Un petit paradis perdu du Népal bouleversé par l'arrivée d'une route


Lo Manthang, NEPAL | AFP | lundi 18/07/2016 -Havre de tranquillité fermé aux visiteurs jusqu'en 1992, l'ancien royaume bouddhiste du Mustang au Népal est confronté à une profonde mutation depuis l'ouverture d'une autoroute et son déferlement de produits de grande consommation.

Les lampes au kérosène ont laissé place aux panneaux solaires, les baskets ont remplacé les bottes en peau de vache cousu main et les paraboles satellite couvrent les toits des maisons médiévales blanchies à la chaux de cette région voisine du Tibet.

Les traditions de cet ancien royaume disparaissent avec le temps et les jeunes veulent accélérer le changement, à l'image de Tsewang Norbu Gurung, qui vit dans la capitale fortifiée, Lo Manthang.

"Je me souviens quand nous avons reçu la télévision népalaise ici il y a dix ans. Nous devions payer 20 roupies (18 centimes) pour la regarder pendant trois heures chez quelqu'un", dit Gurung.

Pratiquement tous les foyers ont désormais leur télévision, importée de Chine ou d'Inde, et les jeunes gens comme Gurung, 30 ans, passent leur soirée à regarder des films Bollywood, des drames tibétains ou des matchs de foot.

Installés dans une gargote de thé avec des amis, le regard rivé sur un écran, Gurung explique à l'AFP que la route a transformé la vie à Lo Manthang.

"Auparavant tout - le riz, l'huile, les produits de première nécessité - était acheminé à dos de mule, cela prenait plusieurs jours, maintenant une journée en camion suffit", dit-il.

Gurung, qui tient une boutique de souvenirs, travaillait comme ouvrier sur la route terminée en 2014 et qui relie désormais le Mustang à l'Inde et à la Chine, rappelant l'époque où cette région était une plaque tournante du commerce himalayen de sel, de laine et d'épices.

Pendant des générations, des commerçants ont conduit leurs caravanes à travers ce désert d'altitude.

Le Népal a annexé au XVIIIe siècle le royaume de Lo, son nom de l'époque, pour le renommer Mustang tout en laissant le roi conserver son titre à condition de reconnaître l'occupant.

- Famille royale isolée -
Le Mustang n'a longtemps vu aucun visiteur étranger et n'était accessible jusqu'à peu qu'à cheval ou à pied, préservant ses habitants de toute influence extérieure.

La communauté locale des Loba, qui parle une variante du tibétain, a conservé ses traditions bouddhistes quand la Révolution culturelle bouleversait le Tibet voisin.

L'isolement était tel que la famille royale n'a pris l'avion pour la première fois qu'en 1995 pour se rendre aux Etats-Unis et en Allemagne.

L'ancien prince Jigme Singi Palbar Bista a grandi dans un palais à cinq étages de 108 pièces, cependant dépourvu de tout luxe. Faute d'électricité et manquant de bois, le personnel du palais chauffait les chambres en brûlant des bouses de yak.

Et le prince devait marcher ou monter à cheval pendant des jours pour aller étudier à Jomsom, en périphérie de la région.

"Nous ne sommes pas comme d'autres familles royales", note cet homme de 60 ans.

L'instauration au Népal d'une République en 2008 a douché les espoirs de Bista d'hériter du trône, son père restant le dernier roi d'une dynastie vieille de 600 ans.

Père de trois enfants, Bista gère une agence de voyages tout en consacrant du temps à suivre les travaux de restauration du palais abîmé par le séisme d'avril 2015.

Mais les Lobas considèrent toujours Bista comme leur guide spirituel et font appel à lui pour résoudre les différends fonciers.

- Culture en danger -
Le Népal cherche à préserver le Mustang et sa culture en limitant le nombre de touristes, imposant le paiement de 500 dollars pour visiter la région.

Mais beaucoup craignent que la route ne menace son identité, les jeunes se détournant ainsi des robes tibétaines traditionnelles pour porter des jeans made in China.

Les portes de Lo Manthang ne sont plus fermées la nuit pour empêcher les chevaux de s'échapper. Des motos encombrent les rues pavées.

"C'est important de préserver notre culture. Sinon, il n'y aura plus rien de spécial au Mustang", dit Khenpo Kunga Tenzin, responsable d'un monastère. "Nous avions notre identité, notre façon de nous habiller, mais tout cela est en train de disparaître".

Pour Gurung, le jeune commerçant, l'avenir n'est pas si sombre.

"Quand je vois que ma génération ne connaît pas les chants et danses traditionnels, j'ai un peu honte", dit-il. "Mais je suis optimiste. Les choses s'améliorent, la vie est plus facile".

Rédigé par () le Lundi 18 Juillet 2016 à 06:42 | Lu 604 fois