagnotte pour éliminer la petite fourmi de feu des vallées à Monarques


Un jeune Monarque (tout duveteux en jaune) réclame un insecte à grignoter à l'un de ses parents.
Tahiti, le 23 juillet 2020 - L'association Manu mène une lutte sans merci contre la petite fourmi de feu, une tueuse en série qui menace les tous derniers Monarques de Tahiti. Après avoir éliminé une méga-colonie à Te Maru Ata, elle veut maintenant exterminer cette espèce invasive à Papehue, grâce à un programme financé en partie par le grand public.

Les passionnés d'oiseaux de Polynésie fêtent cette année 2020 une grande victoire : pour la première fois depuis que les scientifiques s'intéressent à cet oiseau, la population des Monarques de Tahiti a atteint les 94 individus adultes (dont 48 reproducteurs). La vétérinaire Caroline Blanvillain, chargée de programme pour l'association Manu, se rappelle que "en 1998, quand on avait fait le premier recensement, on avait compté 22 individus adultes. Donc on est très bien partis. Cette saison de reproduction il y a aussi eu d'autres records : 29 jeunes Monarques se sont envolés et ont survécu ! Le précédent record était de 21 jeunes en 2016. Donc cette année il s'est envolé plus de Monarques qu'il n'y en avait au début du programme de sauvegarde ! Donc on est très bien partis."

Malgré ces très bons chiffres, l'association reste mobilisée contre les nouvelles menaces qui s'attaquent à l'oiseau endémique de notre île : "Comme l'équilibre naturel de Tahiti a été rompu avec l'arrivée des espèces invasives, on ne pourra jamais restaurer complètement l'environnement" explique Caroline Blanvillain. "On ne pourra pas éliminer les fourmis de feu, les rats ou les oiseaux invasifs sur toute l'île, donc il faudra continuer d'entretenir les vallées à Monarques comme des jardins. Si on arrête de protéger les sites, ce sont les femelles qui seront tuées ou blessées en premier. Elles sont les plus vigoureuses pour défendre les petits au nid et elles se font tuer par les rats noirs et les oiseaux introduits, merles des Moluques et bulbuls, qui sont particulièrement agressifs. Les Monarques fuient également le rouleau compresseur de la Petite Fourmi de Feu (PFF), dont les méga-colonies avancent de 50 à 100 mètres par an. Quand elles s'installent, elles mangent tout sur leur nouveau territoire et elles attaquent même les gros animaux, en les rendant aveugles. Elles colonisent même les arbres, donc les Monarques ne sont pas en sécurité."

800 000 francs à collecter pour exterminer la PFF de Papehue

Justement, depuis cinq ans, Manu a beaucoup investi pour lutter contre la PFF dans les vallées à Monarques de Punaauia et Paea. Cette peste animale avait colonisé près de 70 hectares dans les vallées à Monarques, menaçant de submerger ces "jardins" où l'association élimine les animaux et plantes invasives, pour planter des espèces locales et créer un espace favorable à toutes nos espèces endémiques. Manu a même mis au point de nouvelles façons d'attaquer la PFF sur des dizaines d'hectares de terrains contaminés, avec des résultats impressionnants : pour traiter toute une zone forestière jusqu'en haut des arbres, les drones de Matara'i ont été mis à contribution. Il y a deux ans et demi, une méga-colonie de PFF a été traitée de cette manière à Te Maru Ata. Aujourd'hui encore, elles ne sont pas revenues à l'exception de quelques recontaminations faciles à traiter, sans doute causées par des transports de terre contaminée (voir encadré).

Il reste aujourd'hui deux méga-colonie, une immense au PK 17 et une autre de 8 hectares à l'entrée de Papehue (PK 18,2), en flanc de montagne. Il s'agit de l'entrée de la "vallée des Monarques", un lieu protégé où vivent la moitié des Monarques de Tahiti. Pour s'en occuper, l'association a besoin d'un budget conséquent. Le poison anti-fourmis sera financé par la mairie de Punaauia (pour un million de francs). Pour financer l'épandage, la moitié du budget est apporté par la National Geographic Society, le Mohameb Bin Zayed Fund, les mairies de Papeete et de Taiarapu Est... Et le grand public. En effet, une cagnotte a été lancée sur la plate-forme Anavai, gérée par une fondation locale de soutien aux associations polynésiennes, pour lever les 800 000 francs encore nécessaires. Les deux-tiers de la somme ont été trouvés, il reste un peu plus de 270 000 francs à récolter dans les trois prochains jours.

Caroline Blanvillain explique que "cette cagnotte a été remplie par des particuliers, ce sont des dons donnés spécialement pour cette opération. Ils ont été versés soit directement sur Anavai.org, soit versés à l'association et nous avons tout remis dans la cagnotte. Ils serviront au traitement de l'entrée de la vallée de Papehue, en bordure des habitations. Un premier traitement à pied n'a pas fonctionné, donc nous allons utiliser les drones, comme pour les falaises de Te Maru Ata. Cette méthode s'est révélée très efficace pour traiter les colonies forestières, car la PFF forme des colonies jusqu'au sommet des arbres ! Le but c'est qu'après ce traitement, la fourmi soit éradiquée et on n'aura plus besoin de traiter, on en sera débarrassé définitivement à condition que les gens fassent attention à ne pas ramener la PFF chez eux. Il faudra juste surveiller qu'aucune nouvelle colonie ne se développe. On pourra alors s'attaquer à d'autres méga-colonies, celle de PK 17 et celles autour des zones à Monarques pour créer une sorte de zone tampon."

Une méthode qui cible la PFF

Certains critiquent l'utilisation du poison, mais la vétérinaire est catégorique : la PFF est bien pire pour notre environnement : "Le produit que nous utilisons se dégrade très vite à l'air et à la lumière, donc il n'y a pas d'impact après le traitement. Il va tuer les insectes qui consomment les appâts, qui sont très attractifs pour les fourmis de feu. Comme on le répand sur le territoire des PFF, ce sont elles les victimes. Il faut bien comprendre que dans les méga-colonies de PFF, il n'y a plus aucun autre insecte. On a vu dans une étude financée par la Diren que les territoires traités était repeuplés spontanément par toute une biodiversité d'insectes après 6 mois, alors qu'avant le traitement il n'y avait plus que des fourmis de feu et des pucerons, qu'elles élèvent pour le miellat."

Le volontarisme de cette association et de ses bénévoles pourrait bien aboutir à un petit miracle : si la population de Monarques de Tahiti dépasse le seuil des 50 adultes reproducteurs 5 années consécutives, l’espèce ne sera plus classée "en danger critique d’extinction / CR" mais "en danger d’extinction / EN" selon les critères de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature. Le Monarque de Tahiti pourrait ainsi échapper à l'extinction de masse qui frappe les animaux de notre planète, où une espèce disparait pour toujours toutes les 20 minutes...

>>> La cagnotte sur Anavai.org


Les 5 comportements à risques pour la PFF

Le traitement par drones s'est révélé très efficace à Te Maru Ata, c'est donc la méthode qui sera utilisée pour exterminer la PFF de Papehue.
La Petite Fourmi de Feu se répand à travers toute la Polynésie à cause de ces cinq comportements à risque exécutés sans prendre garde à l'invasive :
· Ramener de nouvelles plantes ou des fragments végétaux (coco, oiseaux de paradis…) chez soi
· Utiliser du terreau venant de l’extérieur
· Faire des travaux d’enrochement/remblai/gravier
· Aménager ou louer à de nouveaux locataires (la PFF est partout)
· Récupérer des déchets variés (déchèterie, bord de route)

En cas de doute, faites un test : quelques gouttes de beurre de cacahouète sur l’objet à risque. Une heure après, si une minuscule fourmi orange et lente est visible, il est probablement contaminé par la PFF et vous ne devez surtout pas le déplacer dans une zone non contaminée. Pour être certain de l'identification, envoyez votre échantillon à la DIREN.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 23 Juillet 2020 à 17:48 | Lu 1906 fois