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Un projet d'incinérateur à 20 milliards : la Polynésie face à l'urgence des déchets


Le Pays souhaite construire une Unité de valorisation des déchets – un incinérateur – sur le site de Nive’e. L'objectif étant de répondre à l'urgence de la gestion des déchets au Fenua. Crédit photo : Archives TI.
Le Pays souhaite construire une Unité de valorisation des déchets – un incinérateur – sur le site de Nive’e. L'objectif étant de répondre à l'urgence de la gestion des déchets au Fenua. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 2 mars 2025 - La Polynésie veut transformer sa gestion des déchets avec la construction d’un incinérateur à Nive'e. Capable de traiter 70 000 tonnes par an, tout en produisant de l’électricité, ce projet ambitieux, encore à l’étude, représente un investissement colossal de 20 milliards de francs.
 
La gestion des déchets en Polynésie française est un casse-tête récurrent. Entre infrastructures coûteuses, manque de foncier et imbroglio administratif entre les communes et le Pays, la question devient critique à mesure que les centres d’enfouissement arrivent à saturation. Parmi eux, le site de Paihoro, qui absorbe les ordures ménagères, devrait arriver à saturation d'ici 10 à 15 ans. Un écueil auquel le Pays compte répondre par la construction d’une Unité de valorisation énergétique (UVE) : un incinérateur destiné à brûler les déchets tout en produisant de l'électricité.
 
Ce projet, qui est encore à l'étude, s'inscrit dans le nouveau Schéma territorial de prévention et de gestion des déchets (STPGD) 2024-2035. La Direction de l’environnement (Diren), en collaboration avec le syndicat Fenua Ma – qui gère les déchets de 12 des 13 communes des îles du Vent hors Faa'a – en a fait une priorité. À noter que cette UVE sera exploitée par une société privée.
 
Nous avons peu d’options pour traiter et valoriser les déchets. La pyrolyse, souvent présentée comme une solution miracle, n’est pas adaptée au Fenua. Nous préférons une technologie éprouvée, et les UVE ont fait leurs preuves, notamment en France”, explique Heiava Samg Mouit, cheffe de projet gestion des déchets à la Diren. “D’ici 15 ans, le CET de Paihoro fermera. L’incinérateur nous permettra de réduire drastiquement la part des déchets enfouis.”
 
Une infrastructure coûteuse
 
L’infrastructure serait implantée à Nive'e, sur un foncier de 118 hectares appartenant au Pays. Ce site, situé au PK 21 à la frontière de Papeno’o et Tiarei, abrite déjà un incinérateur de déchets anatomiques géré par le CHPF et un centre d’enfouissement pour déchets dangereux (en cours de rénovation). Mais construire une UVE ne se fait pas en un claquement de doigts. Les études techniques s’achèveront d’ici la fin de l’année et détermineront la faisabilité d'un tel projet. Ensuite, ce sera au tour de nouvelles études, de consultations publiques, des travaux de terrassement et enfin de l'achat et de l'installation de l'incinérateur. Au total, douze années seront nécessaires avant sa mise en service.
 

Le CET de Paihoro devrait arriver à saturation d'ici une quinzaine d'années. Crédit photo : Archives TI.
Le CET de Paihoro devrait arriver à saturation d'ici une quinzaine d'années. Crédit photo : Archives TI.
Le coût du projet est, lui, pharaonique. Il est évalué à 20 milliards de francs. “Nous devrons chercher des financements, que ce soit auprès de l’État ou de l’Union européenne. Le Pays ne pourra pas assumer seul cette facture. On va devoir chercher des bailleurs de fonds”, prévient Heiava Samg Mouit. Mais l’investissement pourrait en valoir la peine : l’incinérateur serait en mesure de traiter 70 000 tonnes de déchets par an. À titre de comparaison, Fenua Ma collecte 34 000 tonnes d'ordures ménagères non recyclables par an, auxquelles s'ajoutent les déchets des autres communes polynésiennes. “Il faut aussi savoir que 80% des déchets ménagers en Polynésie viennent des îles du Vent.”
 
L’impact environnemental sous surveillance
 
Toutefois, si l’UVE réduit le volume de déchets à enfouir, elle n’en reste pas moins une source de pollution. “Certes, mais laisser les déchets s’accumuler dans la nature ou dans des décharges sauvages l’est tout autant. Lorsqu’un incendie se déclare dans un centre d’enfouissement, il n’existe aucun système pour filtrer les fumées toxiques. Nous devons trouver une alternative. Il faut garder en tête qu'il n’y a pas de solution miracle”, souligne la cheffe de projet.
 
L’incinération dégage divers polluants : monoxyde de carbone, oxyde d’azote, dioxyde de soufre... Pour y remédier, la Polynésie compte investir dans un système de filtration performant, certes coûteux, mais essentiel pour limiter l’impact environnemental. L’incinérateur produira également des résidus toxiques appelés “Refiom”, qui sont des résidus d’épuration des fumées d’incinération d’ordures ménagères. “Ce sont ces déchets-là qui sont dangereux. On va utiliser une technique qui consiste à les emprisonner et les stabiliser dans du béton avant de les enfouir dans les casiers du CET pour déchets dangereux du site de Nive'e. C'est une technique de stabilisation déjà éprouvée ailleurs”, explique Heiava Samg Mouit. Quant au mâchefer – résidu non dangereux de l’incinération –, il pourrait être recyclé en sous-couche routière, comme cela se pratique dans l'Hexagone.
 
De plus, un comité de suivi composé notamment d'au moins une association de protection de l’environnement sera créé pour veiller au respect des normes et alerter en cas de dérives. “Si nous voulons que ce projet aboutisse, la transparence et la communication sont essentielles”, insiste la responsable du dossier.
 
Un traitement coûteux
 
Si le coût d’exploitation d’une UVE est bien supérieur à celui d’un centre d’enfouissement, la question du financement reste en suspens. Au total, le coût de l'incinération revient jusqu'à 35 000 francs la tonne contre 26 000 francs pour un centre d'enfouissement. “Nous voulons réviser le système fiscal afin d'éviter une hausse de la redevance pour les usagers”, annonce Heiava Samg Mouit. Le Pays envisage donc la mise en place de la “responsabilité élargie du producteur (REP)”, basée sur une écotaxe ciblant les importateurs de produits polluants, conscient qu'il ne serait pas possible de répercuter cette différence de prix directement sur la population. “Nous nous inspirons du principe du pollueur-payeur : les entreprises qui importent des déchets électroniques, des batteries, des huiles... devront contribuer à hauteur de leur impact”, précise-t-elle.
 

Une plateforme de démantèlement des véhicules hors d’usage devrait également être installée sur le site de Nive’e. Le Pays souhaite faire du site un grand complexe de gestion des déchets. Crédit photo : Archives TI.
Une plateforme de démantèlement des véhicules hors d’usage devrait également être installée sur le site de Nive’e. Le Pays souhaite faire du site un grand complexe de gestion des déchets. Crédit photo : Archives TI.
En plus de traiter les déchets, l’UVE produira donc de l'électricité. Une énergie loin d'être propre mais qui répond à un double besoin : éliminer les déchets et valoriser leur combustion. L’incinérateur devrait générer 30,3 GW par an, 4,3 GW qui seront utilisés sur le site et 26 GW qui seront injectés dans le réseau, couvrant ainsi 5 % de la consommation électrique de Tahiti, soit l’alimentation de 1 800 foyers.
 
Nive'e, futur pôle de traitement des déchets
 
L’UVE est d'ailleurs la pièce principale du vaste puzzle que le gouvernement souhaite mettre en place à Nive'e, qui deviendrait le centre névralgique du traitement des déchets en Polynésie. Y sont prévus, entre autres, d'autres casiers de CET pour déchets dangereux, une unité de regroupement des matériaux, une unité de compostage, une plateforme de démantèlement des véhicules hors d’usage et peut-être même un centre de tri.
 
Reste un obstacle majeur : l’approvisionnement en eau du site, indispensable pour respecter les normes anti-incendie. Une contrainte supplémentaire pour un chantier déjà titanesque. Mais la gestion des déchets en Polynésie est à ce prix.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Dimanche 2 Mars 2025 à 13:00 | Lu 4138 fois