Un médecin poursuivi pour homicide involontaire


PAPEETE, le 16 janvier 2018 - Un médecin âgé de 60 ans comparaissait ce mardi matin devant le tribunal correctionnel pour répondre du chef d'accusation d'homicide involontaire. En mai 2012, le praticien avait dû prendre en charge un boxeur mis ko par son adversaire. Le jeune sportif de 29 ans était décédé 20 minutes après le choc. Le parquet avait alors ouvert une enquête car les ciconstances de la mort n'avaient pas été clairement établies.

Le 4 mai 2012, un boxeur néo-zélandais affronte un autre boxeur polynésien lors d'un gala de boxe professionnelle dans une salle à Pirae. A peine 30 secondes après le début du match, l'anglo-saxon s'effondre sous le coup d'un violent ko. Le médecin, ainsi que trois pompiers, interviennent pour tenter de sauver la victime mais cette dernière décède tragiquement après avoir été transportée à l'hôpital.

RAPPORT ACCABLANT

Alors que l'autopsie révèle que la victime est morte d'une oxygénation insuffisante durant sa prise en charge le soir du drame, le parquet de Papeete décide d'ouvrir une enquête qui est confiée à la DSP. Le rapport du médecin légiste, qualifié de "réquisitoire" par l'avocat de la défense est accablant pour le prévenu puisque l'expert conclut que la prise en charge était totalement "inadaptée" à la "gravité" du cas.

Les enquêteurs s'appuient tout d'abord sur la vidéo du match enregistrée ce soir-là par une chaîne de télévision. Sur les images, l'on voit le jeune homme, dont c'était le premier match en catégorie professionnelle, s'effondrer après seulement 32 secondes de match. Alors que le boxeur est inconscient, son entraîneur le place en Position latérale de sécurité (PLS) puis le médecin tente vainement d'enlever le protège-dents du sportif. Trois pompiers sont également sur place et participent à la prise en charge. Initialement mis en cause par la justice, les trois hommes seront finalement mis hors de cause, le parquet estimant qu'ils agissaient sous l'autorité du médecin. Placée sous oxygène, la victime est évacuée au bout de 10 min vers le CHPF où elle arrive sans le médecin qui est resté sur place. Les soignants de l'hôpital constatent que le jeune boxeur n'est plus en PLS et qu'il a gravement manqué d'assistance respiratoire lors de sa prise en charge.

Réanimation

Entendu par les enquêteurs, le prévenu se défend: "je ne suis pas médecin réanimateur, je n'avais pas le matériel nécessaire." Et pour cause. Ce soir-là, l'homme disposait d'une lampe, d'un stéthoscope, d'un marteau à réflexe, de ciseaux, de sparadrap, de Bétadine et d'une canule de Guédel. Pas assez pour effectuer une réanimation complète. Mais le médecin légiste qui a examiné le cadavre est formel: la mort est due à une hypoxie, c’est-à-dire une forte diminution de la quantité d'oxygène dans le sang. L'on reproche au prévenu de ne pas avoir libérer les voies aériennes assez rapidement. L'expert ajoute que le médecin a été dépassé par la situation: " ce soir-là, il semble qu'il régnait une impression de flottement dans la prise en charge et que cela a dépassé les compétences de tous les intervenants. Il y a très clairement eu une perte de chance car il n'y avait aucune blessure mortelle."


A la barre, le prévenu, marié et père de trois enfants, a réaffirmé: "je ne suis ni réanimateur, ni urgentiste (…) Médecin du ring depuis 15 ans, j'ai vu des ko, des pertes de connaissance mais jamais un tel choc." Interrogé sur la "perte de chance" et sur sa responsabilité morale, le médecin, qui semblait avoir quelques difficultés à laisser paraître ses émotions, a indiqué qu'il ne se sentait pas responsable, que cela avait dépassé les compétences d'un "médecin normal."



Plaidoiries et réquisitions

Pour la défense de la victime, Me Merceron a évoqué le désarroi de sa famille quant aux manquements et négligences supposés du médecin: "c'est une famille qui a été complètement dévastée (…) L'organisateur du gala a reconnu que le médecin n'était pas équipé, je comprends aussi qu'il n'était absolument pas prêt (…) Ce qui me choque encore plus, c'est l'abandon littéral du patient dans l'ambulance." Décrivant la victime comme un jeune homme en pleine santé, l'avocate a ajouté: "c'était une opportunité extraordinaire pour lui de venir boxer en Polynésie et cela aura duré 32 secondes car les soins qui auraient dû lui être prodigués ne l'ont pas été."

Lors de ses réquisitions, le procureur de la République a qualifié l'affaire d'extrêmement délicate: " ce dossier est difficile et atypique (…) Nous avons compris qu'il y a une succession d'absence de faits et une accumulation d'erreurs (…) Le rapport de l'expert est accablant: le médecin n'était pas équipé et n'avait aucune formation mais ce qui me surprend le plus, c'est son absence d'empathie visible, du moins de façade, envers à la victime (…) Dans cette affaire, la causalité, bien que non-exclusive, est certaine." Le représentant du ministère public a requis 3 ans de prison avec sursis simple pour cette "accumulation de carences qui a mené à une fin tragique."

L'avocat du prévenu, Me Piriou, a tout d'abord rebondi sur les propos du procureur de la République: "c'est effectivement un dossier dramatique (…) J'entends que l'on reproche à mon client un manque d'empathie à la barre mais qui sommes-nous pour savoir ce qu'il ressent? Il a une relation difficile avec le verbe mais cela ne démontre rien d'autre. Je sais qu'il ressent des choses qu'il ne sait ou ne peut exprimer. L'on met tout sur son dos alors que cet évènement relève des carences consubstantielles à ce type d'organisation."


Le délibéré sera rendu le 13 février.

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 16 Janvier 2018 à 14:39 | Lu 4108 fois